Chaînes panafricaines : la rentabilité, seule ombre au plateau
Malgré de bonnes audiences, les chaînes panafricaines peinent encore à équilibrer leurs finances.
L’Afrique est à la mode et cela se voit, notamment à la télévision. Fini l’époque où les chaînes internationales utilisaient leurs déclinaisons continentales pour imposer leur vision du monde et rentabiliser des programmes produits pour d’autres audiences. Désormais, les téléspectateurs africains sont aussi chouchoutés que les Européens. On analyse leurs attentes, on sollicite leur avis…
À preuve, il y a quelques semaines, la chaîne européenne d’informations Euronews annonçait la création mi-2015 d’une petite soeur nommée Africanews. Prochainement, c’est Canal+ qui suivra la tendance en lançant à son tour une nouvelle chaîne proposant majoritairement des programmes africains.
Quant à France 24, elle entend consolider sa position sur le continent, confirme Marie-Christine Saragosse, la PDG de France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya). « En voyant émerger une classe moyenne africaine, les patrons ont compris qu’il était temps de changer de braquet pour se démarquer », constate François Thiellet, créateur début 2013 de Nollywood TV, consacrée à la fiction africaine.
Vocation panafricaine
Si les groupes audiovisuels internationaux parient sur le continent, c’est aussi parce que des télévisions à vocation panafricaine comme Télésud (lancée en 1998) et Africa 24 (2008) montrent la voie depuis plus d’une décennie. Pionnier parmi les pionniers avec Constant Nemale (fondateur de Télésud puis d’Africa 24), Ismaïla Sidibe, qui a créé Africable en 2004, a lui aussi remarqué que les aspirations de son audience évoluaient : « Il y a cinq ans, les téléspectateurs étaient férus de telenovelas brésiliennes et de films indiens. Maintenant, ils veulent aussi se voir à l’écran. C’est la raison pour laquelle nous investissons de plus en plus dans la production locale. »
Et la recette fonctionne. Selon le spécialiste d’études d’opinion TNS-Sofres, Africable obtient 24 % d’audience à Libreville et France 24, dont le budget est plus de dix fois supérieur, ne la devance que de quelques points (27 %).
À Douala et Yaoundé, Africa 24 (12 %) parvient presque à faire jeu égal avec sa consoeur française (16 %), tandis qu’à N’Djamena Voxafrica opère une percée (7 %), même si son score reste loin de ceux de TV5 Monde (14 %) et de France 24 (24 %) (voir infographie). Qu’elles soient réalisées par TNS-Sofres ou Médiamétrie, les études sont néanmoins souvent contestées. Les patrons de chaîne leur reprochent notamment de ne reposer que sur des enquêtes et non sur des données électroniques.
Africa n°1 de retour ?
Très mal en point, la radio est devenue quasi inaudible. Mais son actionnaire majoritaire pourrait venir la sauver. Alors que le paysage télévisuel du continent est en pleine effervescence ces dernières années, la situation n’est guère brillante dans le domaine radiophonique.
À l’exception des géants que sont RFI et la BBC, très peu de chaînes panafricaines se distinguent. Radio phare en Afrique subsaharienne dans les années 1980, Africa n° 1 est devenue inaudible. Placée en redressement judiciaire depuis plus de deux ans, elle n’émet plus qu’au Gabon.
Modèle économique
Mais c’est à l’aune de leurs états financiers qu’il convient de mesurer la solidité du modèle économique de ces télévisions panafricaines. Parmi les généralistes, Africable et Voxafrica présentent sans doute les stratégies les plus lisibles. « Africable est rentable depuis sa troisième année d’activité », assure Ismaïla Sidibe.
D’après lui, la chaîne installée à Bamako affiche une marge nette oscillant entre 5 % et 10 % de son chiffre d’affaires (4,5 milliards de F CFA, soit 6,7 millions d’euros).
« Notre modèle repose à 70 % sur les recettes publicitaires et à 30 % sur des contrats de sponsoring, sur de l’événementiel et sur la réalisation d’émissions commandées », détaille le patron. Afin de poursuivre le développement de son groupe, l’homme de médias, reconnu pour sa capacité à optimiser ses coûts, mise notamment sur la création de chaînes thématiques, telle Maïsha TV, la première télévision destinée aux femmes, lancée début 2013.
Voxafrica, détenue par le Camerounais Paul Fokam Kammogne et l’Ivoirien Bernard Koné Dossongui, fonctionne selon un modèle légèrement différent. Diffusée depuis Londres, elle vise aussi la diaspora et possède en Europe comme sur le continent deux signaux, l’un en français, l’autre en anglais. C’est d’ailleurs au Royaume-Uni qu’elle obtient sans doute ses meilleurs résultats financiers en séduisant des annonceurs tels que Western Union, MoneyGram ou L’Oréal. Néanmoins, elle n’a pas encore équilibré son budget global selon sa direction, qui tient ses chiffres confidentiels.
