Bouteflika-Benflis : la rupture ?
Les rumeurs concernant les relations entre le président et le chef du gouvernement se multiplient. Certains, confondant peut-être leurs désirs avec la réalité, voient déjà le second se poser en rival du premier.
Alger, début février. Les bulletins météorologiques se succèdent et font tous état d’importantes précipitations. Au grand bonheur des Algérois et des habitants de l’Est, notamment. Les quarante-neuf barrages que compte le territoire national enregistrent un taux de remplissage supérieur à 50 %, du jamais vu depuis cinq ans. La ville, elle, grouille d’une intense activité. Les bouchons s’étirent sur ses principales artères, les chantiers poussent comme des champignons. Construction de logements, travaux de voirie, ravalement de façades : la capitale se refait une beauté. Certes, les mauvaises langues mettent en avant la visite prochaine du président français Jacques Chirac (du 2 au 4 mars) pour expliquer ce phénomène. Djamel, 23 ans, étudiant en droit à la fac d’Alger, explique : « C’est vrai qu’à chaque visite d’un chef d’État étranger, comme par hasard, on assiste à la rénovation des façades d’immeubles situés sur le parcours officiel. Mais là, ce sont des immeubles qui se construisent. Deux tunnels sont aussi en chantier, pour désengorger les grands axes, comme celui de l’avenue Souidani-Boudjemaâ. Non là, c’est du sérieux… »
Dans ses mains, Djamel tient un exemplaire d’El Watan, daté du 28 janvier. À la une du quotidien, une photo du président Abdelaziz Bouteflika et de son Premier ministre Ali Benflis, traversée en son milieu par un éclair séparant les deux hommes. Le titre ? « La guerre muette ». Depuis quelques semaines déjà, les rumeurs concernant les relations entre les deux personnages clés de la scène politique algérienne vont bon train. Le 23 janvier, déjà, l’autre ténor de la presse nationale, le quotidien Liberté, titrait : « Bouteflika a-t-il peur de Benflis ? »
Dans les salles de rédaction comme dans les salons algérois, il se murmure qu’Ali Benflis, fort de ses récents succès électoraux à la tête d’un Front de libération nationale (FLN, parti majoritaire à l’Assemblée populaire nationale) moribond avant qu’il n’en prenne les rênes le 20 septembre 2001, serait candidat à l’élection présidentielle d’avril 2004. Benflis, se poser en rival ? Lui, l’homme de l’ombre, la cheville ouvrière du « système Boutef », son collaborateur le plus proche ? Lui qui mena sa campagne victorieuse lors de la présidentielle de 1999, puis fut son directeur de cabinet avant d’être nommé chef du gouvernement le 26 août 2000 ? Ainsi l’homme de confiance du « boss » se « balladuriserait » ? La référence au Premier ministre de Jacques Chirac, qui se présenta contre lui lors de l’élection présidentielle de 1995, rompant ainsi une « amitié de plus de trente ans », revient régulièrement. Et ne manque pas de piquant, à quelques semaines de la venue de Chirac…
À Alger, les confidences sur les rapports tendus entre le président et le Premier ministre se multiplient. Leurs relations seraient aujourd’hui réduites au strict minimum prévu par le protocole. En outre, comme l’écrit Liberté, Benflis aurait remis sa démission à Bouteflika l’été dernier. Depuis, rien n’irait plus entre les deux hommes. Parmi les exemples de la supposée discorde, le projet de loi sur les hydrocarbures, mis en place par un homme de Boutef, Chakib Khelil, le ministre de l’Énergie et président de la Sonatrach. Benflis s’oppose au texte comme à l’idée même de privatiser le secteur. Il l’a dit et répété. C’est sa position et, surtout, celle du FLN. Bouteflika a retiré le projet. Pour l’instant.
Enfin, la visite de Benflis à Paris (16-18 janvier) aurait fortement déplu au président. L’accueil des plus chaleureux réservé à son Premier ministre par les officiels français, le traitement de la presse hexagonale relayée par les médias algériens – le quotidien Le Monde n’a pas hésité à titrer « le Premier ministre algérien Ali Benflis est reçu à Paris en possible successeur d’Abdelaziz Bouteflika » – auraient convaincu l’entourage présidentiel de la nécessité d’organiser une « contre-visite » dans les plus brefs délais, pour effacer les traces du passage de Benflis. Seul hic dans la démonstration, la venue de Bouteflika à Paris, ce 5 février, était prévue de longue date. Bien avant celle de Benflis… Son objet ? Favoriser un rapprochement entre Alger et Rabat, aujourd’hui bloqué par l’interminable conflit du Sahara occidental. Un rapprochement souhaité par la France, soucieuse d’être en bons termes avec les deux pays à la fois. Pas facile.
Ali Benflis prend de l’envergure. C’est indéniable. Comme il saute aux yeux qu’il n’est plus le même Premier ministre que celui qui fut nommé par Bouteflika en août 2000 à la tête d’un gouvernement de coalition où le Rassemblement national démocratique (RND) d’Ahmed Ouyahia faisait figure de poids lourd, quand le FLN, alors seulement troisième force politique du pays, n’en avait pas encore terminé avec sa descente aux enfers. Depuis, Benflis a réussi la gageure de ramener l’ancien parti unique sur le devant de la scène, d’en faire une machine à gagner les élections (199 sièges sur 389 à l’APN lors du scrutin législatif du 30 mai). Et ce contre toute attente. Même Benflis ne pensait pas pouvoir hisser son parti à ce niveau en si peu de temps. Il confiait même à l’époque que « si nous parvenons à obtenir une centaine de sièges, ce sera beaucoup ». Il en obtiendra plus du double dans un climat assaini qui plus est. Car la victoire du FLN n’a pas été entachée, comme celle du RND en 1997, d’irrégularités massives. Ni achats de voix, ni bourrages des urnes, ni autres intimidations, pourtant habituels en Algérie. Les élections de mai 2002 furent ainsi les premières à se dérouler dans la transparence. Comme d’ailleurs les législatives marocaines du 27 septembre…
À El-Mouradia, le palais présidentiel, on assure pourtant que rien n’a changé entre les deux hommes. On s’amuse même de la situation. Le lendemain de la sortie du numéro tapageur d’El Watan, Larbi Belkheir, directeur de cabinet du président, croise Benflis dans un couloir. Il lui lance d’un ton goguenard : « Alors, tu as vu la fissure ? », en référence à l’éclair qui zébrait la photo des deux hommes. Réponse d’un Benflis interloqué : « La fissure, quelle fissure ? Ah, ça ! s’exclame-t-il en apercevant le journal en question. Bah ! Tu les connais… »
Fantasmes de journalistes en mal de sensationnel ? Réelles inquiétudes quant aux visées de Benflis ? La plupart des observateurs attendent avec impatience le congrès du FLN, prévu pour mars ou avril prochain. Car, à Alger, tout le monde pense que c’est au cours de ce congrès que la question de la candidature à la présidentielle sera tranchée. Deux options sont évoquées : soit le congrès décide de faire d’Abdelaziz Bouteflika le président d’honneur du FLN, et cela signifiera clairement que l’ancien parti unique se range derrière lui pour 2004, soit la candidature de Benflis est entérinée et, là, la campagne est lancée.
Seul problème, le congrès ne traitera que des statuts du parti et de son programme politique. Pas question donc de présidence d’honneur ou de déclaration de candidature. La position du FLN sur la présidentielle ne sera connue qu’à la fin de 2003, voire au début de 2004. En attendant, rumeurs et conjectures enfleront. De quoi vendre quelques exemplaires de journaux en plus…
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