Une si longue absence

Rien ne confirme que le chef d’al-Qaïda soit mort, mais des témoignages diffusés par Al-Jazira permettent d’avoir de solides informations sur l’homme traqué.

Publié le 9 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Sa dernière apparition sur les écrans de télévision remonte à plus de deux ans. Le plus récent de ses prêches diffusés sur Internet date de décembre 2005. Une aussi longue absence d’Oussama Ben Laden, le fugitif le plus célèbre de la planète, inspirateur et commanditaire des attentats du 11 Septembre, n’entame en rien la fascination qu’il exerce sur les limiers chargés de sa traque, sur les médias et les opinions, occidentales ou autres. Au lendemain de la commémoration du cinquième anniversaire du 11/9, le chef d’al-Qaïda continue d’occuper le devant de la scène. Le 23 septembre, un quotidien régional, L’Est républicain, a fait état d’une note des services de renseignements français annonçant, sur la base d’informations saoudiennes, la mort de Ben Laden : il aurait été emporté par une fièvre typhoïde. L’information a embarrassé le président Jacques Chirac, qui a botté en touche et ordonné l’ouverture d’une enquête sur la divulgation du document top secret. Philippe Douste-Blazy, le ministre des Affaires étrangères, est allé plus loin et a affirmé que Ben Laden était toujours vivant. La longévité du personnage, dont la traque mobilise les moyens les plus sophistiqués et les meilleurs limiers américains, au prix de quelques milliards de dollars, s’explique sans doute par la qualité de sa « planque ». Et le manque d’information stimule la rumeur et peut alimenter l’intox. On se souvient de ces informations « recoupées » qui annonçaient la présence d’Oussama Ben Laden dans une clinique émiratie, alors que l’administration Bush préparait sa campagne en Afghanistan. Le diagnostic ? Une grave pathologie rénale aurait contraint le chef d’al-Qaïda à une dialyse hebdomadaire.
À chaque fois cependant, les observateurs notent un élément essentiel : l’absence de toute confirmation de ces allégations dans les sites Internet contrôlés par la nébuleuse djihadiste : « Si Ben Laden est mort, on l’apprendra sûrement, d’abord, à travers les relais virtuels de ses partisans, affirme un spécialiste arabe. Dans l’optique de ces groupes, le martyre d’un dirigeant n’est pas, loin de là, démobilisateur. Rien dans leur logique ne les incite à taire le décès d’un homme comme Ben Laden. » Telle est aussi l’opinion des médias israéliens, bien informés sur ce point.
La chaîne qatarie Al-Jazira a commémoré ce cinquième anniversaire en aménageant sa grille des programmes. Émission vedette : un portrait inédit d’Oussama Ben Laden. Ce long documentaire (deux fois cinquante-deux minutes), un travail remarquable d’Ahmed Zidane, le correspondant d’Al-Jazira à Islamabad, fait appel aux rares témoins qui ont rencontré Ben Laden après le 11 Septembre. Parmi eux, le professeur pakistanais Amir Aziz, un chirurgien qui a ausculté l’homme traqué à deux reprises, dont l’une en novembre 2001, autrement dit au moment où les B-52 de l’aviation américaine bombardaient l’Afghanistan. Le médecin est formel : son patient ne souffrait d’aucune pathologie rénale. Donc, pas de dialyse dans les montagnes d’Afghanistan.
