« Pourquoi il faut aider le soldat Déby », par François Soudan

En cent jours, une bonne partie du couvercle de fer qui verrouillait la vie politique tchadienne à la fin du règne d’Idriss Déby Itno a été levé par son fils. Mais Mahamat Idriss Déby a plus que jamais besoin de soutien pour financer le dialogue national et les élections.

Mahamat Idriss Deby, président du Conseil militaire de transition, à N’Djamena, en juin 2021. © Vincent Fournier pour JA

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Publié le 10 août 2021 Lecture : 5 minutes.

« Nous ferons capituler l’hydre terroriste » : les Tchadiens s’étaient à peine habitués à voir le président du Conseil militaire de transition Mahamat Idriss Déby apparaître en boubou plutôt qu’en « battle dress » que le voici de nouveau contraint de revêtir sa tenue de général quatre étoiles et d’adopter le vocabulaire martial de son père. Le polype malin aux inépuisables capacités de régénération, c’est Boko Haram, la nébuleuse terroriste nigériane, dont une katiba relevant probablement de la fraction pro-Daech d’Abou Mosab al Barnaoui a de nouveau frappé le 4 août avec une extrême violence dans le secteur Nord du Lac Tchad, tuant 26 soldats.

En mars 2020, une attaque similaire et plus meurtrière encore, dans le même secteur lacustre parsemé d’îlots flottants et de végétation semi-immergée, avait déclenché l’opération « Colère de Bohama » menée par le maréchal défunt dans un climat de consensus national. Dix huit mois plus tard, rien ou presque n’a changé. Dirigée désormais par un jeune homme de 37 ans, l’armée tchadienne continue de se battre pratiquement seule sur le front du bassin du Lac Tchad, tout en faisant face à la résurgence d’une autre hydre : les groupes rebelles, mués en mercenaires au service des milices libyennes et poussés au retour, AK-47 entre les dents.

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Quasi pugilat

L’embuscade sanglante du 4 août sur l’île de Tchoukou Telia aura-t-elle des conséquences quant au processus de transition en cours quelque 200 kilomètres plus au Sud, à N’Djamena ? « Non, répond à JA le Premier Ministre Albert Pahimi Padacké. Les Tchadiens ont confiance dans les capacités de leur armée. Ce qui pose problème, c’est le financement de notre feuille de route. » De quoi s’agit-il ? L’objectif visé, on le sait, est d’organiser fin 2021 – début 2022 un vaste « Dialogue national inclusif », un peu à l’image de la Conférence Nationale de 1993, censé revisiter les fondamentaux de l’État tchadien et déboucher vers octobre de l’année prochaine sur une élection présidentielle qui marquera la fin de la période de transition ouverte le 21 avril, au lendemain de la mort au combat d’Idriss Déby Itno.

Il serait hautement souhaitable que la classe politique tchadienne fasse preuve d’esprit de responsabilité

Pour ce faire, un comité préparatoire a été mis en place fin juillet. Il a jusqu’à fin octobre pour rendre sa copie et notamment « établir la liste consensuelle des participants » au Dialogue, lesquels pourraient avoisiner le millier (ils étaient 1200 en 1993). Problème : à l’heure où ces lignes sont écrites, ce comité préparatoire de 75 membres ne s’était toujours pas réuni, faute d’accord sur sa propre composition, les quelque 220 partis politiques que compte le pays (chiffre passablement surréaliste) s’entre-déchirant autour des quinze sièges à eux réservés.

« S’ils ne parviennent pas à s’entendre, on va devoir trancher » soupire le très expérimenté Acheikh Ibn Oumar, ancien chef de groupe politico-militaire nommé il y a trois mois au poste-clé de ministre d’État à la Réconciliation et au Dialogue. Sauf à paver la voie à une prolongation indéfinie de la transition militaire – hypothèse dont personne ne veut, y compris, à l’entendre, le président Déby lui-même. Il serait donc hautement souhaitable que la classe politique tchadienne dans son ensemble – y compris sa frange la plus contestatrice – fasse preuve d’esprit de responsabilité. À en juger par les multiples pulsions scissipares qui la traversent et les scènes de quasi pugilat qui ont émaillé la mise en place du comité préparatoire, ce n’est pas gagné.

« Pas un seul franc CFA ! »

Dans sa première (et jusqu’ici unique) interview, accordée à Jeune Afrique il y a deux mois, Mahamat Idriss Déby avait clairement posé les conditions d’une transition réussie dans les délais : « La première est que nous soyons capables de nous entendre pour avancer au rythme prévu. La seconde est que nos partenaires nous aident à financer le dialogue et les élections. » On l’a vu : le consensus inter-tchadien n’est pas encore au rendez-vous. Mais après tout, est-ce là le revers de la médaille du jeu démocratique et le point d’équilibre n’est pas inatteignable, pour peu que chacun ait conscience des enjeux.

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Quant au financement du processus, c’est une autre affaire. Si les 90 millions de dollars promis par la Banque mondiale en 2020 pour aider l’État à faire face à la multiplicité des urgences sociales aggravées par la pandémie de Covid-19 ont enfin été débloqués, sur le budget de un milliard et demi de dollars (840 milliards de F CFA) nécessaire selon le gouvernement pour mener à son terme la période de transition, l’apport des partenaires au développement est pour l’instant voisin de zéro.

Ces fameuses garanties démocratiques, Mahamat Idriss Déby estime les avoir données

« Hormis une petite poignée d’experts de la Francophonie et du Pnud, rien et surtout pas un seul franc CFA ! » s’inquiète le Premier Ministre. Si tous ses interlocuteurs se disent intéressés et désireux d’aider le Tchad, leurs promesses demeurent vagues et comme pour justifier leur inertie, chaque jour apporte son lot de nouvelles conditionnalités, ce qui a le don d’agacer Albert Pahimi Padacké : « Comment peut-on exiger une transition de dix huit mois si on ne nous en donne pas les moyens ? Qu’attendent les bailleurs pour organiser une table ronde sur le financement du processus ? ».

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« Aidez-moi à vous aider »

Ces fameuses garanties démocratiques, Mahamat Idriss Déby estime les avoir données, une appréciation partagée par la plupart des chancelleries qui comptent à N’Djamena. Dans un clip vidéo diffusé le 20 juillet, trois mois après sa prise de pouvoir, le service de communication de la Présidence les énumère : libération des détenus d’opinion, légalisation du parti des Transformateurs, levée des restrictions sur les manifestations pacifiques, retour de l’opposant Yaya Dillo, réhabilitation du rôle de la Primature, création d’un ministère d’État chargé de la réconciliation nationale, élaboration d’une feuille de route pour le Dialogue, reprise du recensement des militaires et instauration d’une rotation des responsables des corps de défense tous les trois ans, etc…

En cent jours, une bonne partie du couvercle de fer qui verrouillait la vie politique tchadienne à la fin du règne du maréchal a été levée et, sauf à être aveuglé par le délit de patronyme, c’est à son fils qu’en revient le crédit. À cet égard, les quelques mots ambigus prononcés par le président du Comité militaire de transition à la fin de son interview à JA – quand, interrogé sur son éventuelle candidature et après avoir précisé que « les membres du CMT ne se présenteront pas à l’élection une fois leur mission accomplie », il ajoutait qu’« il faut laisser à Dieu la part qui lui revient, Dieu décide de tout, du destin comme du pouvoir » – doivent être pris pour ce qu’ils sont. Un moyen de pression sur la classe politique tchadienne et la communauté des bailleurs de fonds pour que chacun prenne ses responsabilités, plutôt qu’une volonté de se dégager une marge de manœuvre personnelle afin de ne pas insulter l’avenir. En d’autres termes : « aidez-moi à vous aider ».

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