Pétrole : déclin différé

Grâce au dynamisme des petites compagnies, la production est repartie à la hausse. Mais les perspectives à long terme restent incertaines.

Publié le 10 janvier 2005 Lecture : 5 minutes.

Vieillissement des champs, campagnes d’exploration décevantes, tassement de la production, épuisement des réserves… Que n’a-t-on lu ou entendu à propos du pétrole au Gabon ! Qu’en est-il au juste ? Cette question, les Gabonais sont nombreux à se la poser, car l’or noir revêt une importance stratégique : 42 % du PIB en 2003 et les trois cinquièmes des recettes de l’État. L’économie reste étroitement dépendante des hydrocarbures. Au début de 2001, un vent de panique a même soufflé sur le pays, les experts les plus pessimistes pronostiquant alors un effondrement de la production à 8,5 millions de tonnes en 2005, en chute de 55 % par rapport au niveau record enregistré en 1998 (18,5 millions de tonnes). Mais la bérézina annoncée ne s’est pas réalisée, et la production annuelle s’est stabilisée au-dessus de 13 millions de tonnes : 13,4 millions en 2003 et autour de 13,6 millions de tonnes cette année, soit 270 000 barils/jour (b/j).
Longtemps troisième producteur d’Afrique subsaharienne, derrière le Nigeria et l’Angola, le pays d’Omar Bongo Ondimba a non seulement été rattrapé et dépassé par la Guinée équatoriale, mais risque encore de rétrograder d’une place lorsque les prometteurs gisements de São Tomé e Príncipe démarreront, normalement d’ici à 2007-2008 (potentiel estimé de 250 000 b/j).
« Sauf découverte majeure du type Rabi Kounga [ce gisement géant qui, à son apogée, a contribué à hauteur de 60 % à la production journalière, avec 220 000 b/j, contre moins de 55 000 aujourd’hui, NDLR], il est peu probable que nous retrouvions un niveau analogue à celui de 1998, note un spécialiste. Mais on ne peut pas parler de déclin, la production est repartie à la hausse, les perspectives sont encourageantes et la confiance est revenue. À preuve, de nouvelles compagnies arrivent chaque année. Aujourd’hui, vingt sociétés – un record ! – opèrent dans le secteur. Et parmi elles, quatorze font uniquement de l’exploration. Cela signifie qu’il reste des découvertes à faire. »
Le rebond de la production doit beaucoup à la mise en oeuvre de nouvelles techniques de récupération sur des champs arrivés à maturité et au développement par de petites compagnies de champs marginaux délaissés par les deux majors actives au Gabon, Total et Shell (une troisième – l’italienne Agip – a quitté le pays il y a quelques années). Les majors concentrent leurs activités sur les champs importants (réserves prouvées supérieures à 20 millions de barils), qu’elles développent. Elles récupèrent une fraction assez importante du pétrole emprisonné dans la roche, dans une fourchette qui peut varier, selon les zones, entre 20 % et 70 %. Ensuite, la pression commence à baisser, et, tant pour des questions de rentabilité immédiate que de coûts, ces gisements deviennent nettement moins intéressants pour les géants du secteur, qui choisissent alors de se désengager. « Auparavant, une fois qu’une compagnie se retirait et rendait son permis, c’était fini, poursuit notre spécialiste, même si le puits recelait encore des quantités importantes non récupérées d’hydrocarbures. L’arrivée de petites sociétés aux structures plus légères, comptant peu d’expatriés et pas toujours très regardantes sur les conditions de sécurité, a tout changé. Il est désormais techniquement possible d’optimiser les rendements et de donner une « seconde jeunesse » aux champs vieillissants, en faisant de la « récupération secondaire ». C’est devenu économiquement intéressant avec la flambée des cours. Les « petites » sont donc venues pallier les carences des « grandes » en reprenant l’exploitation de zones matures et de domaines abandonnés. Cette tendance de fond, mondiale, explique en grande partie le redressement observé au Gabon. Certaines compagnies canadiennes ont même développé des techniques encore plus sophistiquées, dites de « récupération tertiaire », et qui concernent des champs « en fin de vie » où il reste quelques millions de barils. Cela va ouvrir de nouvelles perspectives pour des zones comme Gamba ou Rabi. »
La société française Perenco, qui a récupéré des permis rétrocédés essentiellement par Shell et développé des champs marginaux de quelques centaines ou quelques milliers de barils, s’est ainsi hissée au troisième rang national, avec 44 000 b/j, derrière Total (100 000 b/j) et Shell (71 000 b/j). Un tour de force. Marathon, une petite compagnie américaine, qui produit 31 000 barils, semble prendre le même chemin. Panafrican (Afrique du Sud) et Vaalco (États-Unis) ferment la marche avec quelques milliers de barils chacune. Quatorze autres sociétés sont en phase d’exploration, multiplient les découvertes de petite et de moyenne importance, et certaines s’apprêtent d’ailleurs à commencer à produire. Le bassin sédimentaire gabonais couvre une superficie de 250 000 km2, dont 20 % onshore et 80 % offshore. Une bonne moitié reste à attribuer ; 80 % du domaine pétrolier terrestre l’a été. À l’inverse, 40 % du domaine maritime sont encore susceptibles d’être mis aux enchères. Mais, au-delà de 200 m de profondeur, les grandes compagnies sont les seules à disposer du savoir-faire et des capacités financières pour se lancer dans l’exploration. De source bien informée, on estime qu’il resterait entre 3 milliards et 3,5 milliards de barils de réserves prouvées et probables au Gabon. Pas de quoi s’affoler donc, du moins dans l’immédiat, mais pas non plus de quoi pavoiser. Car, de l’avis des spécialistes, les blocs les plus prometteurs, les plus susceptibles de receler des gisements majeurs, se situent en mer très profonde (plus de 1 000 m). Le coût d’un puits d’exploration dépasse la dizaine de millions de dollars l’unité. Et il faut en moyenne entre quatre et sept tentatives pour tomber sur un champ intéressant. Pour ne rien arranger, le développement de l’offshore profond ne se justifie économiquement que si les réserves estimées sont très importantes, supérieures en tout cas à 100 millions de barils.
Or les recherches entreprises au large du Gabon et du Congo-Brazzaville, deux pays situés au nord de l’estuaire sous-marin du fleuve Congo, sont pour l’instant décevantes. L’Angola et la Guinée équatoriale ont été mieux servis par le destin, et leurs eaux territoriales se sont révélées être de véritables éponges à pétrole. Résultat : les majors ont recentré l’essentiel de leurs activités dans ces deux pays, où les découvertes se succèdent à un rythme effréné depuis une demi-douzaine d’années. La région de l’îlot contesté de Mbagné, à la frontière du Gabon et de la Guinée équatoriale, offrirait, elle, des perspectives beaucoup plus intéressantes que le reste du domaine maritime. Mais ce territoire fait l’objet d’une dispute entre Libreville et Malabo. Tant qu’une solution n’aura pas été trouvée, les importants gisements de brut censés dormir sous le gros caillou contesté resteront à l’état virtuel.

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