Ban Ki-moon

Haut fonctionnaire sud-coréen, le nouveau secrétaire général de l’ONU doit largement sa désignation aux Américains.

Publié le 9 octobre 2006 Lecture : 6 minutes.

Son nom ne figure pas dans l’édition 2007 du Who’s Who International. Pourtant, il sera sous les feux des projecteurs jusqu’à la fin de 2016. Ban Ki-moon, puisque c’est de lui qu’il s’agit, devait être désigné, le lundi 9 octobre, par le Conseil de sécurité pour diriger, à partir du 1er janvier 2007, le système des Nations unies, et ce pour un premier mandat de cinq ans, puis un second, comme le veut la tradition
Illustre inconnu sur la scène internationale, ce Sud-Coréen de 62 ans, père de deux filles (dont l’aînée travaille à l’Unicef) et d’un garçon, avait limité, jusqu’en 2003, sa sphère d’action à l’Asie-Pacifique, en particulier aux relations intercoréennes et américano-coréennes. En janvier 2004, après un parcours diplomatique sans faute, il est nommé ministre des Affaires étrangères et du Commerce. Il commence alors à sillonner le monde et à cultiver des liens d’amitié avec les uns et les autres. Et pour cause : avec un Produit intérieur brut (PIB) de 800 milliards de dollars, pour une population de 50 millions d’habitants, son pays s’était hissé au rang de dixième puissance économique mondiale, affichant un revenu par habitant de 16 000 dollars, égal à celui du Portugal. Membre du club des riches (OCDE) depuis 1996, c’est aussi un pays donateur : il a versé, en 2005, 744 millions de dollars d’aide aux pays en développement, deux fois plus que le Portugal. La Corée du Sud, qui n’existait pas en tant que telle avant 1953, est aujourd’hui un pays qui compte, mais certainement pas « neutre », comme est censé l’être le pays dont est issu le secrétaire général depuis la création de l’ONU, en 1945.
Colonisé par le Japon en 1905*, le royaume de Corée accède à l’indépendance le 15 août 1945. Il est aussitôt soumis à la domination communiste, au Nord, et capitaliste, au Sud. En novembre 1947, Washington ordonne au secrétaire général de l’ONU, le Norvégien Trygve Lie, de dépêcher une mission – la première du genre – en Corée en vue d’unifier les deux parties et de superviser des élections générales. Les Nordistes lui opposent une fin de non-recevoir. Contre l’avis de l’ONU, les États-Unis organisent quand même des élections au Sud, lequel est attaqué par le Nord. C’est la guerre de Corée, dans laquelle sont entraînées les Nations unies jusqu’à l’armistice de 1953, qui débouche sur la partition de la péninsule, toujours en vigueur, contrairement au Vietnam et à l’Allemagne.
Un rappel historique de taille, car il explique pourquoi les États-Unis et la Corée du Sud sont des alliés inconditionnels depuis plus d’un demi-siècle. Véritable bastion américain, le pays du Matin calme abrite sur son territoire 37 000 GI’s, stationnés dans une quarantaine de bases militaires, dont une au cur de Séoul, en contrebas de la villa de Ban Ki-moon.
Le Sud-Coréen ne s’est lancé dans la course onusienne qu’en février 2006, bien après deux autres candidats asiatiques, le Thaïlandais Surakiart Sathirathai et le Sri-Lankais Jayantha Dhanapala. Il est vrai que les Américains cherchaient alors plutôt du côté de Singapour. Leurs hésitations feront naître trois autres candidatures asiatiques et une européenne. Rien dans les statuts de l’ONU n’obligeait le Conseil de sécurité à choisir un secrétaire général asiatique. Mais, conformément à une loi non écrite de rotation, il était prévu qu’après l’Afrique ce serait le tour de l’Asie. En soixante ans, l’ONU a eu trois secrétaires généraux européens (vingt-cinq ans), deux africains (quinze ans) et un seul d’Amérique latine et d’Asie (dix ans chacun). Quant à la candidature de la présidente de la Lettonie, Vaira Vike-Freiberga, elle était surtout destinée à lancer un double signal : d’abord, l’Europe de l’Est (qui formait un groupe à l’ONU) a le droit, elle aussi, de bénéficier du système de rotation instauré en 1981 après le veto chinois contre l’octroi d’un troisième mandat à l’Autrichien Kurt Waldheim ; ensuite, la direction de l’ONU devra bien, un jour ou l’autre, revenir à une femme, comme l’a rappelé le secrétaire général sortant, Kofi Annan, en septembre.
