RDC : DP World peut-il faire du port de Banana la nouvelle porte d’entrée de l’Afrique centrale ?

Révision de la convention portuaire, chantier pharaonique, complexité de la connexion fluviale, routière et ferroviaire, Kinshasa et son partenaire de Dubaï doivent relever de nombreux défis pour créer un nouveau corridor crucial pour le pays.

Terminal à conteneurs de Doraleh, en février 2013. © Vincent Fournier/JA

Terminal à conteneurs de Doraleh, en février 2013. © Vincent Fournier/JA

Publié le 3 septembre 2021 Lecture : 4 minutes.

Les groupes chinois, comme ici au Kenya, participent à la construction de nombreuses voies ferrées, mais ne s’occupent guère de leur exploitation. © Luis Tato/Bloomberg via Getty
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Logistique : accélérer le désenclavement

Alors que le rail est l’un des moyens les plus efficaces et économiques pour désenclaver l’hinterland, la plupart des projets ferroviaires sont à la peine en Afrique de l’ouest et centrale. Mais les investisseurs commencent à s’inspirer de l’ONCF marocain qui a fait du fret l’un des leviers de son développement grâce à une solide interconnexion rail-route-port.

Sommaire

Avec la construction d’un port en eau profonde à Banana, à l’extrême ouest de la RDC, Kinshasa espère imposer durablement sa voie logistique en Afrique centrale. Reste que ce projet ambitieux, confié au géant émirati DP World en 2018, mais toujours en phase d’ajustement, arrive un peu tard.

Car le Congo-Brazzaville voisin a été, en 2017, le premier dans la région à lancer un projet de modernisation portuaire et logistique visant également l’approvisionnement de Kinshasa et de l’hinterland des deux Congos : remblaiement de 60 hectares pris sur l’océan Atlantique pour le port en eau profonde de Pointe-Noire ; travaux de réfection de la route entre la grande ville portuaire et pétrolière et Brazzaville ainsi que du chemin de fer Congo-Océan ; et, surtout, démarrage des discussions avec la RDC en vue de la construction du pont route-rail entre Kinshasa et Brazzaville.

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Inquiétude du Kongo-Central, grincements de dents dans la société civile

Ces projets menés par Brazzaville ont suscité l’inquiétude des autorités du Kongo-Central, la seule province de RDC ayant une façade maritime, à l’extrême ouest du pays, sur seulement une quarantaine de kilomètres de part et d’autre de l’embouchure du fleuve Congo.

Et où le port fluvial de Matadi – à faible tirant d’eau – constitue la principale porte d’entrée logistique du pays. Craignant une suppression de leur rôle logistique clé à l’échelle nationale, elles ont mis la pression sur leur gouvernement pour conditionner l’accord sur la construction du pont Brazzaville-Kinshasa à la construction du port maritime en eau profonde de Banana.

À cette fin, en février 2017, la RDC, alors présidée par Joseph Kabila, avait entamé des négociations exclusives avec la société DP World, sans appel d’offres, ce qui avait provoqué des grincements de dents au sein de la société civile.

Les deux parties avaient signé une convention de collaboration en mars 2018, paraphé, du côté de l’État, par José Makila Sumanda, le vice-Premier ministre et ministre des transports de l’époque. Ce document instaurait une délégation de service public du port en eau profonde à une société concessionnaire commune dans laquelle l’État congolais aurait 30 % de participation et DP World 70 %.

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Vives critiques de Tshisekedi, réajustements de DP World

Selon cette convention initiale, la construction des infrastructures portuaires de Banana devait être effectuée en quatre phases, la première représentant un investissement de 539,5 millions de dollars, et les trois suivantes respectivement de 168 millions, 236 millions et de 226 millions de dollars. L’objectif pour la RDC était de bénéficier de cinq quais d’une longueur de 1600 m avec un tirant d’eau de 15,5 m, d’une centrale électrique de 20 MW et, enfin, d’une zone logistique terrestre.

