Économie : pas de panique !

Pour les pays dévastés, les conséquences seront relativement peu importantes et limitées dans le temps. Pour les particuliers, c’est une autre histoire…

Publié le 10 janvier 2005 Lecture : 6 minutes.

Disons-le tout net, au risque de choquer tous ceux qui, face à la catastrophe de l’océan Indien, s’en tiennent à une attitude purement compassionnelle : d’un point de vue économique, contrairement à ce qu’ont laissé entendre la plupart des médias et des spécialistes de l’aide, les conséquences du tsunami seront relativement peu importantes et très limitées dans le temps. Les marchés financiers, qui ne font pas de sentiment, ne s’y sont pas trompés : si, au lendemain du drame, les devises des pays de la région ont perdu une partie de leur valeur face au dollar, elles se sont depuis spectaculairement redressées, le bath thaïlandais et la roupie sri lankaise retrouvant même, début janvier, un cours légèrement supérieur à celui du 24 décembre, dernière journée de cotation avant le drame. Il en a été de même pour les marchés boursiers.
La seule estimation globale des dégâts dont on dispose, celle de Munich Re, la plus grande société mondiale de réassurance, avoisine 14 milliards de dollars. C’est beaucoup en valeur absolue et peu en termes relatifs, en raison même de la pauvreté de la plupart des territoires concernés. Ainsi, cette somme représente à peine 10 % du montant des destructions constatées au Japon après le séisme de Kobe, en 1995 (5 000 morts). Pour évoquer un cas plus comparable, c’est l’équivalent du coût du tremblement de terre qui a dévasté une petite partie de l’Arménie, il y a une dizaine d’années. Quatorze milliards, cela représente entre 1 % et 2 % du Produit national brut (PNB) global des pays les plus touchés par le tsunami. À titre indicatif, le montant des dégâts récemment provoqués au Honduras par l’ouragan Mitch représentait plus de 40 % du PNB !
Bien entendu, la situation économique des pays n’a rien à voir avec celle des particuliers : cette dernière peut être des plus précaires alors que le PNB ou d’autres indicateurs macroéconomiques se trouvent peu affectés. Même à ce niveau, il est probable que, dans de nombreuses régions, la reprise des activités sera beaucoup plus rapide qu’on l’imagine. Les étrangers présents en Thaïlande ou au Sri Lanka témoignent tous de la célérité avec laquelle, les morts à peine enterrés ou incinérés, les travaux de restauration des infrastructures (routes, plages, etc.) et de reconstruction des bâtiments ont été entrepris. Le fait que seule une frange côtière ait été touchée facilite d’ailleurs grandement cette entreprise de réhabilitation des sites sinistrés.
Il suffit de se souvenir que tous les pays de la zone avaient retrouvé beaucoup plus vite que prévu le chemin de la croissance après la « crise asiatique » de la fin des années 1990 pour ne pas se montrer trop étonné par leur réactivité. Et pour comprendre qu’ils comptent d’abord tous sur leurs propres forces pour relancer, très vite, l’activité. Aucune raison, donc, de se montrer surpris, et encore moins scandalisé, par les réticences – et même le refus, dans le cas de l’Inde – de faire appel à l’aide internationale, comme en témoignent diverses déclarations officielles, dont celle du Premier ministre thaïlandais, après la catastrophe. De toute façon, ces pays ont connu ces derniers temps une période de très forte croissance (plus de 5 %, partout, en 2004) : ils sont plutôt bien armés pour engager sans tarder la reconstruction. Il n’en reste pas moins que la situation varie sensiblement d’un pays et d’une région à l’autre.
