Cameroun : quand l’homophobie entrave la lutte contre le VIH/sida

Quarante ans après l’identification des premiers cas de VIH/sida, au Cameroun, la persécution des minorités sexuelles empêche de progresser significativement dans le combat contre ce fléau.

La Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie (IDAHO) a lieu chaque 17 mai, y compris en Afrique © Dolores Ochoa/AP/SIPA

La Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie (IDAHO) a lieu chaque 17 mai, y compris en Afrique © Dolores Ochoa/AP/SIPA

  • Jean Dibakto

    Identité d’emprunt. Membre de la société civile engagé dans la lutte contre le sida et pour les droits des personnes LGBT et des autres groupes vulnérables, en Afrique et dans le monde.

Publié le 17 août 2021 Lecture : 6 minutes.

Je me bats depuis plusieurs années pour les droits des minorités sexuelles et de genre, et pour un monde sans sida. Dans mon pays, le Cameroun, des forces dites « de sécurité » peuvent arrêter et tabasser les personnes issues des minorités sexuelles et de genre en toute impunité, et des juges supposés sages et vertueux n’ont aucun problème à condamner deux femmes transgenres à cinq ans de prison pour « tentative d’homosexualité ». Mon combat n’est pas celui d’un Camerounais ou d’un Africain, il est celui d’un jeune citoyen du monde atterré par la violence inouïe que subissent chaque jour, sur chaque continent, des millions de personnes dont le seul crime est d’exister ou de ne pas se reconnaître dans le système binaire homme/femme.

Litanie de violences

En 2021, les personnes LGBT sont encore et toujours considérées comme des pestiférées dans de nombreuses sociétés. Au cœur de l’Europe, en Hongrie, un texte discriminatoire visant cette communauté a été adopté en dépit des protestations de Bruxelles et de nombreux États membres. Au Ghana, un projet de loi pénalisant les personnes LGBT et toute personne qui prône la défense de leurs droits a été déposé. Au Sénégal, une manifestation appelant à requalifier l’homosexualité – déjà considérée comme un délit – en crime a donné libre cours à un torrent de haine. Au Guatemala, deux femmes transgenres et un homosexuel ont été assassinés à quelques jours d’intervalle. En Belgique, un quadragénaire homosexuel a été battu à mort dans un parc… La litanie des violences est sans fin.

La pandémie de Covid-19 a aggravé la situation, déjà précaire et fragile, de ces communautés

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Ces exactions sont autant le fait d’individus isolés que des autorités, les premiers profitant souvent de la complicité passive ou active des secondes. À ce jour, d’après le rapport de l’association Ilga, 69 pays dans le monde pénalisent les relations homosexuelles entre adultes consentants.

La pandémie de Covid-19 a aggravé la situation, déjà précaire et fragile, de ces communautés. Des Amériques à l’Afrique, de l’Europe à l’Océanie, les confinements répétés ont accentué leur isolement et leur marginalisation. La désinformation galopante les a fait passer pour des vecteurs de maladie. Dans les régimes autoritaires, le renforcement des mesures de police et de surveillance a permis de justifier leur persécution.

Risque accru

En Afrique comme ailleurs, les phénomènes religieux, les superstitions, les valeurs patriarcales et ancestrales cristallisent les fantasmes autour des minorités sexuelles et de genre, les désignant comme la cause de tous les maux. À grand renfort de prêches, on déclare que ces personnes sont abjectes. Les coups pleuvent sur les corps, mais ce sont les âmes qu’ils finissent par atteindre au plus profond. Cette vulnérabilité psycho-sociale plonge les victimes dans un abîme de détresse. La souffrance qui résulte de l’exclusion est immense.

Au-delà de leur impact psycho-social sur les personnes, la marginalisation, la stigmatisation et la criminalisation des minorités sexuelles et de genre empêchent de progresser plus vite vers l’élimination du sida, qui touche de manière disproportionnée les groupes les plus vulnérables. D’après Onusida, le risque de contracter le VIH est 25 fois plus élevé pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, et 34 fois plus élevé chez les femmes transgenres. Les sociétés qui contraignent ces groupes de personnes à vivre dans l’ombre empêchent ou limitent de fait leur accès aux soins et services de santé essentiels.

