Pourquoi Megawati peut rebondir

Devancée par son ex-ministre de la Sécurité au premier tour de la présidentielle, elle conserve néanmoins de sérieuses chances de l’emporter.

Publié le 10 août 2004 Lecture : 3 minutes.

On lui reproche de préférer les honneurs de la présidence à l’action gouvernementale, de ne pas avoir jugulé le chômage et la corruption. Résultat : Megawati Sukarnoputri, le chef de l’État sortant, n’est pas arrivée en tête lors du premier tour de la présidentielle du 5 juillet. Recueillant 26,6 % des suffrages, elle a été distancée par le général Susilo Bambang Yudhoyono (33,6 %), dit « SBY », son ancien ministre de la Sécurité. L’ambitieux, lassé de jouer les seconds couteaux, avait démissionné du gouvernement en mars dernier, se lançant dans la bataille avec d’autant plus de fougue qu’il pensait Megawati quasi battue. À l’instar de nombreux observateurs, et même de certains partisans de la présidente, qui craignaient de voir un autre général (Wiranto, représentant le Golkar, le parti de l’ancien dictateur Suharto), lui souffler la deuxième place.
Erreur : non seulement Megawati a passé le cap du premier tour, mais elle s’accroche en vue du second, prévu pour le 20 septembre. Il lui reste six semaines pour convaincre. Rebondissements et suspens ne sont pas exclus, d’autant que le processus électoral s’y prête en raison de la configuration géographique complexe du pays (l’archipel compte 17 000 îles pour 220 millions d’habitants).
Certes, « SBY », qui se présente, en dépit d’un passé chargé, comme un homme nouveau, déterminé à lutter contre la corruption, demeure le favori. Menant une campagne « à l’américaine », il a séduit un électorat majoritairement citadin et éduqué. Il bénéficie par ailleurs de soutiens disparates. Le général représente « un nouvel espoir pour l’Indonésie », a ainsi déclaré Zulkieflimansyah, le leader du Parti de la justice pour la prospérité (islamiste), pendant que les responsables américains reconnaissent en privé qu’il a leur préférence. D’une part, parce qu’ils estiment que « SBY » a la poigne nécessaire pour s’attaquer aux difficultés du moment (l’économie et la sécurité). D’autre part, parce que le général a fermement pris position contre la Jamaah Islamiyah, un groupe terroriste lié à el-Qaïda, responsable de deux attentats, l’un perpétré dans une boîte de nuit de Bali, en octobre 2002, l’autre contre l’hôtel Marriott, à Djakarta, en août 2003.
La versatile Megawati s’était empressée de se rendre à Washington après les attentats du 11 septembre 2001, promettant de soutenir la « guerre contre la terreur » de George W. Bush, mais elle a fait machine arrière à peine rentrée à Djakarta. En 2003, elle s’est même livrée à une critique acerbe de la politique américaine en Irak devant l’Assemblée générale des Nations unies, comblant les voeux d’une population à 90 % musulmane et hostile à la guerre.
Pour l’issue du scrutin, souligne Wimar Witoelar dans le Jakarta Post, la prudence s’impose. À en croire ce conseiller en communication d’entreprise rompu aux arcanes du pouvoir (il a participé aux réformes qui suivirent l’ère Suharto), Megawati conserve de sérieuses chances de l’emporter.
Tout d’abord, parce qu’elle est désormais le seul rempart contre les militaires. Wiranto, accusé de crimes de guerre dans « l’affaire » du Timor oriental, est écarté du second tour. Mais Yudhoyono, ex-chef de bataillon dans ce même territoire à la veille de son indépendance et sbire de Suharto lorsque le Parti démocrate de Megawati fut mis à sac sur ordre du dictateur en 1996, n’a pas gagné, en ces circonstances, des galons de démocrate. « La fête d’anniversaire retransmise à la télévision, au cours de laquelle sa famille et lui portaient des uniformes en batik, les mêmes que sous Suharto, était effrayante à voir. […] Cela m’a fait froid dans le dos », commente Witoelar.
Si Megawati n’est pas encore battue, c’est aussi parce qu’elle a franchi le cap du premier tour sans trop de dommages : ses adversaires ne sont pas parvenus à la discréditer totalement et ne lui ont pas opposé des programmes élaborés.
Enfin, la fille de Sukarno, le fondateur de l’Indonésie moderne, ne se prive pas d’invoquer les mânes de la grande figure progressiste du Tiers Monde pour redorer son blason. On saura, en septembre, si la nostalgie familiale et le réflexe antimilitaire joueront en sa faveur. Et si le second tour de cette première élection présidentielle au suffrage universel direct sera tout aussi régulier que le premier, pour le plus grand bénéfice de la démocratie.

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