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L’indépendance financière reste en revanche hors de portée des chaînes d’informations. « Dans la plupart des cas, elles sont créées dans le cadre de stratégies d’influence », décrypte Pierre Jalladeau, directeur Afrique de Canal France International, l’organe de coopération audiovisuelle de l’État français. Détenue par Constant Nemale à hauteur de 77,9 %, Africa 24 a ouvert son capital à la Guinée équatoriale (17,10 %) et au Cameroun (5 %). Aujourd’hui déficitaire, la chaîne espère néanmoins équilibrer ses charges (9 millions d’euros) en 2015, précise la direction, qui prépare l’installation de son siège à Malabo.
Annoncée pour 2015, Africanews (un investissement de 90 millions d’euros sur les six prochaines années) bénéficiera elle aussi d’un soutien institutionnel important grâce au partenariat signé, via Télé Congo, avec Brazzaville. Seule chaîne d’informations à avoir tenté l’aventure en ne misant que sur des capitaux privés, Al-Qarra a dû arrêter d’émettre en juillet 2013 faute de financements, après un peu plus d’un an d’antenne.
Marché publicitaire : l’inconnue
Reste une inconnue majeure : le marché publicitaire est-il suffisamment important pour soutenir le développement de toutes les chaînes panafricaines ? « Au regard des montants globaux investis en Côte d’Ivoire, la part des dépenses affectée à ces télévisions est minime », estime Monica Mollon, de l’institut de sondage abidjanais Omedia. Stéphane Akoto, responsable médias de l’agence de publicité Océan Ogilvy Côte d’Ivoire, constate néanmoins une hausse des budgets chez certains de ses clients, passant de quelques millions à plusieurs centaines de millions de F CFA.
Le succès par la proximité
L’un des écueils qui menacent les chaînes panafricaines vient de leur nature même. « Chaque pays a des habitudes et des attentes différentes. Le succès des télévisions internationales dépend de la qualité de l’offre locale », souligne Christophe Gondry, directeur du cabinet d’études Omedia Group. Il en donne pour preuve la contre-performance des télévisions panafricaines à Dakar, où leurs consoeurs sénégalaises les dominent aisément.
« C’est un combat permanent, admet Ismaïla Sidibe, PDG d’Africable. Pour renforcer notre ancrage, nous créons des événements, comme la Caravane de l’intégration, qui parcourt onze pays africains. Nous diffusons également un résumé des journaux nationaux de dix pays chaque soir. »
Une stratégie de proximité incontournable pour la plupart des chaînes à vocation continentale. Voxafrica, dont le siège est installé à Londres, a ouvert deux bureaux régionaux à Yaoundé et Abidjan et propose depuis un an des programmes spécifiques consacrés aux capitales du continent. Résultat, la chaîne a réussi à décrocher un contrat publicitaire au Cameroun avec la SABC, la première brasserie nationale.
J. M.
« Même si on enregistre une progression des chiffres d’affaires réalisés, il faut rester très prudent. Je vois encore beaucoup de projets fondés sur des prévisions irréalistes », estime pour sa part Pauline de Cardes, directrice commerciale internationale de la régie France Télévision Publicité, qui travaille notamment pour France 24 et Africable.
Parmi les annonceurs intéressés, on retrouve sans surprise les télécoms et les banques, suivis par l’industrie pharmaceutique et les boissons alcoolisées. Mais les autres secteurs tardent à se manifester.
Studios
Dans leur quête de rentabilité, les antennes panafricaines profitent néanmoins d’un environnement favorable. La baisse des coûts de production et de transmission réalisée grâce aux technologies numériques a permis à la plupart d’entre elles d’améliorer la qualité de leurs programmes. « Je possède déjà trois studios et le matériel de tournage. Créer une nouvelle chaîne ne coûte que 150 000 euros environ et les banques me soutiennent sans problème », assure le patron d’Africable.
À cela s’ajoute la multiplication des moyens de diffusion. En Afrique francophone, il existe au moins quatre bouquets satellites (CanalSat, Startimes, AB et My TV) et plusieurs dizaines de réseaux hertziens (MMDS). Sans compter l’émergence prochaine de la consommation nomade sur les tablettes et les smartphones.
L’adoption, à partir de 2015, de la télévision numérique terrestre (TNT) par les États africains devrait élargir l’audience de la plupart des chaînes panafricaines. Dans chaque pays, cette technologie permettra à une dizaine de canaux (locaux et internationaux) de toucher l’ensemble de la population. Malheur aux absents.
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