Les discussions entre l’État et l’émirati pourraient durer encore plusieurs mois

Mais, à son arrivée au pouvoir, au début de 2019, le président Félix Tshisekedi et ses ministres ont fustigé plusieurs clauses de la convention signée par leurs prédécesseurs, et en particulier celle octroyant à DP World la maîtrise de l’ensemble des activités portuaires de la côte de RDC, qui empêchait même les forces de sécurité et les sociétés publiques de transport du pays de construire leurs propres installations.

La presqu'île de Banana à l'embouchure du fleuve Congo, à proximité de laquelle doit être construit le nouveau port en eau pronde. © Gwenn DUBOURTHOUMIEU

La presqu'île de Banana à l'embouchure du fleuve Congo, à proximité de laquelle doit être construit le nouveau port en eau pronde. © Gwenn DUBOURTHOUMIEU

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Dépêché au début de mai 2021 à Kinshasa, Suhail Al Banna, directeur régional pour l’Afrique de DP World, a rencontré le président Tshisekedi et, avec lui, confirmé un réajustement de la convention de 2018.

Le prix des atermoiements

Las, ces atermoiements ont un prix : le démarrage des travaux – qui aurait théoriquement dû avoir lieu en mars 2021 – ne se fera finalement qu’à la signature de cette convention révisée, qui était toujours en cours de rédaction au début d’août. Selon une source à Kinshasa, les discussions entre l’État et DP World pourraient durer encore plusieurs mois.

Reste que, au-delà de la construction des seules infrastructures portuaires, il faudra relever d’autres défis logistiques, terrestres et fluviaux : réfection de la route entre Banana et Boma, en mauvais état ; dragage de la voie fluviale pour permettre l’acheminement sans entrave des marchandises jusqu’à Matadi, mais aussi réhabilitation de la voie ferrée existante Matadi-Kinshasa (à faible écartement) pour permettre une augmentation du trafic marchandises, très réduit actuellement.

Banana n’est pas la partie la plus compliquée du projet de relance d’un axe logistique en RDC

Même si elle est évoquée, la construction du tronçon ferroviaire manquant de Banana à Matadi – voire une reconstruction complète du rail de Banana à Kinshasa avec un écartement standard (donc plus large) – semble peu probable pour les proches du dossier, du fait de son coût et des volumes logistiques encore modestes.

La voie routière resterait le mode de transport privilégié, notamment en raison du pont de Matadi existant sur le fleuve, crucial pour un trafic routier depuis le nouveau port, puisque Banana est installée sur la rive droite du fleuve tandis que Kinshasa et la plus grosse partie de l’hinterland congolais sont situés sur la rive gauche.

Configuration délicate et remous environnementaux

« Construire un terminal à conteneurs en eau profonde dans la crique de Banana n’est pas la partie la plus compliquée du projet de relance d’un axe logistique en RDC », estime Cyrille Lungundi, de l’Association des officiers de marine marchande du Congo (Assomar), qui observe les évolutions de ce projet de corridor logistique depuis une dizaine d’années.

Les conséquences de ce projet sur la faune et la flore aquatiques ont été sous-estimées

Selon lui, les difficultés viendront à la fois de l’entretien et de l’exploitation de la route et du rail jusqu’à Kinshasa, mais aussi, et surtout, de la bonne évolution des ports fluviaux de Boma et de Matadi, qui devront modifier leur vocation pour s’intégrer dans la nouvelle configuration avec Banana.

L’impact environnemental de la construction du port de Banana, en particulier sur le parc marin des mangroves, pourrait aussi faire des remous. Ses responsables se plaignent de ne pas avoir été consultés par les sociétés chargées des études de faisabilité missionnées par DP World. Selon eux, on a sous-estimé les conséquences de ce projet logistique sur la faune et la flore aquatiques.

En attendant l’émergence de ce nouvel axe Banana-Kinshasa sous la houlette de DP World, le port de Pointe-Noire devrait encore être incontournable durant plusieurs années pour l’approvisionnement de la RDC, avec ou sans transbordement via Matadi.

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