Lamari, tel que je l’ai connu

Publié le 10 août 2004 Lecture : 4 minutes.

C’est Reda Malek, alors Premier ministre, qui, au début de 1994, a organisé ma première rencontre avec le général Mohamed Lamari, qui était déjà le chef d’état-major de l’armée algérienne. Par la suite, j’ai revu ce dernier à plusieurs reprises par l’entremise – et, parfois, en compagnie – de l’un de ses camarades que je connaissais depuis longtemps et en qui il avait, à l’évidence, une très grande confiance.
Cette première rencontre intervenait à un moment crucial de la lutte entre l’État algérien et l’islamisme armé : le gouvernement s’apprêtait à annoncer que cette lutte ne connaîtrait désormais plus de pause – alors que la période précédente avait été périodiquement marquée par des tractations toujours infructueuses. C’était aussi le moment où allait être annoncée la décision qui, à mon avis, joua un rôle décisif dans la défaite finale de l’islamisme armé : la formation de groupes d’autodéfense à l’échelle de chaque localité.

Ce qui m’a frappé lors de ce premier entretien, ce fut naturellement l’aspect extérieur de mon interlocuteur : sa rondeur, sa placidité, la simplicité avec laquelle il évoquait les événements les plus dramatiques. Mais ce fut aussi le soin qu’il prit à me faire comprendre que je ne trouverais pas chez lui le moindre écart avec les positions prises par le pouvoir politique. Comme j’évoquais les réticences de celui-ci à laisser se constituer les groupes d’autodéfense – aucun gouvernement, nulle part, n’accepte volontiers d’armer le peuple -, il tenta même de les justifier, alors que je savais fort bien qu’il en était partisan et que la décision était sur le point d’être prise. Mais ce souci fut toujours le sien durant nos conversations suivantes.
Par la suite, nos conversations à propos de la conduite des opérations antiterroristes seront toujours très libres et, surtout, très concrètes. Quelque chose, je crois, a changé dans nos rapports quand, pour lui faire comprendre l’intérêt presque professionnel que je portais au type de lutte dans lequel il était engagé, je lui ai confié que j’étais entré dans ma vie d’homme en prenant part à la Résistance française, et de quelle façon. Cela suffit à nous donner un langage commun.
C’est en m’entretenant avec lui que j’ai le mieux compris à quel point la réalité était éloignée des affabulations de tant d’observateurs étrangers à propos de l’armée algérienne, de ses chefs et de leurs rapports avec le pouvoir politique. J’ai découvert que ces rapports étaient naturellement étroits, mais aussi très complexes. Qu’ils différaient selon les sujets, les circonstances et les hommes concernés.
Le général Lamari en était un exemple. Contrairement à certains de ses camarades, il n’était pas un « politique ». Simplement, il était convaincu de la justesse de la lutte qu’il menait contre l’obscurantisme, la barbarie et le fanatisme. Pour le reste, il faisait instinctivement confiance à ceux de ses camarades qui incarnaient le mieux la volonté de moderniser l’Algérie. On peut estimer qu’il a été logique avec lui-même quand, à la veille des dernières consultations électorales, il a signé de son nom plusieurs textes appelant publiquement l’armée à faire preuve de neutralité, mais, en même temps, de la plus grande vigilance face à tout recul devant l’ennemi qu’il avait combattu.
Je connaissais la cause de son maintien prolongé à la tête de l’armée algérienne : plus que tout autre, il avait la confiance des cadres de cette armée et, singulièrement, des jeunes officiers. Sa réputation d’intégrité y contribuait certainement, mais l’essentiel était sa présence sur le terrain, son attention quotidienne aux épreuves des combattants. Une anecdote courait naguère les casernes. Un jour, un poste militaire est attaqué par des maquisards islamistes et semble sur le point d’être emporté. Lamari se rend dans la salle des opérations et prend contact par radio avec le chef de poste. Il lui demande de lui décrire en détail la situation, puis lui transmet ses ordres. Il maintiendra le contact radio et suivra le déroulement des combats jusqu’à ce que le poste soit sauvé…

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Autre anecdote révélatrice. En septembre 1997, des villageois sont massacrés à Benthala, dans les environs d’Alger, sans que la garnison d’un poste militaire situé à proximité intervienne. Cette passivité scandalise l’opinion, mais la garnison n’a fait qu’obéir à la règle : pour éviter les pièges et les diversions, les unités quadrillant un secteur ne doivent pas intervenir avant d’avoir alerté le commandement qui, de son côté, doit s’attacher à vérifier la réalité et l’ampleur des attaques dont il est informé. Manifestement, l’application rigide de cette règle a eu des conséquences désastreuses. Lamari organise alors, à Zeralda, une séance générale de critiques ou d’autocritiques au cours de laquelle le commandement de la région militaire et l’état-major de l’armée sont confrontés aux réactions des officiers engagés sur le terrain… L’application des règles en vigueur sera finalement assouplie…
Telle était la « méthode » Lamari, l’origine de sa réputation, l’explication de son exceptionnelle autorité. Le rôle du général dans la lutte contre l’islamisme armé a sans nul doute été déterminant. Sans doute a-t-on jugé que la page était désormais tournée.

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