Ananda Devi sans frontières

C’est à cette Mauricienne qu’a été remis, le 24 septembre, à Bucarest, le prix des Cinq Continents de la Francophonie.

Publié le 9 octobre 2006 Lecture : 2 minutes.

On dirait la silhouette d’une sirène accrochée à son rocher. À Bucarest, Ananda Devi se terre dans le hall de son hôtel. Immobile, discrète, silencieuse, tandis que discutent dans un coin Andreï Makine, Jean-Marie G. Le Clézio, Lyonel Trouillot, Leïla Sebbar, Alain Mabanckou, René de Obaldia et Henri Lopes, le jury francophone du prix des Cinq Continents, qui, cette année, a décidé de l’honorer. « J’ai du mal avec le réel », lâche-t-elle de sa voix timide. Ève de ses décombres est son douzième ouvrage. Une petite merveille de tristesse et de cruauté. Une histoire d’ados aux destins « cabossés » pris au piège d’un crime odieux. Les phrases en sortent éreintées, les mots ciselés, le lecteur transi. Rien de cette sagacité lexicale qui la caractérise ne semble inhiber l’imagination mortifère de cette Mauricienne de 49 ans au talent sûr.
De Ferney-Voltaire, petite ville française toute proche de la frontière suisse, où elle réside, le monde lui paraît plus grand. La littérature plus universelle. Toni Morrison la réveille, comme Céline ou Joyce. Ou Édouard Maunick, son compatriote de poète. Pas de frontières dans sa tête, seuls comptent ces écrivains qui provoquent, transcendent ou grandissent nos esprits trop conformes et, comme elle le dit avec pudeur, « cassent les genres ». La Francophonie ? « C’est un espace où ceux qui aiment écrire en français se sentent bien. » Tout juste dira-t-elle son intérêt pour l’ourdou, cette langue parlée du nord de l’Inde, « parce que sa substance poétique la rapproche de la prosodie du français ». Sa liberté littéraire semble infinie. « Je n’ai jamais voulu faire des études de lettres de peur d’être formatée. » Va pour un cursus d’ethnologie qu’elle achèvera par un doctorat. Finalement, la polyglotte (elle parle également l’anglais et le créole) préférera être traductrice à l’ONU. « C’est un exercice que j’aime, car cette partie du cerveau en activité ne gêne en rien mon travail d’écriture. » Ananda est une mère de deux garçons de 24 et 22 ans qui dissimule mal son inquiétude à vivre. Il y a quelques mois à Concarneau, un professeur de lettres l’invite à rencontrer des élèves autour de son livre. « Ils ne l’ont pas aimé. Trop noir. Mais leurs questions étaient justes, intelligentes. J’en suis ressortie émue. Et je crois qu’eux aussi ! » Comme quoi, le réel a aussi du bon.

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