Mali : au cœur du bras de fer entre les enseignants et le gouvernement de Choguel Maïga

Le 2 août, le Premier ministre Choguel Maïga a fait face aux membres de l’organe législatif de la transition pour défendre son Plan d’action gouvernemental. Parmi les sujets abordés, le débrayage des enseignants syndiqués exigeant l’application d’une loi leur accordant une valorisation salariale.

Des élèves et des enseignants maliens manifestent pour demander l’interruption de la grève scolaire qui dure depuis un mois et demi, le 14 mars 2019 à Bamako. © MICHELE CATTANI/AFP

Des élèves et des enseignants maliens manifestent pour demander l’interruption de la grève scolaire qui dure depuis un mois et demi, le 14 mars 2019 à Bamako. © MICHELE CATTANI/AFP

Bokar Sangareě

Publié le 11 août 2021 Lecture : 5 minutes.

Il avait pourtant tenté de rassurer son auditoire lors de la présentation de son Plan d’action gouvernemental (PAG), le 30 juillet. Mais cela n’a visiblement pas suffi. Alors qu’il faisait face au Conseil national de transition (CNT), le Premier ministre Choguel Maïga s’est vu interpeller par Adama Fomba, ancien porte-parole de la Synergie des syndicats signataires du 15 octobre 2016 (un rappel du premier préavis de grève qu’ils avaient déposé), sur l’application d’une loi qui accorde un statut particulier aux enseignants : « Si l’article 39 n’est pas abrogé, pourquoi ne pas l’appliquer ? » a-t-il demandé.

Passion et polémique

« C’est un sujet où il y a beaucoup plus de passion et de polémique que de pragmatisme […]. Sauver l’école n’est pas seulement l’affaire du gouvernement et cela ne se résume pas aux salaires des enseignants. La situation du pays ne permet pas une nouvelle phase de crise. Il faut que chacun se fasse violence pour que l’on puisse passer ce cap », a répondu Choguel Maïga, avant de rappeler que son gouvernement n’était « pas dans une logique de confrontation avec les enseignants. »

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Pourtant, la confrontation est bien réelle. Le 9 août ont démarré les examens de fin d’année pour le brevet de technicien. À Bamako et dans plusieurs capitales régionales, la journée a été agitée. À Sikasso, au sud de Bamako, après que les enseignants ont remis une lettre de fermeture de leurs structures aux responsables de l’Académie d’enseignement et du Centre d’animation pédagogique, des altercations les ont opposés aux forces de l’ordre, qui ont tenté de disperser le rassemblement à coups de gaz lacrymogènes. Selon Boubacar Koumaré, coordinateur d’un syndicat membre de la coalition, douze enseignants « accusés d’avoir perturbé l’espace scolaire » ont été arrêtés. Le 10 août, le procureur Maki Sidibé a prononcé un non-lieu.

Dans une circulaire datée du 7 août, les syndicats ont appelé les enseignants à la « mobilisation générale pour la fermeture jusqu’à nouvel ordre de toutes les structures de l’Éducation à compter du lundi 9 août sur toute l’étendue du territoire national ». Une décision intervenue après celles relatives à « la rétention des notes, au boycott des épreuves anticipées et des examens de fin d’année ». Qui plus est, le 23 juillet, les enseignants ont déposé un préavis de grève de 12 jours, du 9 au 27 août.

De son côté, le gouvernement a émis un communiqué, dimanche, pour maintenir les épreuves. Fin juillet, celui-ci s’était rabattu sur du personnel non enseignant pour surveiller les examens du certificat d’aptitude professionnelle (CAP).

