L’inauguration du « France »

Publié le 10 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

En ce début janvier 1962, le coq gaulois pousse un retentissant cocorico. La raison de cette fierté nationale ? Le paquebot France, commandé aux chantiers de Penhoët (Saint-Nazaire) en 1956, est inauguré au Havre par le Premier ministre Michel Debré et la marraine du navire, Yvonne de Gaulle. Huit jours plus tard, il prendra la mer pour une croisière inaugurale. Direction : Santa Cruz de Tenerife (Canaries), puis cap sur les Caraïbes…
Dans la presse, on rivalise de superlatifs : « géant des mers », « orgueil des chantiers de l’Atlantique »… Le « plus grand navire du monde » arbore, il est vrai, des mensurations de rêve : 315 mètres de long, 34 m de large, 56 m de haut. Il est doté de onze ponts aménagés, d’un millier de membres d’équipage, d’une salle de cinéma pouvant accueillir 700 passagers, de cabines insonorisées et climatisées, de stabilisateurs antiroulis contre le mal de mer…
Sous ces habits d’apparat, un moteur de 160 000 chevaux équipé de quatre hélices permet de propulser l’énorme masse (55 000 t) jusqu’à 36 noeuds (65 km/h). Bref, le navire est à l’image de cette France glorieuse et conquérante qu’appelle de ses voeux le général de Gaulle.

En ce début de 1962, chacun se souvient du 11 mai 1960, jour du lancement officiel du paquebot. Yvonne de Gaulle avait coupé le ruban qui retenait un magnum de champagne au-dessus de l’étrave. Le général avait prononcé un discours empreint de lyrisme : « Le paquebot France […] va épouser la mer. La mer si redoutée et si désirée des peuples, la mer qui sépare les nations, mais leur permet de se joindre, la mer par où les pires dangers peuvent menacer les États, mais sans laquelle il n’est point de grandeur. […] Dans ce vaisseau, nous saluons l’une des grandes réussites dont présentement la technique française fait hommage à la patrie, que ce soit sur terre, sous mer, sur mer et dans les airs. La cérémonie d’aujourd’hui ajoute à la fierté que nous avons de la France. Et maintenant, que France s’achève et s’en aille vers l’Océan pour y voguer et pour y servir ! Vive le France, vive la France ! »
La carrière du paquebot durera quarante et un ans. Après sa croisière inaugurale, il traverse l’Atlantique et accoste triomphalement à New York en février. Ce n’est là que le deuxième de ses 202 voyages sous le pavillon tricolore, au cours desquels il aura transporté, outre ses croisiéristes, la Mona Lisa de Léonard de Vinci et le Portrait de Mallarmé de Claude Monet. Il aura navigué dans les eaux sénégalaises, grecques, canadiennes ou portugaises, pour des croisières aux noms surannés : « Opération sunshine », « Carnaval de Trinidad », « November to remember », « Clair de lune », « Sourire créole », « Sortilège des îles », « Gaieté parisienne »…
Las ! Le 9 juillet 1974, l’État coupe ses subventions. Le 11 septembre, les marins se mettent en grève et occupent le navire. Le lendemain, le gouvernement ordonne son désarmement. C’est chose faite un mois plus tard. Le paquebot est conduit au Quai de l’oubli, dans l’arrière-port du Havre. Il y restera jusqu’en 1977, date de sa vente au milliardaire saoudien Akram Ojjeh. Ce dernier le cède à son tour, le 26 juin 1979, à l’armateur norvégien Knut Kloster. Le 31 juillet, le France devient le Norway.

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Rénové par les chantiers Hapag-Lloyd de Bremerhaven, il poursuit sa carrière jusqu’en 2003, retrouvant son nom de baptême, en 1989, le temps d’une croisière (« L’art de vivre à la française »).
Le 20 mai 2003, l’explosion d’une chaudière, à Miami, cause la mort de huit marins. Remorqué à Bremerhaven, le Norway y attend le repreneur qui pourrait le sauver de la rouille et de l’humidité. Le promoteur immobilier Isaac Dahan envisagerait de le racheter pour 20 millions d’euros et de le transformer en palace flottant au large de Honfleur… À moins que l’ancienne « vitrine de la France » ne finisse, plus tristement, à la casse.

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