Glacial réchauffement
L’annonce royale, le 30 juillet, à l’occasion de la fête du Trône, de la suppression des visas pour les ressortissants algériens désirant se rendre au Maroc a surpris les observateurs. Cette procédure avait été instaurée en 1994, après qu’un attentat terroriste eut ciblé l’hôtel Asni, à Marrakech, provoquant la mort de trois touristes espagnols. Driss Basri, alors ministre marocain de l’Intérieur, avait accusé les services secrets algériens d’être les commanditaires. Feu Hassan II décrète l’instauration du visa. Riposte d’Alger, qui opte pour la réciprocité et ferme ses frontières terrestres avec le Maroc, une vraie catastrophe économique pour la partie orientale du royaume.
La réaction d’Alger à cette décision royale est encore plus étonnante. Le silence officiel qui a accompagné la nouvelle a été rompu trois jours plus tard, le 2 août, par une lettre envoyée par le président Abdelaziz Bouteflika à Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies. Dans cette missive, le chef de l’État algérien réaffirme que son pays n’est pas partie prenante dans l’affaire du Sahara, ce territoire désertique mais riche en phosphates et prometteur en matière pétrolière, que se dispute le Maroc et les indépendantistes du Polisario, soutenus par Alger. Dans la même lettre, Bouteflika réitère sa volonté de développer les relations entre les deux pays voisins sans toutefois que cela soit soumis à une quelconque conditionnalité. Parfaite illustration de la complexité des relations algéro-marocaines : le souverain chérifien transmet des messages aux Algériens en s’adressant à ses sujets et Boutef lui répond dans une lettre destinée au patron de l’ONU.
La mesure annoncée par Mohammed VI a tout du geste de bonne volonté entrant dans la logique du message que lui a adressé Bouteflika à l’occasion du cinquième anniversaire de son accession au trône. Le président assurait le roi de sa volonté d’oeuvrer inlassablement pour l’édification maghrébine et d’aller de l’avant dans l’intégration économique.
Pourquoi, dans ces conditions, la suppression de la procédure de visa a-t-elle autant irrité le palais El-Mouradia ? « Son côté unilatérale, répond un proche du président algérien. Les 21 et 22 juin, la commission consulaire réunissant les experts des deux pays n’avait pas inscrit la circulation des personnes dans son ordre du jour. Pis : le 22 juillet, le président a accordé une longue audience au ministre marocain de l’Intérieur, Mostafa Sahel, et la question du visa n’a pas du tout été évoquée. Nous concevons qu’il s’agit de systèmes de gouvernement différents. Nous admettons aussi la possibilité que ni les experts marocains ni Mostafa Sahel n’étaient au courant du contenu du discours royal. S’il est concevable qu’un souverain décide pour son peuple, il ne peut le faire pour les autres peuples. En matière de relations de bon voisinage, un minimum de concertation est nécessaire. » Le sentiment d’humiliation est perceptible dans les propos du collaborateur de Bouteflika, mais il y a également de la colère. Pour les Algériens, Mohammed VI veut leur forcer la main, une manoeuvre visant à leur donner le rôle du méchant aux yeux de la communauté internationale : celui qui refuse la normalisation.
Les propos de Driss Basri accusant, à tort, les services algériens d’avoir organisé l’attaque de Marrakech et justifiant l’instauration de la procédure du visa n’ont provoqué, à ce jour, ni regrets ni excuses publiques. L’armée et le gouvernement algériens ne sont pas près de l’oublier. En attendant des jours meilleurs, c’est la population qui vit les plus grandes frustrations. L’annonce royale avait déclenché les rêves les plus fous. À Oujda, ville marocaine frontalière, c’est tout juste si l’on n’a pas égorgé le mouton pour saluer l’événement. Le 2 août, le journal télévisé algérien, particulièrement suivi dans cette ville, a mis fin à tous les espoirs. