Au pays des entrepreneurs

Avec un peu d’audace et beaucoup d’imagination, certains patrons se lancent dans des activités innovantes. Et parviennent à s’imposer sur des créneaux originaux.

Publié le 10 janvier 2005 Lecture : 8 minutes.

Manobi
Une pépinière d’idées
« Partout, toujours… l’e-business pour tous. » La jeune PME franco-sénégalaise Manobi, spécialisée dans les technologies de pointe alliant l’Internet et le téléphone, tient ses promesses. Parmi ses clients, elle compte des agriculteurs et des pêcheurs – une frange de la population qui a généralement peu accès à ce type de service. Tous les matins, avant de faire le tour de son exploitation de Keur Ndiaye Lô (à environ 30 km de Dakar), Mamadou Lamine Sané utilise son téléphone portable. Pas pour passer un coup de fil, mais pour se connecter à Internet. Grâce aux services multimédias développés par Manobi, l’agriculteur se renseigne quotidiennement sur l’offre et la demande des marchés locaux, consulte les prix auxquels ses produits (choux, oignons et tomates) doivent être vendus ou reçoit un courrier électronique.
C’est en 2000 que Daniel Annerose, directeur général de Manobi, et plusieurs chercheurs français ont l’idée de lancer un système d’échange entre les producteurs et les commerçants. Aujourd’hui, Manobi dispose de plusieurs enquêteurs sur les principaux marchés du pays. Ils relèvent les prix d’une soixantaine de produits agricoles pour 150 à 200 abonnés.
En 2004, la société lance de nouveaux services pour renforcer la sécurité des pêcheurs en mer. Grâce à leurs portables, ces derniers reçoivent l’information météorologique en temps réel et peuvent lancer un SOS depuis le large. Manobi étudie actuellement avec son partenaire, la Sonatel, le moyen d’étendre la couverture du réseau de téléphone mobile à plus de 12 km des côtes.
Afin d’élargir le champ de leurs activités, les responsables de Manobi ont développé des services comme la géolocalisation, qui permet la gestion en temps réel et à distance d’un parc automobile. Cet outil est très apprécié par les sociétés qui doivent assurer la maintenance d’un réseau de distribution d’eau ou d’électricité. Manobi propose également aux collectivités locales de nouveaux systèmes de gestion du cadastre à travers les systèmes d’information géographique et la cartographie.
En septembre 2004, la jeune entreprise ouvre un bureau à Johannesburg, en Afrique du Sud, pour développer ses services en Afrique australe. Deux mois plus tard, la société reçoit au Dôme de Johannesburg le « Top ICT Company 2004 » et l’« Award of the Most Innovative African Company » lors des Oscars africains des technologies de l’information et de la communication, qui récompensent les meilleures innovations.

Senbus
Au service de la collectivité
Le défi est ambitieux et difficile à relever. Pour Senbus Industries, il s’agit, ni plus ni moins, de détrôner le constructeur japonais Toyota sur le marché ouest-africain des ventes de véhicules de transport en commun. Un peu plus d’un an après l’inauguration par le chef de l’État, Abdoulaye Wade, de la première usine de montage à Thiès, Senbus Industries a sorti de sa chaîne de production quelque 46 bus. Ses premiers clients sont les Industries chimiques du Sénégal, le Port autonome de Dakar et la Société industrielle du Cap-Vert (Sicap). Un résultat certes modeste, mais qui prouve qu’il est possible de se lancer dans l’industrialisation pour peu que l’on dispose d’un partenaire solide.
L’entreprise est le fruit d’une coopération réussie avec la firme indienne Tata, sixième producteur mondial de véhicules commerciaux, qui fournit le châssis et les roues. Les ouvriers de Senbus Industries montent la cabine et tout l’habitacle à partir d’éléments importés ou confectionnés sur place. Environ 30 % de la valeur ajoutée est réalisée dans l’usine d’assemblage de Thiès, mais, à terme, les responsables de la société souhaitent augmenter la part des travaux effectués in situ. « Des petites et moyennes entreprises pourront s’installer à proximité de notre usine pour nous fabriquer les vitres, les sièges et d’autres pièces », indique Biram Fall, directeur général de Senbus Industries.
La production devrait connaître un nouvel élan en janvier 2005, puisque la société a reçu une commande de 600 unités dans le cadre du Programme d’amélioration de la mobilité urbaine (Pamu) financé par la Banque mondiale. Cette initiative vise à améliorer la circulation dans l’agglomération de Dakar, notamment en renouvelant le parc de transports en commun existant, composé notamment de cars rapides. Sur les trois prochaines années, la capitale devrait remplacer quelque 3 000 d’entre eux. Au total, le Sénégal compte actuellement 9 000 autobus en service, pour la plupart en fin de course. Mais les responsables de Senbus Industries visent également le marché privé et sous-régional : « Nous sommes en discussion avec plusieurs entreprises publiques et privées au Mali, au Niger, en Mauritanie et en Gambie », précise Biram Fall. Avec un argument choc : le prix, beaucoup moins élevé que celui de la concurrence. Un bus de 32 places, payé 22 millions de F CFA dans le cadre du Pamu, coûte 26 millions aux transporteurs privés. Prochainement, la société devrait débuter l’assemblage de cars d’une capacité de 42 à 60 places. Une centaine d’employés ont déjà été recrutés et la production annuelle, à en croire les responsables, permettra d’assurer 200 emplois permanents pour l’usine et 500 pour les PME sous-traitantes.

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Chaka
L’informatique vocale en pointe
« Virginie Baudoin, bonjour ». Celle qui répond au téléphone de Dakar n’est autre que Fatoumata, une Sénégalaise qui a emprunté un nom qui « sonne bien français ». Travaillant pour le centre d’appels de Call me, prestataire pour une entreprise parisienne qui a préféré délocaliser ses services, elle ne doit en aucun cas laisser imaginer à son interlocuteur qu’il a affaire à quelqu’un d’extérieur à l’entreprise. Une pratique courante pour les nombreux téléopérateurs de la capitale sénégalaise, qui ne retrouvent leur véritable identité qu’une fois leur journée de travail achevée.
Dakar est ainsi devenu, en l’espace de deux ans, l’eldorado des centres d’appels et du télémarketing. Filiale du groupe Chaka qui a récemment ouvert une autre antenne au Mali, Call me s’est imposé dans la gestion de la relation « client à distance » pour le compte d’entreprises sénégalaises et françaises. Elle travaille pour des sociétés de services (eau, électricité, téléphone, etc.) et assure, par exemple, l’émission et la réception de leurs communications téléphoniques pour le renseignement et l’identification des incidents ou réalise des enquêtes spécifiques sur les consommateurs. Call me compte parmi ses clients les opérateurs de téléphonie Sonatel et Sentel, la Sénélec, l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor de Dakar et de nombreuses banques d’Afrique de l’Ouest.
« L’abonné qui appelle pour un renseignement ou une réclamation ne fait pas de différence entre les téléopérateurs et les agents de la société qu’il croit contacter », explique El-Hadj Malick Seck, directeur général de Call me. Afin d’optimiser la relation clientèle, la société recrute son personnel parmi les jeunes qui disposent d’une qualification commerciale ou marketing d’un niveau minimum bac + 2. Les téléopérateurs doivent, par ailleurs, avoir un profil linguistique particulier en fonction des missions qui leur sont assignées en français, en anglais, en espagnol ou en langue locale. Aujourd’hui, le groupe Chaka emploie plus de 130 salariés dont 75 téléopérateurs au Sénégal et quelque 60 personnes au Mali.
L’aventure a débuté en 1994. Tirant profit de son expérience accumulée dans le groupe français Stéria, l’ingénieur sénégalais Meïssa Deguène Ngom regagne son pays natal et fonde Chaka Computer. À force de persuasion, de nombreuses institutions et sociétés, soucieuses d’être à l’écoute de leurs clients 7 jours sur 7, lui confient l’élaboration et la mise en place de serveurs vocaux et de systèmes de téléphonie prépayée. Afin de s’adapter aux réalités régionales, tous les procédés techniques sont développés au Sénégal, par une vingtaine d’ingénieurs et techniciens.
En 2002, le groupe lance Money Express, un nouveau service à l’intention des banques. Plusieurs établissements d’Afrique de l’Ouest utilisent ce système par le biais du réseau Internet. « Notre site permet à nos clients d’envoyer de petites sommes assorties de faibles commissions, contrairement à ce que propose la concurrence. Nous voulons que les Africains utilisent des voies sûres et formelles pour transférer leur argent », précise El-Hadj Malick Seck. Le groupe Chaka étudie actuellement l’implantation de nouvelles filiales en Gambie et au Ghana et entend se positionner comme leader des solutions CTI (couplage téléphonie-informatique) en Afrique de l’Ouest.

CCBM
Des projets à long terme
D’ici à deux ans, Dakar devrait avoir le plus beau gratte-ciel de toute l’Afrique de l’Ouest. C’est du moins l’ambition de Serigne Mboup, 38 ans tout juste, jeune président-directeur général du Comptoir commercial Bara Mboup (CCBM). Le 10 décembre dernier, il a dévoilé son tout dernier projet immobilier, « la Tour de la démocratie », dans la salle de conférences de l’hôtel Méridien Président de Dakar et devant une assistante ébahie. De nombreuses personnalités avaient fait le déplacement, dont le ministre d’État à la présidence Cheikh Tidiane Sy, le ministre de l’Habitat et de la Construction Salif Bâ, le chanteur Youssou Ndour et la directrice générale de l’Apix Aminata Niane.
Sur rétroprojecteur géant, les architectes sud-africains, partenaires de l’initiative, ont révélé les détails de cette tour high-tech de 26 étages, qui s’élèvera en plein coeur de la capitale, face à l’Assemblée nationale. Aux premiers niveaux, une galerie marchande accueillera de grandes enseignes du luxe et de la mode, un palais des congrès et un centre de thalassothérapie. Au-dessus s’élèveront dix étages de bureaux paysagers, puis une soixantaine d’appartements donnant sur la ville et sur l’océan Atlantique. Enfin, aux derniers étages, trois duplex de 600 m2 avec piscine et jardin privatif.
Avec ce nouveau projet, le groupe CCBM, qui pèse déjà plus de 35 milliards de F CFA de chiffre d’affaires, poursuit son développement et s’affirme comme un acteur incontournable de l’économie sénégalaise. Une ascension très rapide, car le commerce paternel fondé dans les années 1960 par le père de Serigne, Bara Mboup, opérait encore largement dans le secteur informel jusqu’en 1992. La petite entreprise familiale est devenue, en moins de quarante-cinq ans, un holding comptant douze filiales dans l’immobilier, la distribution, la production de biens alimentaires, électroniques, électroménagers ainsi qu’informatiques, et plus de six cents employés. Tous les Sénégalais connaissent le groupe ou, du moins, ses enseignes, particulièrement les supérettes de la chaîne Pridoux, dont plusieurs sont gérées par des franchisés. CCBM est également présent, via Atlas Voyage, dans le domaine de la vente de billets d’avion, les excursions et les circuits touristiques.
Serigne Mboup ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Ses nombreux déplacements en Asie lui ont donné l’idée d’ouvrir un parc industriel près de Dakar en 2006. Cet espace regroupera des unités de production de biens de consommation et d’équipements ainsi qu’un grand centre de distribution.

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