Idi Amin, les Anglais et les télégrammes

Publié le 10 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

Il est dans le monde politique des personnages atteints d’une telle mégalomanie que leurs actes relèvent constamment soit de la farce grotesque, soit du tragique forfait. Idi Amin Dada était de ceux-là. On en découvre une nouvelle preuve aujourd’hui avec la publication, le 5 janvier, par les Archives nationales de Grande-Bretagne, d’un télégramme en date du 28 mai 1973 adressé par le dictateur ougandais au Premier ministre britannique Harold Wilson. « Je mets mes bons offices à la disposition des parties opposées en Irlande du Nord », écrit-il, avant de proposer la tenue d’une conférence de paix à Kampala, « loin du théâtre des opérations et des antagonismes ». À cette époque, l’Irlande était déchirée depuis 1968 par une guerre fratricide entre catholiques et protestants.

La terreur est comme l’argent, elle permet de s’offrir un peu n’importe quoi. Idi Amin, l’imagination en verve, s’était octroyé quelques titres qui faisaient de lui, excusez du peu, le « Président à vie, maréchal docteur el-Hadji Idi Amin Dada, Croix d’honneur, Victoria Cross – dont il arborait l’insigne fabriqué par un joaillier londonien qui y avait gravé, l’honneur est sauf, les mots Victorious Cross – Grand-Croix de la valeur militaire, Seigneur de toutes les bêtes de la Terre et de tous les poissons de la mer et, surtout, roi des Écossais, Vainqueur de l’impérialisme britannique en Ouganda et dans tout le reste de l’Afrique. »
Autant de titres qui confèrent tout de même quelques prérogatives… On dit qu’il se promenait parfois en kilt, un vêtement qui, s’il honore la silhouette des lords anglais élevés à l’eau chaude (thé) et au pur malt (whisky), n’avantage pas vraiment les mangeurs de matooke (banane cuite à l’étouffée, plat traditionnel ougandais) ayant tendance à l’embonpoint. Mais qu’importe. Le « roi d’Écosse » se sentait donc fort concerné par les avanies pouvant atteindre un morceau de sa « patrie » du Nord. À commencer par les difficultés d’argent. En décembre 1973, la représentation diplomatique britannique en Ouganda transmettait au royaume une offre du général Amin destinée à « sauver la couronne de la ruine ». Le premier choc pétrolier avait alors ébranlé les économies européennes, et le gouvernement conservateur d’Edward Heath vacillait. Les travaillistes réclamaient l’aide du Fonds monétaire international (FMI) pour remettre la Grande-Bretagne à flot. La situation économique était empoisonnée par de grandes grèves dans l’industrie et le taux de chômage culminait à un niveau record. Dans ce contexte tendu, l’Ouganda souhaitait offrir à sa « cousine » européenne un peu d’argent. Un autre télégramme rendu public par les Archives fait état de la compassion des Ougandais pour les « pauvres Anglais » victimes de la famine. Idi Amin informait le gouvernement de l’ancien colonisateur que son peuple avait fait une collecte et tenait à sa disposition quelque 10 000 shillings ougandais (l’équivalent de 4,35 euros !). Le 21 janvier 1974, il annonçait également que les habitants du district de Kigezi (sud-ouest du pays) souhaitaient faire don d’un camion chargé de légumes et de farine. Mais « il faut venir le chercher rapidement avant que sa cargaison ne se gâte », précise le télégramme.

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Aujourd’hui, de telles élucubrations prêtent à sourire. À l’époque, Whitehall grinçait des dents. Idi Amin, tyran sanguinaire, était inscrit sur la liste noire des Britanniques. Les diplomates peinaient à maintenir des relations à peu près normales et, en l’occurrence, ne répondaient que du bout des lèvres aux rocambolesques propositions du « roi d’Écosse ». Au jour de son renversement, en 1979, Idi Amin Dada sera reconnu responsable de la mort de plus de 300 000 personnes et de la ruine économique de son pays. Il avait gouverné avec tant de sauvagerie que, on l’apprendra plus tard, le secrétaire du Foreign Office de l’époque, lord Owen, avait envisagé de le faire assassiner.

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