Beyrouth, mon amour

Terra incognita, deuxième film du réalisateur libanais Ghassan Salhab, sort cette semaine sur les écrans français. Portrait d’un cinéphile devenu cinéaste.

Publié le 11 février 2003 Lecture : 3 minutes.

La démarche est tentante, mais il serait vain de chercher Ghassan Salhab à travers les personnages tourmentés de Terra incognita, son deuxième long-métrage. D’ailleurs, ces cinq trentenaires ne sont pas les véritables héros du film, ce rôle leur est ravi par Beyrouth. Pierre angulaire dans l’oeuvre de ce jeune réalisateur, cette ville, déjà très présente dans Beyrouth fantôme, son premier long-métrage, n’a pas fini de l’inspirer. Il continue de filmer ses rues, ses terrains vagues, ses habitants et d’écouter les appels à la prière des muezzins, les chants orthodoxes et les rythmes techno sur lesquels se déhanche sa jeunesse.
« Je puiserai encore dans les richesses de cette ville, mais peut-être qu’un jour je m’épuiserai moi-même », confie-t-il dans un sourire. En attendant, il multiplie les projets de courts-métrages, de films expérimentaux et de scénarios tous ancrés dans ce même territoire. Il rêve même d’y créer deux ou trois salles de cinéma où l’on pourrait voir des films « différents » et aimerait bien, avec la complicité d’autres réalisateurs, appliquer ce concept dans d’autres pays du Bassin méditerranéen. Car c’est précisément ce type de salles qui fait cruellement défaut à tant de pays, où seules les productions formatées Hollywood sont correctement distribuées. Le public est d’ailleurs si peu confronté à sa propre image que, lorsque se présente une oeuvre réalisée par l’un des siens, il pense que l’écran est un miroir qu’on lui tend, s’obstine à s’y chercher et s’insurge quand il ne se retrouve pas. Comment faire des films dans ces conditions ?
« Mettre en place un système de distribution parallèle, sans compter sur les États, serait la meilleure façon d’exister. C’est un projet qui est gourmand en fonds, car il faudrait offrir des salles de qualité, mais il n’existe pas d’autre choix. J’en ai parlé autour de moi à quelques cinéastes comme Abderrahmane Sissako. Je ne veux pas être un cinéaste de festival ou n’être distribué que par un seul pays, la France. Imaginez que ceux qui nous produisent et nous distribuent décident de nous lâcher !
Mais justement, comment est née chez ce réalisateur, qui se qualifie d’autodidacte, l’envie de faire du cinéma ? « Mon rapport amoureux et passionnel au cinéma a commencé très tôt, mais c’est très progressivement et très tardivement que j’ai glissé du statut de cinéphile vers l’autre côté, derrière la caméra. » Ce glissement, il ne saurait l’expliquer. « Je n’ai pas eu de révélation, mais je peux dire que ça a commencé à Dakar, où je suis né et où j’ai passé toute mon enfance. Une personne qui devait de l’argent à mon père lui a donné une caméra Super-8. » Cet objet inattendu tombe entre les mains de Ghassan, qui se met aussitôt à filmer des scènes anodines. Il a entre 10 et 12 ans à l’époque, mais se défend d’être un enfant prodige. C’est aussi dans son Sénégal natal qu’il reçoit sa première leçon de cinéma. « Comme il n’y avait pas de télé à l’époque, j’écumais les salles obscures où je voyais les films avec Marlon Brando ou John Wayne. J’étais fasciné par le faisceau lumineux qui provenait du fond. Mon père connaissait quelqu’un qui m’a permis de pénétrer dans la cabine de projection. Je me souviens de mon énorme déception quand j’ai vu cette vieille machine qui fonctionnait au charbon. Je ne comprenais pas comment des images aussi incroyables venaient d’un appareil aussi archaïque. C’est un vieux projectionniste sénégalais qui m’a expliqué ce qu’était une pellicule, les vingt-quatre images secondes, etc. », se souvient le jeune cinéaste, qui se dit autant sénégalais que libanais ou parisien et qui, plutôt que soustraire, préfère additionner ses appartenances.

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