Prisons à hauts risques

Le meurtre d’un détenu, le 3 janvier à Douala, relance le débat sur la surpopulation, la promiscuité et les mutineries récurrentes dans le monde carcéral. État des lieux.

Publié le 10 janvier 2005 Lecture : 6 minutes.

Ce n’est pas la première fois qu’une mutinerie éclate dans un pénitencier camerounais. Mais l’affrontement qui a opposé le 3 janvier, à la prison centrale de Douala, les surveillants, que l’on appelle ici « antigangs », sorte de milice aux ordres du régisseur, au reste des détenus a bien failli tourner au drame. Dans un périmètre réduit, où plus de 3 000 pensionnaires se partagent un espace offrant quatre fois moins de places, on a craint le pire. Habitués à faire subir brimades et rackets à leurs camarades, les matons de service ont battu à mort un détenu peu docile et blessé une vingtaine d’autres. Un incident de trop, venu exacerber une colère qui couvait déjà dans un monde carcéral camerounais qui aura rarement été aussi inquiétant.
En cause, le nombre anormalement élevé de prisonniers. Le pays n’en a jamais compté autant, à l’exception de la période postcoloniale quand des milliers de Camerounais, pour l’essentiel des adeptes présumés du maquis ou des « subversifs », sont tombés sous le coup de lois d’exception pour le moins abusives. Selon les dernières statistiques du ministère de tutelle, celui de la Justice, le pays affiche 19 000 prisonniers, repartis dans 67 centres de détention construits, pour la plupart, avant l’indépendance. La population carcérale, qui n’avait cessé de baisser entre 1992 et 1997, a bondi de près de 40 % en moins de cinq ans, passant de 15 903 en 1997 à 20 000 en 2003. Ce pic, jamais atteint, s’explique par l’augmentation spectaculaire du nombre de détenus enregistrée depuis le milieu des années 1990, avec les premiers véritables effets de la crise économique.
Officiellement, la capacité d’accueil est estimée à 6 749 places. Au cours de ces deux dernières années, le taux moyen d’occupation a atteint le chiffre record de 296 %, le plus fort du continent. Selon les sources, qu’elles soient officielles ou associatives, la densité dépasse en effet 300 % à la prison centrale de Kondengui, à Yaoundé, et frôle très souvent 400 % à Douala. D’après les statistiques 2002 du Centre international d’études pénitentiaires (ICPS), un organisme anglais dépendant du King’s College de l’université de Londres (Royaume-Uni), l’inflation carcérale se traduit par un taux d’emprisonnement de 129 % (nombre de détenus pour 100 000 habitants). Un chiffre sans commune mesure avec celui du Sénégal (54 %) ou de la Côte d’Ivoire, qui était, en 2002, de 62 %.
À Douala et à Yaoundé, qui abritent les plus importantes prisons du pays, des détenus sont sans cesse transférés vers des maisons d’arrêt plus « accueillantes », comme Mantum à l’ouest du pays, Ngambé dans le Littoral, ou à Buéa, capitale de la province anglophone du Sud-Ouest. Dans les 112 pays concernés par l’enquête de l’ICPS, le taux de densité carcérale est en moyenne supérieur à 100 %, avec en tête du classement la Barbade et… le Cameroun.
Première conséquence de cette situation, les normes d’hygiène y sont peu rigoureuses, avec les risques d’épidémie qui se multiplient du fait de la promiscuité dans les cellules. « C’est le premier choc que vous recevez en entrant à la prison de Douala, raconte Madeleine Afité, coordonnatrice locale de l’ONG française Acat, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture. Aucune intimité, aucune possibilité de s’isoler. Tout le monde est mélangé : voleurs, dealers, violeurs et malades. La vie y est inhumaine. » En 2003, on a enregistré à Douala, selon l’Acat, 72 décès. Pour le seul mois de novembre 2004, on a dénombré 19 morts, car « les délais d’attente pour voir un médecin sont de plus en plus longs ».
La situation s’est pourtant nettement améliorée ces cinq dernières années, notamment grâce à plusieurs acteurs. À commencer par la France qui a mis en place un vaste programme de coopération dans ce domaine, à travers le projet d’« Appui à l’amélioration des conditions de détention » d’un montant de 700 millions de F CFA, financé pour un tiers par l’administration camerounaise. À la prison de Douala où l’insalubrité avait atteint un seuil inédit à cause des mauvaises odeurs, de la saleté, du bruit et de la promiscuité, la construction de sept nouvelles salles de douche et de WC, l’aménagement de six fosses septiques et la réhabilitation des toitures a amélioré les conditions d’hygiène.
