L’épreuve de la paix

L’accord signé le 9 janvier entre gouvernement et rebelles du Sud prévoit une transition de six ans. Mettra-t-il fin au plus vieux conflit du continent ?

Publié le 10 janvier 2005 Lecture : 6 minutes.

On ne pouvait rêver plus beau cadeau pour l’Afrique en ce début 2005 : la paix au Soudan, la fin de la plus longue et de l’une des plus meurtrières guerres civiles du continent. Signé le 9 janvier en grande pompe à Nairobi, capitale du Kenya qui a abrité les deux ans et demi de négociations et servi de modérateur, l’accord global de paix met fin à une guerre fratricide entre forces rebelles sudistes et forces gouvernementales nordistes. Bilan : deux millions de victimes, mortes pour la plupart de faim ou de maladie, et quelque 4 millions de personnes déplacées. L’accord est censé créer un « nouveau Soudan » et donner une nouvelle chance au développement économique et social, à la démocratie, et assurer le bien-être de ses 33,5 millions d’habitants.
Mais il représente déjà la troisième tentative de réconcilier le gouvernement de Khartoum avec les rebelles anyanyas du Sud, qui ont pris le maquis une première fois en 1962 pour réclamer un partage du pouvoir accaparé par une élite nordiste favorisée par l’ancien colonisateur britannique. Signé en 1972, à Addis-Abeba, le premier accord est rompu onze ans plus tard, à l’initiative du général Gaafar Nimeiri, ce qui pousse le colonel Garang, chef des forces sudistes, à prendre de nouveau le maquis en 1983 et à créer le SPLA. Le second, conclu en 1996 entre l’actuel président, Omar el-Béchir, et plusieurs factions rebelles, échouera avant même d’avoir pu être mis en oeuvre, car les forces dominantes sur le terrain, dirigées par Garang, n’y étaient pas associées. Qu’en sera-t-il cette fois-ci ? Si l’on se réfère à l’expérience, l’accord Béchir-Garang – tous deux hommes de guerre convertis à la paix – comporte autant de chances de réussite que d’échec.
La donne a changé par rapport aux dernières décennies et cet élément accrédite la thèse du succès. D’abord parce que les deux parties ont consacré près de la moitié des deux ans et demi de négociations à définir les modalités d’application de cet accord. Des négociations à marche forcée au terme desquelles le gouvernement de Khartoum accepte les compromis plutôt favorables à la rébellion qu’avance l’administration américaine, fidèle à sa politique du bâton et de la carotte.
Qu’il s’agisse de sécurité, de partage des revenus du pétrole ou du pouvoir, le SPLA a obtenu des garanties satisfaisantes. Le cessez-le-feu établi depuis le début des négociations devient permanent. Les quelque cent mille hommes de l’armée nationale soudanaise stationnés dans le Sud ont trente mois pour s’en retirer totalement, mais par paliers. Ils sont remplacés par les guérilleros du SPLA qui se transforment en armée légale du Sud disposant d’un budget géré par le gouvernement SPLA.
Entre-temps, le gouvernement et le SPLA fourniront chacun vingt mille hommes pour constituer des unités conjointes et intégrées qui seront cantonnées dans les villes avec des missions précises de coordination et de protection des frontières. Les adversaires du SPLA, milices alliées du gouvernement et factions sudistes hostiles, disposeront d’une année pour se dissoudre, et leurs membres auront la possibilité de rejoindre l’une ou l’autre armée régulière.
Le pétrole, d’abord enjeu de la guerre dans les années 1990, a fini par devenir un facteur de paix. Khartoum s’est rendu compte que l’exploitation des découvertes ne peut être stabilisée et sécurisée que s’il y a entente avec les rebelles. Garang a compris tout l’avantage qu’il peut tirer d’une telle richesse pour sortir enfin son peuple de la misère, de la maladie et de l’ignorance. Et c’est ainsi que le SPLA a obtenu la moitié des revenus du pétrole produit dans le Sud. Il a aussi acquis un droit de regard sur les permis : les représentants du SPLA siégeront au sein d’une Commission pétrolière nationale, composée des représentants du gouvernement central et du gouvernement local du Sud, et chargée de négocier les contrats d’exploitation avec les compagnies. Que ce soit dans les puits situés au Sud ou plus au Nord, le Soudan produit 350 000 barils par jour et espère atteindre 500 000 b/j en cours d’année.
