Prudente réforme

Un projet de redistribution des terres suscite de vives réactions au sein de la minorité blanche. Même si Pretoria prend soin de ne pas imiter le Zimbabwe.

Publié le 10 août 2004 Lecture : 3 minutes.

Malgré les progrès réalisés depuis 1994 et l’avènement de la démocratie, l’Afrique du Sud reste encore un des pays les plus inégalitaires au monde. Notamment dans le domaine foncier. Près de 90 % des terres arables et la quasi-totalité des terres irriguées appartiennent à un petit nombre de fermiers blancs, tandis que des millions d’agriculteurs noirs sont pratiquement « sans terre ». En 1995, Nelson Mandela, alors chef de l’État, avait lancé une première réforme agraire pour tenter de corriger les inégalités héritées de l’apartheid. Mais le processus n’était fondé que sur une base volontaire. Résultat : presque dix ans plus tard, on estime à environ 3 % seulement les terres arables qui ont changé de mains.
Face à cette bombe à retardement léguée par le régime raciste et pour honorer les promesses de l’African National Congress (ANC, au pouvoir), le président Thabo Mbeki a déposé, le 26 juillet dernier, un projet de redistribution de la moitié des terres agricoles détenues par la minorité blanche. C’est du moins ce qu’espère, à l’horizon 2008, la ministre de l’Agriculture Thoko Didiza. Le texte évoque également l’appropriation par des Noirs de 35 % des compagnies agricoles encore accaparées par la minorité blanche, et veut convaincre les entrepreneurs agricoles de passer 50 % de leurs commandes à des fermiers noirs d’ici à 2010. Un chiffre qui devra monter à 70 % en 2014. Les terres à redistribuer seraient non pas réquisitionnées, mais rachetées par les fermiers noirs qui, pour cela recevraient jusqu’à 4 500 euros de subvention gouvernementale.
Le plan a suscité de vives réactions de la part des fermiers blancs. Malgré le fait qu’elle ait participé aux négociations qui ont abouti à l’adoption du projet de loi, Agri South Africa (Agri SA), une association regroupant environ 70 000 agriculteurs blancs, tient le plan pour irréalisable dans les délais proposés par le gouvernement. Quant à la Transvaal Agricultural Union (TAU), un groupuscule d’agriculteurs proche de l’extrême droite, ils refusent toute réforme agraire et se disent prêts à défendre leurs possessions bec et ongles. Leur campagne contre la réforme clame que l’Afrique du Sud est sur le point de devenir un nouveau Zimbabwe persécutant la communauté blanche. Et, de fait, le gouvernement de Pretoria, tenant à son image auprès de la communauté internationale, marche sur des oeufs. Le sort fait au Zimbabwe voisin incite au pragmatisme : mis à l’index par les bailleurs de fonds pour sa politique de réforme agraire jugée brutale, il s’est y compris vu refuser l’aide du Fonds mondial pour la lutte contre le sida, lors de la conférence de Bangkok au mois de juillet – un Fonds pourtant purement humanitaire.
Les fermiers noirs, contraints durant des décennies de travailler comme des esclaves sur leurs terres ancestrales, affichent de leur côté une position qui se veut rassurante mais définitive : recouvrer la propriété des terres ne signifiera pas que les Blancs en seront chassés ou ne pourront plus y travailler. Le « modèle zimbabwéen » ne séduit pas, mais après dix ans d’immobilisme il sera difficile de tolérer plus longtemps une telle situation.
La dépossession des Noirs n’a pas seulement été le fait de la conquête coloniale au XIXe siècle ou de la guerre des Boers – opposant les colons afrikaners aux troupes britanniques en 1899-1902. Elle a également été une politique menée délibérément, de façon continue, depuis la promulgation du Bantu Land Act en 1913, qui créait des réserves destinées à la population noire. Après l’accès au pouvoir des Afrikaners en 1948, on verra apparaître dans la même veine les homelands, ou « foyers nationaux », qui deviendront ensuite les fameux bantoustans, promis à l’autonomie politique, voire à « l’indépendance ».
Ainsi, entre 1950 et 1980, plus de 3,5 millions de Noirs ont été chassés de leurs terres, sans aucun dédommagement ni compensation. Et en 2004, rien n’a vraiment changé.

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