Miracle en Amazonie

Un petit jet est percuté en plein vol par un Boeing 737. Contrairement à celui-ci, il parvient à atterrir en catastrophe dans la jungle brésilienne. Un journaliste du New York Times se trouvait à bord.

Publié le 9 octobre 2006 Lecture : 4 minutes.

Vendredi 29 septembre, 15 heures. Quelque part au-dessus de la forêt amazonienne, Joe Sharkey est confortablement installé dans un minijet de treize places. Un petit bijou à 20 millions d’euros : tables en noyer, sièges en cuir et épaisse moquette au sol. Une heure auparavant, l’appareil a quitté São José dos Campos, dans le sud-est du Brésil. Direction : les États-Unis. Le paysage est magnifique, les deux pilotes connaissent leur affaire et les quatre autres passagers sont aux petits soins pour lui. C’est que Joe, qui approche la soixantaine, n’est pas n’importe qui. Depuis sept ans, il tient la chronique « Voyages d’affaires » du New York Times – une colonne tous les mardis – et collabore à divers magazines spécialisés, dont Business Jet Traveler. Il est l’hôte des dirigeants de la compagnie ExcelAire et du fabricant du jet qu’elle vient d’acquérir, la société Embraer. L’appareil vole à 37 000 pieds (11,3 km) au-dessus de la forêt brésilienne. Joe papote avec les pilotes, Joe Lepore et Jan Palladino, deux solides quadragénaires qui ne tarissent pas d’éloges sur leur nouvel avion : « un régal à piloter ».
Le journaliste prend des notes en vue de son futur article. Soudain, une secousse terrible, suivie d’un bruit sourd. Il baisse le store de son hublot : rien, le fouillis végétal, à l’infini. « Nous avons été percutés », lâche son voisin. Joe tourne son regard de l’autre côté : l’extrémité de l’aile gauche de l’appareil a été arrachée. Par qui, par quoi ? Les débris d’un avion de ligne qui aurait explosé, plus haut dans le ciel ? Un avion de chasse livré à lui-même après l’éjection de son pilote ? Un ballon météorologique capricieux ?
L’expert en voyages d’affaires le sait mieux que quiconque : on n’a que très peu de chance de survivre à ce genre d’avarie. Il se tourne vers son voisin, le vice-président d’ExcelAire, dont le visage est collé contre l’un des hublots :
« C’est grave ?
– Je ne sais pas. »
La mort rôde. Joe jette un coup d’il à sa montre, puis plonge fébrilement la main dans sa mallette, à la recherche de son téléphone mobile. « Pas de couverture réseau », indique l’écran. Alors, plutôt que de prier, il entreprend de rédiger un message d’amour à l’intention de ses proches, puis enfouit cet ultime témoignage au fond de sa mallette. Sachant le crash inévitable, il espère que la mallette échappera aux flammes et sera miraculeusement retrouvée par les sauveteurs. Dérisoire et poignant à la fois.
L’appareil perd de la vitesse. Le réservoir a été touché et le carburant s’écoule lentement le long de la carlingue, tandis que l’aile gauche se désintègre peu à peu. Les deux pilotes multiplient les appels au secours, par radio. Pas de réponse. Et le système de navigation reste muet : aucune présence dans la zone. À l’il nu, ils tentent de distinguer dans l’inextricable tapis de verdure une zone plane et déboisée qui leur permettrait de se poser.
Vingt-cinq longues minutes s’écoulent, pas un mot n’est échangé. Le jet continue de perdre de l’altitude, et Joe ne peut réprimer des pensées morbides. Va-t-il être tué sur le coup ? Aura-t-il quelques instants de conscience – et de souffrance – avant de sombrer dans un coma définitif ? Aura-t-il la force et le temps de hurler ?
Soudain, un cri. ?« Je vois une piste, ! »
Sans pilotage automatique et sans stabilisateur horizontal (situé en haut de l’aileron central arrière, celui-ci a été gravement endommagé), tenter d’atterrir est une folie. Mais y a-t-il un autre choix ? Tandis que le jet continue de se déliter, les pilotes gardent leur sang-froid et se retiennent de plonger trop brusquement vers le sol. Sur ce petit aérodrome militaire perdu au cur de la jungle, ils vont réussir un atterrissage parfait. Un vrai miracle.
Sur le tarmac, un rescapé américain baragouine en portugais avec des soldats brésiliens, à qui il tente de raconter l’étrange collision. L’un de ses interlocuteurs s’éloigne au pas de course à la recherche d’un téléphone. Pendant ce temps-là, les sept passagers sont conduits au mess des officiers où une collation leur est servie : sandwichs et bières pour tout le monde. Certains trouvent la force de plaisanter : « En réalité, nous sommes morts, nous avons été admis au paradis. Désolé les amis, mais nous sommes condamnés à rester ici pour l’éternité. » Inlassablement, ils revivent le drame qui vient d’avoir lieu, tentent de comprendre, ressassent les mêmes questions sans réponse. Même les deux pilotes, pourtant très expérimentés, sont perplexes.
À 19 h 30, le militaire parti aux nouvelles est de retour. Il tient la solution de l’énigme. L’objet qui a percuté le minijet n’est ni un ballon météorologique ni un avion de chasse en perdition, mais un Boeing 737 de la compagnie brésilienne Gol Airlines qui s’est écrasé un peu plus loin, dans la réserve indienne de Jarina, avec 155 passagers à bord, tous tués sur le coup.
Au cours des jours suivants, l’équipage du jet a été longuement interrogé par la police locale et une cohorte d’experts aéronautiques. Et la vérité a fini par apparaître. Les deux appareils se trouvaient tout simplement à la même altitude, au même endroit et au même moment. En dépit de tous leurs instruments de mesure électroniques, ils n’ont rien vu venir. Ou alors, trop tard. Il semble en effet que les pilotes du 737 aient perdu le contrôle de l’appareil en tentant – et en réussissant presque – à éviter le petit jet, sauvant ainsi la vie de ses sept passagers. Mais pas celle, hélas ! des 155 infortunés voyageurs qu’ils transportaient.

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