La Somalie dépérira si elle n’est pas rendue à son peuple

Publié le 10 août 2004 Lecture : 2 minutes.

On entre en Somalie comme dans un moulin. Personne n’y vérifie les passeports, et aucun visa n’est requis pour pénétrer sur le territoire. L’espace aérien du pays n’est pas respecté, encore moins ses frontières poreuses. Et l’Éthiopie est la première à violer en toute impunité sa souveraineté. Les soldats du grand voisin occupent régulièrement de larges bandes de territoire somalien, à la demande des États-Unis et sous prétexte d’aller à la chasse aux islamistes. L’Union africaine et les Nations unies n’ont jamais pris la peine de réprimander l’Éthiopie pour ces incursions répétées. L’année dernière, on a pu lire des articles qui relataient l’entrée d’un groupe de soldats américains dans Mogadiscio. Avec la bénédiction d’un chef de guerre somalien, ils sont allés chercher un présumé terroriste jusque dans son lit, pour l’enlever alors qu’il était malade.

À Mogadiscio, les conséquences de la ruine du pays sautent aux yeux. Et ce, dès l’aéroport, où les chefs de guerre, qui le contrôlent, demandent une « taxe d’atterrissage » aux arrivants. Dans la ville, des Somaliens démunis, pour la plupart réfugiés des zones rurales, squattent des bâtiments en ruine, qui, en d’autres temps, abritaient des bureaux de l’administration, des écoles techniques ou le ministère des Affaires étrangères. Les organisations humanitaires ne s’occupent pas d’eux. Car les représentants des Nations unies et des ONG quittent la ville en avion dès la tombée du jour, pour passer la nuit à Nairobi, où ils résident.
La dégradation du système éducatif est également de mauvais augure pour l’avenir du pays. La tradition somalienne de la transmission des connaissances s’est éteinte. Le seul enseignement qui demeure est aujourd’hui assuré par les Arabes, dont la langue a remplacé le somali à l’école. Une tragédie pour cette langue qui commençait juste à s’écrire quand le pays s’est écroulé. La Somalie était le seul pays africain où la langue était partagée par des millions d’habitants, mais la standardisation de son écriture n’avait été adoptée qu’en 1972. Elle ne sera plus aussi puissante si l’arabe continue d’être la langue utilisée à l’école.
Désormais, il ne reste plus grand-chose de la richesse de la Somalie. Ses plages ont été louées à des entrepreneurs qui y déversent des déchets nucléaires. Les propriétés du gouvernement ont été confisquées par les pays européens ou africains pour défaut de paiement. Même la compagnie aérienne nationale a dû mettre fin à ses activités, parce qu’elle n’honorait pas les taxes de décollage et d’atterrissage. Les enfants somalis, futurs prostitués, sont échangés contre des camions d’armes donnés aux seigneurs de guerre.
Sommes-nous, nous Somaliens, responsables d’un pays devenu le havre de terroristes, dont on peut entrer et sortir en toute liberté ?

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Pour s’attaquer aux problèmes de la Somalie – et éventuellement tenter d’y apporter des solutions -, nous devons reprendre possession de notre patrie. Tout le monde doit nous rendre nos propriétés, et les ingérences dans nos affaires doivent cesser. Mais si notre pays reste le terrain de jeux des autres et que nous continuons à être les victimes d’une machination venue de l’extérieur, alors nous ne pourrons jamais lutter contre le terrorisme. n

* Dernier livre paru : Links (Riverhead Books, avril 2004).

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