Rivalité syndicale

Depuis que le président Assimi Goïta a signé, le 16 juillet, l’ordonnance d’application de la loi relative à l’harmonisation de la grille indiciaire de la fonction publique, le torchon brûle entre le gouvernement et les syndicats d’enseignants. Le 1er juillet, dans la foulée de l’adoption de la grille unifiée par le gouvernement – au cœur des revendications de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), elle représente une augmentation de 15,17 % des salaires –, les syndicats ont protesté en brandissant l’article 39 de leur statut autonome, selon lequel « toute majoration des rémunérations des fonctionnaires relevant du statut général des fonctionnaires s’applique de plein droit au personnel enseignant de l’Enseignement fondamental et secondaire, de l’Éducation préscolaire et spéciale ».

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De fait, la coalition des syndicats enseignants avait signé avec le gouvernement en 2019, après plusieurs mois de grève, un accord dans lequel figurait un point relatif au « statut du personnel enseignant de l’Enseignement secondaire, de l’Enseignement fondamental et de l’Éducation préscolaire et spéciale ». La loi accordant un statut autonome aux enseignants avait quant à elle été adoptée à l’Assemblée nationale en 2018. Mais il avait fallu attendre le renversement d’Ibrahim Boubacar Keïta pour voir l’ex-junte militaire malienne [Conseil national pour le salut du peuple] l’appliquer.

Un écart d’indice « a amené l’UNTM à jalouser la grille des enseignants et à demander l’unification des salaires »

Son application a créé un écart d’indice qui « a amené l’UNTM à jalouser la grille des enseignants et à demander l’unification des salaires », indique Boubacar Koumaré. Au-delà de cette rivalité syndicale, les enseignants pointent le fait que l’uniformisation remet en question leurs acquis. « L’harmonisation empêche l’article 39 d’agir, affirme Ousmane Almoudou Touré, porte-parole de la coalition des syndicats. L’article donne une grille supérieure à la grille unifiée, et le gouvernement l’abroge sans le dire. Avec l’harmonisation, les autres vont bénéficier des augmentations pour atteindre le niveau des enseignants. Or ces derniers vont rester à leur niveau actuel. »

Mouvement de désobéissance civile des enseignants au Mali, le 9 août 2021. © MALINEWS TV via YOUTUBE

Mouvement de désobéissance civile des enseignants au Mali, le 9 août 2021. © MALINEWS TV via YOUTUBE

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Alors que le bras de fer se durcit, les enseignants accusent le gouvernement d’« entretenir une crise scolaire qui ne profite pas à la transition ». Adama Fomba juge la situation préoccupante. « La façon dont les examens se tiennent n’honore pas l’école. Les autorités de transition essaient [de provoquer] une crise scolaire », déplore-t-il.

« Éleves pris en otage »

Pour Tiefing Sissoko, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’Université des lettres et sciences humaines de Bamako, il est important de ne pas perdre de vue que « ces mêmes revendications faisaient partie des problèmes qui ont eu raison du régime précèdent ». « Tout l’accent est mis sur l’argument financier, on ne regarde pas les véritables problèmes, notamment la gouvernance de l’éducation, le perfectionnement des enseignants. Il faut émettre des revendications, mais pas au détriment des élèves qui ne demandent qu’à étudier et se voient pris en otage », estime le chercheur, qui propose par ailleurs de « changer de perspective dans la lutte syndicaliste en sortant de la perturbation des programmes scolaires ou des examens ».

Alors que deux examens importants se profilent à l’horizon (le diplôme d’études fondamentales et le baccalauréat), gouvernement et enseignants négocient toujours, sans parvenir à un accord. Une nouvelle rencontre entre les deux camps est prévue ce vendredi 13 août. « L’article 39 peut apaiser, le débat porte sur son application, insiste Adama Fomba. Peut-on dire qu’on a organisé des examens de fin d’année sans la participation des professeurs ? » Les enseignants, eux, ont décidé de ne pas prendre part à la conférence sociale que le gouvernement prévoit d’organiser. Ousmane Almoudou Touré argue qu’après avoir cédé aux revendications d’une autre organisation syndicale qui remettent en cause les acquis des enseignants, « le gouvernement ne peut plus demander à ces derniers d’aller à une conférence sociale » qui ne « répond pas à [leurs] aspirations ».

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