L’américain Visa, nouvel agent perturbateur de la finance en Somalie
Un nouveau partenariat conclu entre le géant mondial des paiements et la Banque internationale de Somalie (IBS) pourrait changer la donne dans un pays où l’argent mobile domine.
Le secteur financier somalien a connu une croissance rapide ces dernières années grâce à un marché de la monnaie mobile dynamique.
Selon un rapport de la Banque mondiale datant de 2018, 70 % de la population adulte en Somalie utilisait des services de mobile money alors que seuls 15 % avaient un compte bancaire. Le pays compte aujourd’hui treize établissements bancaires, tous sous la supervision de la Banque centrale.
Une amélioration progressive des services bancaires
La Somalie a rendu légaux les systèmes de paiement numérique et les a intégrés peu à peu aux marchés financiers. Elle a par exemple accordé le 27 février 2021 sa première licence de mobile money à l’opérateur de téléphonie Hormuud Telecom, leader dans le pays avec 3,6 millions d’usagers. L’entreprise cible trois millions de clients pour son service de mobile money pour sa plateforme EVC Plus.
La réglementation du marché somalien de l’argent mobile a elle aussi favorisé une plus grande confiance dans le secteur financier. Résultat selon le rapport de la Banque mondiale (BM), la pénétration de l’argent mobile dans les zones urbaines est supérieure à 80 % et est de 55 % dans les communautés rurales.
La Somalie est un bon exemple de la manière dont l’argent mobile peut favoriser l’inclusion financière des plus vulnérables, en particulier des personnes déplacées à l’intérieur du pays. Les agences d’aide humanitaire ont pu ainsi leur verser des allocations mensuelles grâce aux paiements mobiles.
La Banque internationale de Somalie (IBS) a présenté le 7 juillet 2021 sa dernière nouveauté : la carte Visa, une première dans le pays. Cette carte internationale offrira non seulement aux Somaliens un accès rapide et pratique à leur argent, mais elle est aussi la preuve de la résilience du secteur financier, bouleversé depuis 1991 par la guerre civile.
L’introduction par IBS des services de la carte Visa s’inscrit plus largement dans le projet d’une société sans monnaie liquide. IBS a commencé ses opérations dès 2014 et a été la première banque à utiliser le système SWIFT somalien, le code international qui permet de faire des virements à l’étranger et de les harmoniser plus facilement.
C’est un pas en avant et une indication que le système bancaire somalien s’installe durablement
Lors du lancement de la carte Visa en Somalie, le directeur général adjoint de la banque Abdirizak Ali Warsame a exprimé toute sa confiance : « C’est un pas en avant et une indication que le système bancaire somalien s’installe durablement. Ce service nous permettra de soutenir le transfert électronique d’argent, fiable et facile à utiliser ».
Il a également évoqué la nécessité d’un environnement politique plus propice au soutien de la croissance du secteur financier. « Pour que le secteur bancaire devienne dynamique, notre pays doit maintenir la stabilité politique », soutient-il.
« Se relever après la guerre civile »
La Banque centrale de Somalie a franchi des étapes progressives en matière de réglementation et son gouverneur Abdiraham M. Abdullahi considère lui aussi ces développements comme une indication que la Somalie est sur la bonne voie.
« La banque centrale va encourager toutes les banques somaliennes à émettre des services similaires. La carte Visa facilitera les services interbancaires entre les treize banques opérant en Somalie », indique-t-il.
Il ajoute que « C’est une étape positive pour le pays, qui montre que la Somalie se relève après la guerre civile. Nous sommes désormais présents sur les marchés financiers mondiaux. Et nous encourageons tous les Somaliens à avoir recours aux services bancaires pour renforcer l’économie du pays ».
L’économie nationale a en effet été récemment bouleversée par une crise politique, qui a bien failli conduire le pays à de nouveaux affrontements. À la suite d’un vote du Parlement en avril 2021 visant à prolonger de deux ans le mandat du président Mohamed Abdullahi Mohamed, souvent appelé Mohamed « Farmaajo » (de l’italien formaggio, fromage, son surnom depuis l’enfance), le chaos a envahi les rues.
Mais devant le tollé général, le président a finalement annoncé début mai l’annulation de ce vote et l’organisation de nouvelles élections, ramenant le pays à une relative stabilité.
Une menace directe pour les sociétés de transfert d’argent en ligne
« L’émission de cartes Visa à Mogadiscio était attendue depuis longtemps en Somalie. Pour Mogadiscio en particulier, ce lancement va faire passer l’industrie des paiements mobiles à un niveau supérieur, car ces paiements mobiles ne pouvaient pas jusqu’ici faire l’objet de transactions en dehors de la Somalie », explique Ahmed Khadar, professeur d’économie et de finance à l’université de Somalie à Mogadiscio.
Ce service est révolutionnaire
« Mais il est probable que cela ait un impact négatif sur les services locaux de téléphonie mobile tels que EVC Plus et E-Dahab, car les consommateurs pourraient choisir d’utiliser des cartes Visa pour leurs besoins quotidiens », analyse-t-il.
Selon ce spécialiste, ce nouveau service offre en revanche de nombreuses opportunités aux clients des banques : ils auront notamment un accès illimité à leurs comptes et pourront acheter des biens et des services en dehors de la Somalie. Ils pourront enfin devenir les clients des banques internationales qui n’ont pas de succursales dans le pays.
« La particularité de la carte Visa est que vous pouvez acheter quelque chose en utilisant votre téléphone, même lorsque vous êtes en dehors du pays. Vous pouvez aussi faire des achats en ligne, ce qui n’était pas possible autrefois. Ce service est révolutionnaire », affirme-t-il.
Cependant, comme la plupart des Somaliens n’ont pas de compte bancaire, les paiements mobiles devraient continuer à largement dominer le marché.
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