Susan Sontag

L’écrivain américaine est morte le 28 décembre à New York

Publié le 11 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

Susan Sontag n’a jamais mâché ses mots. Si elle évoque la prison d’Abou Ghraib, en Irak, c’est pour asséner qu’aux États-Unis « on évite le mot torture. On dit
abus, humiliations alors que le mot juste, c’est torture. » Quand George W. Bush lance sa « croisade » contre le terrorisme, elle ose écrire des attentats du 11 septembre
2001 que « ce n’était pas une attaque lâche contre la civilisation ou la liberté ou l’humanité ou le monde libre, mais une attaque contre la superpuissance autoproclamée du monde ».

Et ce mordant ne date pas d’hier. En 1967, cette adversaire résolue de la guerre au Vietnam écrit dans la Partisan Review : « L’Amérique s’est construite sur un génocide, sur l’idée jamais remise en cause que les Européens blancs avaient le droit d’exterminer une population locale de couleur et technologiquement arriérée pour prendre le pouvoir
sur le continent. » Et elle pousse la rage jusqu’à affirmer que « la race blanche est le cancer de l’histoire humaine ». La gauche extrême, dont elle est longtemps proche, en prend aussi pour son grade : en 1982, elle qualifie le communisme de « fascisme à visage humain ».
La « plus Européenne des écrivains américains » est morte le 28 décembre à l’hôpital Sloane Kettering de New York, des suites d’une leucémie. Elle avait 71 ans. Son histoire est celle d’une femme au formidable appétit de vivre.
Susan Rosenblatt est née le 16 janvier 1933 dans une famille juive d’origine polonaise et lituanienne. Sa mère est enseignante ; son père, commerçant en fourrures, meurt en Chine alors qu’elle n’a que 5 ans. Depuis, elle n’a cessé de suivre, à vive allure, les chemins ouverts par sa curiosité. Élevée à Tucson (Arizona) et Los Angeles (Californie), entrée à l’université dès l’âge de 16 ans, elle épouse Philip Rieff à 17 ans, dix jours après l’avoir rencontré, donne naissance à un fils deux ans plus tard et divorce sept ans après pour ne jamais se remarier.

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Boulimique de culture, elle étudie la philosophie, la littérature et la théologie à l’université de Chicago, puis à Harvard et au Saint Anne’s College d’Oxford. Depuis la lecture des Misérables de Victor Hugo, elle dévore tous les livres qui passent à portée de sa main et sont « comme des portes donnant sur tout un royaume ». Sa frénésie de lecture s’étend aux périodiques internationaux et aux journaux littéraires. C’est dans l’un d’eux qu’elle trouve sa voie, après avoir été un temps enseignante en philosophie des religions à Columbia. La Partisan Review accueille ses essais critiques sur Albert Camus, Simone Weil, Jean-Luc Godard Comme le rappelle Steve Wasserman dans le Financial Times, elle s’acharne à démolir « cette distinction entre la pensée et la sensation qui est le fondement de tout point de vue anti-intellectuel : [] Penser est une forme de sensation ; sentir est une forme de pensée. »

Très vite, ses collaborations s’étendent au New Yorker, au Times Literary Supplement et à Granta. Flâneuse impénitente d’un New York cosmopolite (« la ville pour étrangers par excellence »), elle publie son premier roman, Le Bienfaiteur (Le Seuil) à l’âge de 30 ans. Mais c’est Notes on Camp, sur l’esthétique camp (l’utilisation du kitsch et du
mauvais goût en art, NDLR) qui la fait connaître en 1964. Suivront de nombreux essais incisifs tels Sur la photographie, La Maladie comme métaphore, Le Sida et ses métaphores
(tous publiés chez Christian Bourgois), etc.
Atteinte d’un cancer en 1976, elle parvient à surmonter une première fois la maladie qui l’emportera bien des années plus tard. Elle a encore tant de choses à dire ! Et à faire : en 1993, dans Sarajevo assiégée, elle met en scène En attendant Godot, de Samuel Beckett…
Amie proche de la photographe Annie Leibovitz, Susan Sontag aura, au bout du compte, monté des pièces, tourné des films et écrit plus de quinze livres, traduits en trente-deux langues et salués par plusieurs prix littéraires (prix de la Paix des libraires allemands en 2003, National Book Award en 2000, prix Prince des Asturies). Mais c’est la fiction qu’elle avait finalement choisie, soulignant qu’un « roman qui vaut la peine d’être lu est un enseignement pour le coeur. Il étend votre perception des possibilités humaines, de ce qu’est la nature de l’homme, de ce qui se passe dans le monde. C’est un créateur de profondeur. »

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