Le Comité contre la torture, un organe de l’Assemblée générale des Nations unies, s’est, lui, enquis, en novembre 2000 à Genève, des mesures prises par le pays pour prévenir les abus sexuels dont sont victimes les délinquants mineurs. Résultat : ils sont aujourd’hui séparés des adultes. Ce comité s’était par ailleurs inquiété de constater que 80 % de la population carcérale du pays est constituée de personnes incarcérées, mais non encore condamnées. Le taux de détention préventive était de 49,2 % en 1993, selon l’ICPS. À la décharge des autorités camerounaises, il atteint 40 % dans plusieurs pays d’Europe (37 % en France), en dépit de la rapidité de leur système pénal.
Le Fonds européen de développement a financé, de juin 2002 à juin 2004, le programme d’amélioration des conditions de détention et de respect des droits de l’homme, le Pacdet, afin d’aider les autorités judiciaires à accélérer les procédures. Coordonné par Mes Charles Tchoungang et Ngallé Miano, le projet a employé une cinquantaine d’avocats avec pour objectif de faire réduire la durée de détention préventive.
La surpopulation carcérale, dénoncée aussi bien par le barreau que par des associations de défense des droits de l’homme, résulte également d’un allongement continu des peines de prison. Les ONG stigmatisent une sévérité croissante des tribunaux qui se manifeste par une augmentation sensible des longues peines (vingt et trente ans), sanctionnant notamment le grand banditisme et les agressions sexuelles. Autre situation que déplorent les associations oeuvrant dans le secteur, le très peu d’attention accordée à la situation des condamnés à de courtes peines, qui subissent la violence et l’apprentissage du crime. Ceux qui ne savent pas forcer une serrure en entrant en deviennent des spécialistes à la sortie : une « formation » à la délinquance qui se fait au frais du contribuable.
Plus grave, l’inflation carcérale a une autre conséquence, elle ne facilite pas les activités en prison. Les détenus, trop nombreux, sont confinés dans leur cellule, faute de personnel suffisant pour s’occuper d’eux. À Douala, la seule activité pour le corps et l’esprit reste le sport, et, dans une moindre mesure, la couture pour les femmes. Se posent également de graves problèmes de sécurité pour les détenus et leurs geôliers. La question de la réinsertion est ainsi reléguée au second plan.
Dans ce contexte, les autorités camerounaises ont d’abord paru désemparées. Avant de se remettre en question et d’envisager une série de mesures pour enrayer la spirale de l’engorgement. En août 2004, une mission initiée par la présidence de la République a ouvert des concertations avec différents acteurs – y compris des ONG – sur les solutions à envisager. Un effort a été fait dans l’humanisation des prisons à travers la sensibilisation des personnels pénitentiaires aux droits des détenus. Reste le problème de l’exiguïté des cellules. Deux solutions sont généralement envisagées : augmenter le nombre des prisons et des places ou chercher des alternatives à l’incarcération. Faute de ressources, le projet de construction et d’aménagement de six nouvelles prisons, notamment dans le Nord-Ouest, est actuellement au point mort.
En juillet 2004, un arrêté du ministre de l’Administration territoriale, Marafa Amidou Yaya, alors en charge du dossier, a annoncé le premier chantier : la construction d’un nouvel établissement pénitentiaire dans la capitale. Il n’accueillera, selon Jean-Marie Pongmoni, le directeur de l’administration pénitentiaire, que des prisonniers définitivement condamnés. Les travaux, prévus pour démarrer en janvier 2005, devraient recevoir un coup d’accélérateur avec le rattachement de l’administration pénitentiaire au ministère de la Justice, effectif depuis la réorganisation du gouvernement camerounais le 8 décembre 2004. Amadou Ali, le vice-Premier ministre, qui reprend ainsi ce dossier, a à coeur de le voir aboutir. Cela suffira-t-il à endiguer le phénomène ?

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