Face à cette multiplicité de candidatures, et de compétences plus ou moins inégales, le représentant des États-Unis, John Bolton, n’a voulu prendre aucun risque. La Maison Blanche n’a pas oublié la condamnation par Boutros Boutros-Ghali du bombardement israélien d’un camp de réfugiés de l’ONU à Cana, au Liban (avril 1996) et, surtout, a encore en travers de la gorge les déclarations de Kofi Annan, en septembre 2004, sur le caractère illégal de l’invasion américaine de l’Irak. D’où les deux objectifs que s’est fixés Bolton : choisir un technocrate docile et le faire élire le plus tôt possible pour qu’il puisse préparer son entrée en fonctions. Avec la nomination de Ban Ki-moon dès octobre, soit deux mois avant le délai habituel, ces deux objectifs ont été pleinement atteints.
Le premier tri « informel » parmi les candidats a été effectué le 24 juillet. Ban Ki-moon émerge avec 12 voix pour, 1 contre et 2 abstentions (seuls les quinze membres du Conseil de sécurité participent au vote). D’habitude, après un vote informel préliminaire, on procède au vote officiel. Kofi Annan avait ainsi été désigné à l’issue de neuf tours, dont huit formels. Bolton a créé une nouvelle règle : un candidat unique pour un seul tour officiel, précédé par autant de tours informels que nécessaire. Trois autres votes informels ont lieu (le 14 septembre, le 28 septembre et le 2 octobre). Ban Ki-moon est resté constamment en tête (14 voix pour et 1 abstention au dernier tour), obligeant les autres à jeter l’éponge. Étrange coïncidence : le 14 septembre, le président George W. Bush recevait à la Maison Blanche son homologue sud-coréen, Roh Moo-hyun, une rencontre passée totalement inaperçue. Quant aux « largesses » dont auraient bénéficié les soutiens de Ban Ki-moon lors de sa campagne (Congo, Tanzanie, Grèce, Argentine et autres membres non permanents du Conseil de sécurité), l’intéressé les balaye du revers de la main : ses visites sur le terrain, les projets qu’il a lancés, tout cela entre dans le cadre du programme d’aide de son pays et de sa mission en tant que ministre des Affaires étrangères et du Commerce. Fini les soupçons !
Ban Ki-moon, que tout le monde décrit comme un personnage discret, affable, effacé, dépourvu de charisme et sans ennemis déclarés, pourrait néanmoins faire un très bon secrétaire général. À l’instar de l’économiste suédois Dag Hammarskjöld, dont la désignation a été le résultat d’un laborieux compromis entre l’Est et l’Ouest. « J’ai le sens des responsabilités. Je sais être ferme quand il le faut. J’écoute et je consulte avant de prendre une décision. Je donnerai l’exemple pour réformer l’organisation, l’amener à être plus efficace, plus intègre, et lui permettre de relever les défis du XXIe siècle », répond-il invariablement aux journalistes qui l’interrogent sur sa capacité à régler les dossiers chauds (nucléaire iranien, essais atomiques nord-coréens, guerres en Irak et en Afghanistan, conflit israélo-arabe, terrorisme) et à diriger une organisation coiffant 30 000 fonctionnaires et plus de 90 000 Casques bleus, policiers et agents civils de maintien de la paix. Une organisation qui coûte 10 milliards de dollars par an. Pour les Américains, c’est trop. Pour Kofi Annan, ce n’est que 1 % des dépenses militaires mondiales. En tout cas, Ban Ki-moon, que l’on surnomme à Séoul « Ban-chusa » (Ban le technocrate), disposera des meilleures conditions matérielles pour réussir : un salaire de 300 000 dollars par an, une résidence luxueuse sur les hauteurs de l’East River, un vaste bureau au 38e étage du Palais de verre de Manhattan, où l’attendent de pied ferme plus de 4 000 fonctionnaires habitués à ironiser sur leur secrétaire général en ces termes : « le 38e a décidé »

[*Rectificatif : en signant le traité de Portsmouth le 5 septembre 1905, la Russie reconnaît le protectorat du Japon sur la Corée. 1905 marque ainsi le début de l’occupation de la Corée par le Japon. Cependant, le royaume coréen ne sera officiellement annexé par le Japon qu’en 1910.]

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