De guerre lasse ?

Après plusieurs accords de paix restés lettre morte, celui signé le 30 décembre entre le pouvoir et le mouvement rebelle de Casamance fait renaître l’espoir d’un retour à la normale. Projets de développement à l’appui.

Publié le 10 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

Le président Abdoulaye Wade n’a pas ménagé ses efforts pour imprimer à cette journée ensoleillée de fin décembre toute la solennité des moments d’histoire. À la tête d’une délégation de membres du gouvernement, mais aussi de décideurs économiques et d’autorités coutumières, le chef de l’État sénégalais a paraphé l’accord de paix signé le 30 décembre par son ministre de l’Intérieur, Ousmane Ngom, et le chef de l’aile politique du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC, une rébellion qui sévit dans la région sud du pays depuis 1982), l’abbé Diamacoune Senghor.
Fruit de longues tractations secrètes entre le général de gendarmerie Abdoulaye Fall et le chargé de mission à la présidence Abdou Latif Aïdara, côté gouvernemental, et les lieutenants de Diamacoune, dans le camp adverse, le document constitue une réelle avancée vers la résolution du conflit fratricide qui endeuille la Casamance depuis vingt-deux ans. Le MFDC s’y engage à « renoncer définitivement à la lutte armée et à l’usage de la violence ». L’accord prévoit la création d’un Conseil de surveillance de l’accord de paix (Csap, composé de représentants de l’État, du MFDC et de la société civile), la mise en place d’un groupe d’observateurs comprenant des éléments de l’armée régulière et de l’aile militaire de l’ex-rébellion, chargé de mettre en oeuvre la démobilisation, le désarmement et le cantonnement des combattants rebelles. Mais aussi de stocker leurs armes sous le contrôle du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho) et de l’Ajac, une ONG locale. Une autre clause prévoit le déploiement, à leur demande, dans les corps paramilitaires de l’État, des ex-rebelles âgés de moins de 25 ans qui remplissent les conditions d’instruction et d’aptitude physique et médicale.
Originalité de la démarche sénégalaise de sortie de crise, l’accord du 30 décembre ne sanctionne pas des pourparlers, mais définit « le cadre global de la paix, à l’intérieur duquel des négociations vont être menées ». L’heure est à l’optimisme. Après les défunts accords de 1991 (signé à Cacheu, en Guinée-Bissau) et de 1999 (conclu par le général Lamine Cissé, alors ministre de l’Intérieur, à l’issue de quatre conclaves à Banjul, en Gambie), les Casamançais espèrent que cette fois sera la bonne.
Pour payer « le prix de la paix », et satisfaire la revendication économique à la base de la rébellion, l’État a décidé de ne pas lésiner sur les moyens. Une enveloppe de 80 milliards de F CFA a d’ores et déjà été promise pour assurer la reconstruction de la Casamance. « Sous la coordination du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), les bailleurs de fonds étrangers vont débourser 60 milliards de F CFA. Le reste sera financé par le budget du Sénégal », nous a confié le président Wade. Une Agence nationale pour la relance des activités économiques et sociales en Casamance (Anrac) a été créée par décret présidentiel en juillet 2004, pour effacer les effets de vingt-deux ans de conflit sur les conditions de vie de la population.
L’opinion sénégalaise, lasse de la prise en otage de la région sud par une rébellion qui s’est criminalisée au fil des années, est confortée dans ses espoirs de retour de la paix par la présence à la cérémonie de signature de l’accord de Lansana Goudiaby, de Mamadou Goudiaby et de Bertrand Diamacoune, influents lieutenants du chef historique du MFDC. Mais également d’Ansoumana Badji, représentant du mouvement à Lisbonne, docteur ès lettres en portugais, professeur visiteur aux universités de Luanda, Maputo…
Last but not least, l’accord du 30 décembre est intervenu dans une conjoncture des plus favorable au gouvernement. « L’environnement sous-régional du conflit s’est modifié au profit de l’État, précise Babacar Justin Ndiaye, politologue et spécialiste de la crise casamançaise. Abdoulaye Wade a eu la chance d’accéder au pouvoir au moment où Nino Vieira a été renversé en Guinée-Bissau et où nos rapports avec la Gambie et la Mauritanie se sont améliorés. »
Ces éléments en faveur d’un retour définitif de la paix cachent quelques sources d’incertitude.
Comme pour tempérer l’enthousiasme ambiant, l’abbé Diamacoune a averti que le silence définitif des armes découlera des « réponses appropriées » qu’apportera le gouvernement aux revendications de l’ex-rébellion au cours des discussions qui vont s’ouvrir. Babacar Justin Ndiaye avertit à cet égard : « L’accord nous sort du cycle de la violence. Mais nous devons éviter de nous complaire dans une négociation interminable qui sera une aubaine pour les francs-tireurs contre la paix. »
La plus grande inquiétude réside toutefois ailleurs. Le MFDC est aujourd’hui une véritable tour de Babel, une organisation morcelée par des dissidents qui contestent ouvertement l’autorité de leur leader. La veille de la signature de l’accord de paix, Mamadou Nkrumah Sané, représentant du mouvement en France, s’est fendu d’une lettre ouverte à Diamacoune, largement relayée par la presse locale. « Nous t’interdisons vivement, y somme-t-il le prélat, dans l’intérêt du peuple de Casamance et de notre mouvement, de signer cette prétendue paix qui n’est rien d’autre qu’une déclaration de guerre contre notre pays, la Casamance. » Dans la foulée, Magne Diémé, qui s’est autoproclamé chef du front nord de la rébellion, s’est désolidarisé de l’accord.
Comme d’autres de même nature, le conflit a généré des situations de rente qui constituent autant d’écueils à sa résolution. « La guerre, les affaires, le cimetière »… Il y a en Casamance, pour illustrer cette phrase de Jacques Prévert, ceux qui se battent, ceux qui comptent les coups et ceux qui tiennent boutique. Le président sénégalais assure avoir ces derniers « à l’oeil ». Il s’attelle d’ores et déjà à reconstituer le « vouloir vivre en commun », un meilleur arrimage de la Casamance au reste du pays.

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