C’est en Thaïlande, sans doute, qu’on a pu voir sur les chaînes de télévision du monde entier les images de destructions les plus spectaculaires, en raison du grand nombre de touristes occidentaux présents dans la région balnéaire de Phuket, la plus touchée. C’est aussi dans ce pays, du fait surtout de l’importance de l’industrie touristique (12 millions de touristes, plus de 6 % du PNB), qu’on imaginait que les effets économiques de la catastrophe seraient les plus importants. Ce ne devrait pas être le cas. Car la zone sinistrée, qui sera de nouveau presque entièrement opérationnelle dans les mois à venir, ne représentait qu’un cinquième de l’offre touristique. Quant au secteur de la pêche, il pourrait redémarrer assez vite, même pour ceux qui ont perdu leurs embarcations, grâce à un programme de prêts à taux d’intérêt quasi nul déjà mis en route par le gouvernement. Au total, d’après les estimations des autorités corroborées par celles des experts occidentaux, la catastrophe ne devrait coûter à la Thaïlande, en 2005, qu’entre 0,3 % et 0,4 % du PNB. Alors que l’augmentation du revenu national devrait atteindre plus de 6 %.
Au Sri Lanka, le tourisme et la pêche représentent, ensemble, à peine plus de 5 % du PNB. Et ces secteurs ne sont pas, loin de là, entièrement sinistrés, même si les pêcheurs ont payé au tsunami un lourd tribut humain et matériel (30 000 bateaux, en général non assurés, et dix des douze principaux ports sont endommagés). Les principales ressources économiques du pays – l’agriculture et l’industrie, mais aussi les revenus des émigrés au Moyen-Orient – n’ont pas été sérieusement affectées. Tout au plus nourrit-on quelques inquiétudes pour la production de certaines rizières envahies par l’eau de mer. La perspective d’un moratoire sur le remboursement de la dette (près de 10 milliards de dollars) et d’une prolongation de la trêve entre les forces gouvernementales et les rebelles tamouls rassure par ailleurs les économistes, qui craignent tout au plus une perte comprise entre 1 % et 2 % du PNB. Lequel, sans la catastrophe, aurait dû augmenter d’environ 5 % en 2005.
En Indonésie, le pays qui a subi les plus lourdes pertes en vies humaines, l’économie est peu dépendante des activités touristiques (2 % du PNB) – celles-ci sont d’ailleurs surtout développées dans des régions épargnées par la catastrophe (Bali notamment) – ni même de la pêche. Les dégâts dans la partie nord de Sumatra, l’une des plus pauvres et des plus isolées du pays en raison notamment de la présence d’une guérilla séparatiste, sont certes considérables, et les réfugiés innombrables. Mais, à l’échelle du plus grand pays musulman de la planète (230 millions d’habitants), la tragédie n’aura pas d’impact significatif sur le revenu national. D’autant que les sites de production de gaz et de pétrole situés dans une zone proche de l’épicentre du séisme ne semblent pas avoir subi de dommages. Quant à la perspective d’un report du paiement de la dette extérieure, elle ne peut évidemment que réjouir les dirigeants d’un pays qui doit plus de 100 milliards de dollars à ses créanciers.
En Inde, malgré le nombre élevé des victimes et des sinistrés, l’impact de la catastrophe sur l’économie de l’État du Tamil Nadu, essentiellement agricole, sera faible. Et négligeable au niveau national, dans ce pays de 1,1 milliard d’habitants, en pleine expansion. Il en sera de même en Malaisie et, sans doute, en Birmanie, bien que la fermeture du pays n’autorise aucune certitude. En revanche, les Maldives, durement frappées et très dépendantes du tourisme (20 % du PIB) et de la pêche (75 % des exportations), mettront probablement plus de temps à relancer totalement l’activité.
Au total, tout montre donc que les pays d’Asie frappés par le tsunami seront, d’une manière générale, peu affectés au niveau économique global par la catastrophe. Son impact, à l’échelle des États, se révélera vite relativement peu important. Mais les individus et les familles, dans de nombreuses régions et tout particulièrement celle d’Aceh, en Indonésie, risquent pour leur part de mettre longtemps à retrouver des moyens de vivre et de travailler. Les plus pauvres parmi les artisans, les commerçants et, surtout, les pêcheurs, souvent incapables d’obtenir des prêts pour racheter un bateau et du matériel, pourront difficilement s’en sortir avant longtemps sans une aide directe des autorités ou de toute autre origine. L’obtiendront-ils partout ?

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