Autre révélation apportée par Ahmed Zidane : les relations troubles entre le milliardaire saoudien (déchu de sa nationalité en 1994) et les autorités pakistanaises. Sollicités pour un témoignage, Nawaz Charif et Benazir Bhuto, deux anciens Premiers ministres, se sont excusés en invoquant des problèmes de sécurité. Il n’en demeure pas moins que durant leurs mandats, Ben Laden entretenait d’excellentes relations avec le gouvernement pakistanais et coordonnait ses activités avec l’Inter Service Intelligence (ISI), les services secrets pakistanais. Il est vrai que l’Afghanistan a toujours constitué une priorité pour les autorités d’Islamabad. Personnage clé dans ce pays depuis le djihad contre l’armée Rouge, à la fin des années 1980, bailleur de fonds du régime des talibans, ces étudiants intégristes qui avaient pris le contrôle de Kaboul en 1995, Oussama Ben Laden était un interlocuteur de choix pour les barbouzes pakistanais. D’autant que c’est l’ISI qui lui avait suggéré, en 1989, de fédérer l’ensemble des volontaires arabes à la suite de la disparition du Jordanien Abdallah Azzam, véritable fondateur du courant djihadiste, dans un attentat à la voiture piégée, à Peshawar. Amir Imam ed-Dine, coordinateur des services secrets pakistanais en Afghanistan, confirme que c’est bien l’ISI qui est à l’origine de la création d’al-Qaïda.
Autre révélation du documentaire : les relations avec le général Pervez Musharraf, chef de l’État pakistanais, objet de plusieurs tentatives d’assassinat par al-Qaïda, n’ont pas toujours été conflictuelles. Ben Laden fut la première, et sans doute la seule, personnalité arabe à lui envoyer un message de félicitations après l’essai de la bombe atomique pakistanaise. « Savoir qu’un pays musulman dispose de l’arme nucléaire me comble », lui avait déclaré Oussama Ben Laden.
Le témoignage de Hamid Gul, ancien chef de l’ISI, se veut une tentative de dédouanement du gouvernement pakistanais. « La vision politique et la stratégie de Ben Laden ont subi l’influence néfaste du clan des Égyptiens. » Hudayfa Azzam, fils de son père et, à ce titre, expert en salafisme, évoque « les quatre mousquetaires » égyptiens : Aymen Zawahiri, idéologue du mouvement, Mohamed Atef, alias Abou Hafs, stratège militaire tué par les Américains en novembre 2001, Abou Oubeida el-Banchari, mort en 1998 dans le naufrage de son embarcation sur le Nil, entre l’Ouganda et le Soudan, lors d’une mission d’exploration pour l’implantation d’al-Qaïda en Afrique de l’Est, et enfin Seif el-Adl, toujours en cavale.
La « retraite » de Ben Laden a bénéficié à son bras droit Aymen Zawahiri, à qui incombe désormais la diffusion de la bonne parole djihadiste, les réponses verbales d’al-Qaïda aux discours triomphalistes de George W. Bush, aux maladresses du pape et à la servilité de certains dirigeants arabes. Le tout dans une totale déférence à l’égard d’Amir el-Mouminine, commandeur des croyants, le titre que s’est attribué Oussama Ben Laden.
Dix jours après la bourrasque provoquée par l’annonce du vrai-faux décès du chef d’al-Qaïda, une dépêche d’agence a donné, le 3 octobre, une information autrement plus crédible : Oussama Ben Laden se trouverait en territoire pakistanais, plus précisément dans le Waziristan. Nouveau fantasme de journaliste ? Loin s’en faut. Cette fois, l’information figure dans un message de remontrances adressé à Abou Moussab al-Zarqaoui, chef d’al-Qaïda en Irak, abattu le 7 juin 2006, à Baaqouba. La lettre, datée de décembre 2005, est signée par un certain Attia, identifié par les experts de la CIA comme étant Attia Abderrahmane, un ressortissant libyen âgé de 37 ans, réputé proche du milliardaire saoudien. L’auteur de la missive raconte la colère qu’a inspirée à Ben Laden, dans sa retraite au Waziristan, la stratégie de Zarqaoui : ce dernier s’en prenait aux oulémas sunnites qui avaient appelé à participer aux élections irakiennes. Ce document, premier indice pouvant mener à la « tanière des lions » – c’est ainsi que Ben Laden a baptisé son refuge – a été retrouvé dans la maison où se terrait, en ce jour fatidique du 7 juin, Abou Moussab al-Zarqaoui. Attia, le plus jeune compagnon de Ben Laden, sera-t-il le maillon faible dans le dispositif de sécurité qui protège l’homme traqué ?

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