Les agents de santé deviennent victimes de l’opprobre parce qu’ils essaient de vaincre le sida là où il se trouve

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Pis encore, les agents de santé communautaires et pairs éducateurs, éléments indispensables du système de santé qui apportent soins, écoute et conseils aux plus vulnérables, deviennent à leur tour victimes de l’opprobre tout simplement parce qu’ils essaient de vaincre le sida là où il se trouve. Tant que ces visions et attitudes discriminatoires perdureront, nous ne pourrons faire de progrès décisifs contre le sida, ni contre la tuberculose, qui constitue la première cause de mortalité pour les personnes vivant avec le VIH.

Inverser la logique répressive

Face à ce tableau terrible, une seule solution : l’éducation. Nous devons permettre l’accès de tous à la connaissance, et enseigner la tolérance. Au tout début de mon engagement, j’ai dû moi-même apprendre à ne plus avoir peur des différences, de ma différence, ni que mon engagement en faveur des minorités sexuelles et de genre puisse nuire à ma santé physique et mentale. Je taxais les personnes transgenres d’ « efféminées » ou de « viragos », de « personnes particulièrement excessives qui, par leur excentricité, s’exposent à la violence et à une mort certaine »… Je ne savais pas que leur comportement social était la conjugaison d’histoires de rejet : rejet et l’incompréhension de soi, rejet familial. Je croyais ce que j’entendais autour de moi : l’homosexualité est la « chose des blancs », l’appel à respecter les minorités sexuelles est une « lubie occidentale »…

C’est aux dirigeants qu’il incombe de créer un cadre propice au savoir et à la tolérance

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L’accès à l’éducation m’a permis de m’élever au-dessus de ce magma d’inepties et d’idées reçues. En m’engageant ensuite comme agent de santé communautaire avec le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, j’ai pu développer mes savoirs, notamment sur les questions d’identité de genre, les obstacles aux services de santé liés aux droits humains, l’impact du non-respect des droits sur la transmission du VIH et les techniques de résilience pour maintenir l’action de prévention et de prise en charge du VIH en contexte hostile.

Je ne crois pas que les populations puissent être tenues pour responsables de leur ignorance. C’est aux dirigeants qu’il incombe de créer un cadre propice au savoir et à la tolérance. C’est aussi à eux qu’il revient d’inverser la logique répressive : ce ne sont évidemment pas les minorités sexuelles qu’il faut sanctionner, mais bien les auteurs et promoteurs d’actes haineux à leur encontre. Face à ces violences subies au quotidien, l’inaction des décideurs est lâche et coupable dans un monde qui a profondément besoin de paix.

Lueurs d’espoir

Ces dernières années, le Botswana, l’Angola, le Mozambique, le Gabon et les Seychelles ont dépénalisé les relations entre personnes de même sexe, rejoignant le Lesotho et l’Afrique du Sud. Ces évolutions positives sont la preuve que la volonté politique permet de faire progresser un pays vers plus de justice et d’équité. Les progrès ne se limitent pas au continent africain. L’Argentine a instauré un quota de personnes transgenres dans le service public. Aux États-Unis, le président Biden a signé un décret qui engage le pays à utiliser la diplomatie et l’aide au développement pour promouvoir et protéger les droits des personnes LGBT partout dans le monde. En Europe, le Parlement européen a voté une résolution visant à accélérer la lutte contre le sida dans laquelle il appelle la Commission et les États membres de l’Union à « s’attaquer aux violations des droits de l’homme et aux inégalités entre les hommes et les femmes, qui sont des moteurs du VIH/sida, en luttant en priorité contre la stigmatisation et la discrimination, contre la violence sexuelle et de genre, contre la criminalisation des relations homosexuelles ».

Ces engagements forts pour la défense des droits des minorités sexuelles et de genre doivent être salués. De manière tacite ou explicite, ils reconnaissent que la discrimination et la stigmatisation de ces dernières ont un impact direct et désastreux sur la santé publique et nourrissent l’épidémie du VIH. Ils indiquent aussi qu’une approche centrée sur le respect des droits humains est indispensable pour venir à bout des épidémies, en particulier celle du VIH/sida, qui sévit depuis quarante ans.

Pour nous et pour les générations futures, j’appelle les autorités publiques, la société civile et les organisations internationales à poursuivre et accentuer ensemble la lutte pour un monde meilleur, plus juste, plus libre, et enfin débarrassé du sida.

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