Le désarroi de l’Union africaine

L’accord d’Abuja n’a pas fait cesser les violences, l’intense activité diplomatique non plus. En attendant l’arrivée hypothétique des Casques bleus de l’ONU, seules les troupes de l’UA tentent de maintenir une paix de plus en plus précaire.

Publié le 9 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Les 4×4 blancs, flanqués des quatre lettres AMIS (le sigle anglais de la force de l’Union africaine au Soudan), filent à vive allure sur les chemins de terre rouge d’El-Fasher, ignorant les nids-de-poule et les mules croulant sous le poids des fagots de bois. Dans la capitale du Nord-Darfour, les « Casques verts » – les hommes des troupes africaines déployées pour observer le cessez-le-feu du 8 avril 2004 – sont omniprésents. Leur quartier général grouille de monde ; les allées et venues ne cessent qu’à la tombée de la nuit, au moment où le couvre-feu impose aux militaires de rester dans leurs baraquements.
Ailleurs, dans les coins plus reculés des trois provinces du Darfour, sur un territoire presque aussi grand que la France en proie au chaos depuis le début de la rébellion de février 2003, les 7 000 soldats et policiers de l’AMIS se font en revanche plus discrets. Cinq mois après le précaire accord de paix (DPA) signé le 5 mai à Abuja, la situation sécuritaire est si fragile que des régions entières sont hors de portée de la force de paix. Autour de Kutum et Mellit, à une centaine de kilomètres au nord d’El-Fasher, dans les environs de Korma, à l’ouest, ainsi que sur les contreforts orientaux des montagnes du Djebel Marra, les responsables du Programme alimentaire mondial (PAM) estiment à environ 150 000 le nombre de Darfouris qui n’a pas vu l’ombre d’un convoi humanitaire ou d’un soldat de la paix depuis juin.
Globalement impuissante en raison d’un mandat restrictif et de moyens limités, l’AMIS n’est pas parvenue à apporter la sécurité aux populations du Darfour. Selon les ONG présentes sur le terrain, les viols des femmes continuent aux abords des camps, les soldats de Khartoum et les milices djandjawids font régner la terreur. « Les villes sont en train de devenir des camps de déplacés géants », déplore Simon Crittle, le porte-parole du PAM.
Depuis la signature des accords de paix, la situation a empiré. Khartoum et la principale faction du Mouvement de libération du Soudan (MLS), qui a signé le DPA, se sont certes entendus sur un partage du pouvoir et des richesses, mais les partis non signataires sont désormais en guerre contre Minni Minawi, le leader des signataires. Les scissions entre factions rebelles sont quotidiennes et rendent impossible leur contrôle par les forces de l’AMIS. « Une alliance en vigueur aujourd’hui sera fausse demain, car le chef de la faction aura changé de bord », explique un haut gradé de la Commission de cessez-le-feu. « Nous n’avons même plus de correspondants du côté des non-signataires de l’accord. Quel cessez-le-feu voulez-vous surveiller ? »
Devant l’échec annoncé du DPA, la communauté internationale s’active pour renforcer sa présence sur le terrain. Le refus catégorique du chef de l’État soudanais, Omar el-Béchir, de voir les Casques bleus se renforcer au Soudan (ils sont déjà 10 000 dans le Sud) à la suite de la résolution 1706 du Conseil de sécurité du 31 août, a rendu sa tâche particulièrement complexe.
José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, a tout de même fait le voyage de Khartoum et d’El-Fasher au début d’octobre, avec Louis Michel, commissaire au Développement et à l’Aide humanitaire. Reçus pendant plus de deux heures par Béchir, ils n’ont pas réussi à le convaincre d’accepter l’extension au Darfour de la Mission des Nations unies au Soudan (UNMIS). Tout au plus ont-ils pu maintenir un dialogue dorénavant impossible avec d’autres partenaires comme les États-Unis, que le régime soudanais voit comme un « envahisseur » potentiel. « L’Union européenne est de loin le plus gros contributeur d’aide matérielle, financière et humanitaire au Darfour », a expliqué Barroso à sa sortie de l’entretien avec Béchir. « Mais, soyons francs, c’est loin d’être suffisant. Une catastrophe de plus grande ampleur est possible s’il n’y a plus dans cette région aucune présence internationale. » Mais comment y parvenir sans employer la force ? Du côté de Bruxelles, on ne verrait pas d’un mauvais il les Africains rester sur le terrain
Mais si les dirigeants de l’UA ont décidé le 21 septembre de prolonger le mandat de l’AMIS jusqu’à la fin de l’année, ils n’ont pas l’intention de maintenir leurs troupes en 2007. Sous-équipée pour diriger la mission – que, de l’avis général, il faudrait renforcer -, l’UA se retrouve prise dans l’engrenage du bourbier soudanais. « Ce n’est pas évident pour une organisation qui a déjà du mal à obtenir un photocopieur de diriger une mission de 7 000 hommes dans une région en guerre », déplore un responsable à Addis-Abeba. D’autant moins que les caisses des partenaires de l’UA sont vides.
La Commission européenne, qui finance à 80 % l’AMIS pour un total de 242 millions d’euros en 2006, n’a plus d’argent à mettre sur la table. Sa « facilité pour la paix », dotée de 250 millions d’euros pour 2006-2007, a déjà été totalement dépensée, en grande partie au Darfour. Elle ne sera pas renflouée avant 2008. Il va donc falloir aller chercher le nerf de la guerre ailleurs, sachant que les financements bilatéraux sont bien plus difficiles à obtenir que les contributions obligatoires à une éventuelle force de l’ONU. Lors de la dernière table ronde des bailleurs en juillet, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, le Qatar et la Ligue arabe ont promis des enveloppes. Cette dernière, de plus en plus impliquée dans la crise, avait déjà avancé un montant de 170 millions de dollars au moment du sommet de l’UA à Khartoum, en janvier 2006, mais le secrétaire général Amr Moussa peine à rassembler les fonds et vient de rappeler les États membres à l’ordre. Barroso a également mis le financement d’une force au Darfour à l’ordre du jour du sommet européen du 20 octobre en Finlande, pour mobiliser les Vingt-Cinq.
Si toutefois l’argent finit par rentrer, « comment commander une force financée de la sorte ? » s’interroge un responsable de la Commission de paix et de sécurité de l’UA. « Jusqu’à quel point peut-on conserver le leadership africain dans une AMIS bis entièrement financée par des États occidentaux ? Nous perdrons en pratique le contrôle de la force, mais nous resterons responsables et comptables de la mission »

Les trois mois qu’il reste à la communauté internationale pour trouver un remplaçant à l’AMIS, ou une formule qui satisfasse toutes les parties, passeront très vite, d’autant que les États-Unis ne cessent d’agiter les menaces de la Cour pénale internationale (qui a cinquante proches de Béchir dans le collimateur) et le spectre d’un génocide. Sans aller jusqu’à prononcer le mot fatal, les Européens et les organisations internationales et non gouvernementales présentes sur place tirent également la sonnette d’alarme sur les souffrances, chaque jour un peu moins supportables, qu’endurent les populations civiles.
« L’intransigeance américaine nous sert d’une certaine manière, explique un proche de Barroso. Elle nous fait apparaître aux yeux du régime comme un interlocuteur tolérant. » Même son de cloche à l’UA : tous ceux qui peuvent persuader Béchir qu’il n’y aura pas d’agenda secret derrière une intervention de l’ONU sont les bienvenus. Un appel du pied à peine caché à la Chine et la Russie. Et surtout à la Ligue arabe, qui a davantage l’oreille du président soudanais en raison de ses positions plus modérées sur la gravité du conflit. Amr Moussa a rencontré Béchir le 4 octobre. En attendant le plus urgent : un accord politique entre Soudanais.

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