Par ailleurs, on n’est plus au temps où seuls les dictateurs pouvaient garantir les accords signés. Celui d’aujourd’hui prévoit un partage du pouvoir dans le cadre d’institutions nouvelles et d’un système politique pluraliste, démocratique, respectueux des droits de l’homme. Le SPLA participe ainsi au gouvernement central. C’est pour cela que la Constitution confédérale est en cours de révision : il faut l’adapter aux accords conclus (et notamment à la non-application de la charia aux non-musulmans dans l’ensemble du pays). Elle devrait être prête dans huit semaines. S’ensuivra la mise en place d’institutions exécutives et législatives intérimaires où les sièges se répartiront sur la base de 52 % pour le Congrès national (parti au pouvoir), 28 % pour le SPLA, 14 % pour l’opposition nordiste et 6 % pour les factions sudistes dissidentes. Au total, les Sudistes acquièrent 34 % du pouvoir alors qu’ils ne représentent que 13 % de la population. Ce pouvoir s’exercera au sein du Conseil des États fédérés, du Parlement confédéral et du gouvernement de coalition nationale à Khartoum, accompagné d’une décentralisation administrative. Dans le Parlement du Sud-Soudan, le SPLA et le Congrès national de Béchir détiendront respectivement 70 % des sièges et 15 %, le reste étant réservé aux oppositions. John Garang, chef des rebelles et président du gouvernement du Sud, devient dès février vice-président confédéral basé à Khartoum avec des pouvoirs étendus au sein d’un système de décision collégial partagé avec le président Béchir.
Les Nations unies vont déployer une force d’environ dix mille observateurs pour veiller à ce que les clauses de la paix soit appliquées jusqu’à la fin de la période intérimaire de six ans, ce qui fait dire à certains hommes politiques du Nord que l’accord établit une sorte de tutelle internationale sur leur pays.
Le soutien des pays de l’Igad (Autorité intergouvernementale pour le développement), de l’Union africaine, de l’Union européenne, de la Ligue arabe, des partis de l’opposition soudanaise alliés traditionnels du SPLA, ainsi que les relations de confiance qui semblent s’établir entre une partie des dirigeants de Khartoum et de ceux du SPLA constituent des facteurs supplémentaires de succès.
La réussite de l’accord de paix dépend en premier lieu de la volonté des dirigeants soudanais sudistes et nordistes. Pour le moment, et quelles que soient les motivations politiques des deux parties, celle-ci existe. Mais les dispositions prises donnent l’impression de favoriser la mise en place progressive d’une indépendance au Sud, surtout qu’au cours des négociations les rebelles ont insisté – mais n’ont pas obtenu – de se doter, durant la période intérimaire, d’une Banque centrale avec pouvoir de frapper monnaie. Au sein du SPLA, les dirigeants favorables à la scission ne manquent pas et, dans ce cas – à moins que Washington ne les en dissuade au motif qu’une telle séparation contredirait les efforts de paix -, la tentation sera forte de préparer les populations à voter contre le maintien d’un Soudan confédéral unifié lors du référendum de 2011.
Pour être appliqué, l’accord a aussi besoin de stabilité politique. Or, si un compromis a été trouvé pour les zones disputées du mont Nouba, du Nil bleu supérieur et d’Abyei, la crise du Darfour persiste (voir l’encadré) et une nouvelle rébellion couve chez les Béjas, dans l’est du pays.
Enfin, il faut des moyens financiers pour reconstruire le pays, notamment au Sud. Or, et malgré la volonté affichée de Washington d’aider à l’application dudit accord, lier celle-ci à la crise du Darfour tout en soutenant l’intransigeance des rebelles de l’Ouest ne peut, à terme, que ranimer le conflit. Parce qu’on le sait désormais : le pouvoir de l’administration américaine est tel qu’elle peut pousser les protagonistes dans un sens comme dans l’autre.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires