Privatisation mal huilée ?

L’adjudication provisoire de la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal vivement contestée par les perdants de l’appel d’offres. Qui menacent de porterplainte contre les pouvoirs publics.

Publié le 10 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

La privatisation de la filière arachidière au Sénégal connaîtra-t-elle son épilogue après l’adjudication provisoire de la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (Sonacos), le 22 décembre 2004 ? Au terme du processus de privatisation, l’État a cédé 66,9 % de ses actions au consortium Advens pour 8 milliards de F CFA. Mais sitôt révélée la cession, les perdants de l’appel d’offres ont menacé de porter l’affaire devant la justice. « Nous allons déposer une plainte contre les pouvoirs publics et faire valoir plusieurs motifs », précise Kibily Touré, président du consortium Guerté Sénégal, arrivé deuxième au terme d’un processus de privatisation entamé en 1995. Sous cette dénomination, qui signifie « arachide » en wolof, on retrouve la Société Diéwol Investissements (SDI), créée par des privés sénégalais et européens et des associations de producteurs.
« La décision de l’État est intervenue après la période de validité des offres », explique Kibily Touré, qui conteste également les faveurs accordées à Advens. « Notre concurrent, soutient-il, a eu le droit de déposer une dizaine d’offres, contre une seule pour notre consortium. » Enfin, le président de Guerté Sénégal juge illégal le dossier de reprise de son concurrent pour non-respect des critères de sélection. Touré considère qu’Advens n’est pas un agro-industriel, mais un négociant, et ne peut donc être retenu. Ce consortium est piloté par Abbas Jaber, un Franco-Sénégalais d’origine libanaise installé depuis plus de vingt-sept ans à Paris. Né à Thiès, à 70 kilomètres de Dakar, il préside aux destinées de Jaber’s Negoce, qui exporte des denrées alimentaires (sucre, farine, blé, achetés sur les places boursières) vers l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Pour créer Advens, son groupe s’est associé à deux partenaires de renom : la
Sodefitex, une filiale du groupe français – connue dans la filière coton – Dagris ; et la Société de participation industrielle (SPI), qui regroupe plus de 95 % du personnel de la Sonacos. Et a sollicité l’expertise technique de la société belge De Smet, premier constructeur mondial de raffinerie d’huile de table, qui travaille avec la Sonacos depuis quarante ans.
« Nous allons vers un blocage qui sera désastreux pour le repreneur, lequel n’aura pas de graines pour faire tourner ses usines », prévient toutefois Kibily Touré, qui prétend avoir le soutien des producteurs d’arachide. Il est d’autant plus déçu que, selon lui, les autorités lui avaient donné l’assurance que les intérêts de ces derniers seraient pris en compte dans le rachat de la Sonacos. Aussitôt connue la décision du comité de privatisation, il a d’ailleurs écrit au président de la République, qu’il avait rencontré en juin 2004, pour demander la reprise de la procédure d’appel d’offres.
Kibily Touré n’est pas le seul à contester la décision du comité de privatisation. Au sein même de la Sonacos, les salariés, qui voulaient entrer à hauteur de 15 % dans le capital de la société et qui n’ont reçu que 5 %, s’estiment floués par l’État. Des négociations se poursuivent entre les syndicats de l’entreprise et l’État pour débloquer la situation.
La Sonacos emploie directement près de 2 300 salariés, dont 750 journaliers. Elle assure – dans quatre usines implantées à Dakar, Lyndiane (près de Kaolack), Diourbel et Ziguinchor – la production d’huile d’arachide et de tourteaux pour le marché international, le raffinage d’huiles végétales importées, la fabrication et la commercialisation de vinaigre, de margarine, de savon et de dentifrice, pour la consommation intérieure.
Advens a l’ambition de faire de la Sonacos une base industrielle pour partir à la conquête des marchés d’Afrique de l’Ouest et centrale où la société commercialise déjà plusieurs dizaines de milliers de tonnes d’huile par an. Et se fixe pour objectifs de moderniser l’entreprise, de mieux organiser la filière arachidière et de reprendre la totalité du personnel. Ce qui aurait pesé lourd dans la décision du comité de privatisation. Mais, pour Kibily Touré, le choix de son concurrent tient essentiellement à ses liens étroits avec l’entourage du chef de l’État. Et non pas au fait, comme on a pu l’avancer dans la presse, que Guerté Sénégal ne dispose pas d’une surface financière suffisamment importante. Et de dénoncer également les magouilles politico-affairistes des proches du président, sans plus de précision.
Ce que dément, bien sûr, le ministère de l’Économie et des Finances, qui a justifié l’opération de privatisation de la Sonacos par ses retombées sur l’économie nationale. Elle devrait rapporter environ 28,4 milliards de F CFA, dont 8 milliards issus de la cession des actions de la Sonacos, 11,4 milliards de F CFA d’investissements d’Advens et 5 milliards de F CFA attendus de la vente de certains immeubles de l’entreprise. L’État devrait engranger 4 milliards de revenus supplémentaires lors de l’adjudication finale qui interviendra d’ici à sept ans au plus.
Malgré la taille de son outil industriel, la Sonacos a connu une période difficile. Gestion hasardeuse, choix stratégiques malencontreux : entre 1998 et 2002, la société a accumulé 83 millions d’euros de pertes d’exploitation. Elle vivait sous perfusion, l’État s’étant délesté de 85 millions d’euros pour combler l’essentiel de ce trou abyssal. À ces incertitudes s’en ajoute une dernière, et non des moindres : la société, qui réalise une partie importante de son chiffre d’affaires grâce à l’importation et au raffinage d’huiles étrangères, pourrait ne plus profiter longtemps du monopole de facto dont elle dispose sur ce créneau. Le Sénégal s’est en effet engagé auprès du Fonds monétaire international (FMI) à lever la surcharge tarifaire en vigueur sur les importations d’huiles raffinées et non raffinées, dont la Sonacos est actuellement exemptée. Ce qui pourrait compromettre la volonté de redressement de la filière arachidière, qui, au temps de sa splendeur, faisait vivre plus de trois millions de personnes.

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