RDC : au cœur de la bataille pour la fibre optique

À la faveur de la relative stabilité politique établie à Kinshasa, des opérateurs continentaux, comme Benya Capital, ou internationaux, tel Facebook, se lancent dans la course au câblage du deuxième plus grand pays d’Afrique.

Djibouti Telecom installe la fibre optique dans le quartier Haramous, à Djibouti. © Vincent Fournier/JA

Djibouti Telecom installe la fibre optique dans le quartier Haramous, à Djibouti. © Vincent Fournier/JA

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Publié le 5 août 2021 Lecture : 5 minutes.

Sur un site d’IHS, au Nigeria. © IHS
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Les télécoms à l’heure de l’optimisation

Opérateurs, gestionnaires de tours, installateurs de fibre optique… Le secteur des télécoms connaît, à tous les niveaux, un resserrement autour d’un nombre réduit de grands acteurs. Un phénomène de concentration qui permet de réaliser des économies d’échelle, d’optimiser les investissements pour les sauts technologiques et de faire face à la baisse de la profitabilité.

Sommaire

« Nous sommes une place to be, comme diraient les Anglais. » Après deux ans d’incertitudes politiques liées à une laborieuse collaboration entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, puis à la quête d’Union sacrée de l’actuel président de la République, Augustin Kibassa Maliba ne cache ni son soulagement ni sa détermination.

À 49 ans, le ministre des Postes, des Télécommunications et des Nouvelles Technologies de l’information et de la communication de RDC peut enfin entamer l’une des missions qu’on lui a confiées le 26 août 2019 : attirer des investisseurs capables de câbler rapidement son pays, décrié pour son environnement des affaires incertain, sa topographie difficile et la faiblesse de son internet mobile.

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Lacunes sur le réseau

La RDC fait effectivement partie des pays africains les moins équipés en infrastructures de réseau. La faible densité de son maillage a des conséquences importantes à l’apparition de la moindre panne. La dernière en date est intervenue à la mi-juillet, à la suite d’une coupure sur une ligne de fibre optique terrestre connectant Muanda, sur la côte Atlantique, à la capitale, Kinshasa (environ 360 km à vol d’oiseau). L’incident a causé un net ralentissement du trafic au cours de l’après-midi du 16 juillet pour des millions d’abonnés d’Orange et de Vodacom.

Doté d’un cadre réglementaire vieillissant en matière numérique – le texte le plus récent date de 1987 –, le deuxième plus vaste pays du continent qui, par sa localisation, pourrait devenir un carrefour d’interconnexion pour l’Afrique, enregistre paradoxalement une faible pénétration de l’internet mobile, de 25 % (+ 5 points en quatre ans). Publiée en 2017, la dernière édition de l’indice de développement des technologies de l’information et de la communication de l’Union internationale des télécoms (UIT) plaçait la RDC au 171e rang sur 175 États en matière d’équipement.

Du fait de ces lacunes, le coût de la donnée mobile s’envole. Qu’ils vivent à Kinshasa, Goma, Lubumbashi ou dans des zones bien moins couvertes, les utilisateurs congolais doivent débourser en moyenne 8 dollars pour s’offrir un gigaoctet de data. Figurant au nombre des pays africains où le coût de la donnée est le plus élevé, la RDC fait là encore figure de mauvais élève.

50 000 kilomètres de fibre à poser

« Il faut reconnaître que nous avons pris du retard, ce n’est pas une honte », confesse Augustin Kibassa Maliba. Le natif du Katanga, au fait des objectifs définis par le Plan national du numérique publié en septembre 2019, estime que son pays a besoin d’au moins 50 000 kilomètres de fibre optique pour rattraper son retard technologique.

Augustin Kibassa Maliba, ministre des Postes, Télécommunications et Nouvelles Technologies de l’information et de la communication de RDC, en visite sur le stand Huawei lors de l’édition 2021 du Mobile World Congress de Barcelone. © Quentin Velluet/2021

Augustin Kibassa Maliba, ministre des Postes, Télécommunications et Nouvelles Technologies de l’information et de la communication de RDC, en visite sur le stand Huawei lors de l’édition 2021 du Mobile World Congress de Barcelone. © Quentin Velluet/2021

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Il n’hésite donc pas à revêtir un costume de VRP en télécoms afin d’attirer les investisseurs. Mi-juin, il s’est rendu à Paris sur le stand de la délégation congolaise au salon Vivatech. Quelques semaines plus tard, il découvrait le Mobile World Congress de Barcelone, raout mondial des télécoms où il a pu observer les stands de Huawei et d’Orange et échanger avec ses homologues du continent sur la nécessaire harmonisation des différents cadres juridiques.

À Kinshasa, le travail commence à payer. Ces dernières semaines, les annonces concernant la signature de projets de pose de fibre optique commencent à pleuvoir. Le 28 juin, l’équipementier égyptien Benya Capital a ouvert le bal en signant un contrat avec la Société congolaise des postes et télécommunications (SCPT) – opérateur historique et gestionnaire des infrastructures télécoms du pays – pour la pose et l’exploitation de 16 000 kilomètres de fibre optique.

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Facebook, Liquid Intelligent Technologies ou Africell sur le front

Quelques jours plus tard, Facebook et Liquid Intelligent Technologies (ex-Liquid Telecom) – qui dispose déjà de 2 500 kilomètres de fibre dans le pays – ont annoncé un partenariat pour la construction et l’exploitation d’un câble parcourant 2 000 kilomètres à vol d’oiseau, du centre du pays au point d’atterrissement du câble 2Africa, à Muanda. Le groupe contrôlé par le milliardaire zimbabwéen Strive Masiyiwa avait annoncé quelques mois plus tôt un autre projet conçu avec Orange prévoyant, lui, un câble de 4 000 kilomètres entre la ville de Kasumbalesa, dans le Haut-Katanga, et Inga, dans le Bas-Congo. Le coût de l’opération est estimé à 20 millions de dollars.

Notre objectif est de couvrir 50 % à 70 % du territoire d’ici trois ans

À son tour, la société britannique LMS Holdings a signé, fin juillet, un contrat dit build, operate, transfer avec la SCPT. Il prévoit la construction et la gestion d’un câble de 640 kilomètres reliant Kasindi à Bukavu, puis un transfert de compétences, mais aussi la rénovation des équipements de la station d’atterrissement du câble West Africa Cable System (Wacs) à Muanda ainsi qu’une meilleure informatisation de l’entreprise publique. Le contrat est estimé à 35 millions de dollars. « L’idée est de stimuler les investissements privés, mais aussi les partenariats public-privé », commente Augustin Kibassa Maliba.

L’ensemble de ces projets booste la confiance des investisseurs étrangers. L’IFC et deux sociétés de capital-investissement, Adenia Partners et African Infrastructure Investment Managers (AIIM), ont ainsi injecté 130 millions de dollars dans Eastcastle Infrastructure, un gestionnaire de tours télécoms qui prévoit d’en implanter de nouvelles en RDC notamment.

De son côté, Africell, quatrième opérateur du pays, a bien l’intention d’investir une part des 205 millions de dollars qu’il est parvenu à lever auprès de la coopération américaine et de plusieurs banques dans l’extension de son réseau et le développement de nouveaux services dans le pays.

Une gouvernance à éclaircir

« Notre objectif est de couvrir 50 % à 70 % du territoire d’ici trois ans », assure le ministre. Cet ambitieux engagement dépendra beaucoup de la façon dont les pouvoirs publics encadreront et accompagneront ces projets. Si le secteur privé se structure avec le soutien des institutions concernées, il faut encore que l’administration se coordonne afin de définir une gouvernance claire.

Pour l’instant, difficile de distinguer les prérogatives respectives d’Augustin Kibassa Maliba et de Désiré Cashmir Eberande Kolonge, le nouveau ministre du Numérique. « Des projets plutôt transversaux sont déjà attribués à mon collègue, indique le ministre des Télécoms, mais nous attendons encore l’ordonnance d’attribution des missions pour chaque ministère », indique-t-il à Jeune Afrique.

Une troisième personne est elle aussi censée intervenir dans les TIC : Dominique Migisha, conseiller spécial du chef de l’État chargé du numérique. Créé en mars 2019, ce poste semble néanmoins être davantage consacré à la promotion du Plan national du numérique avec une dimension moins opérationnelle.

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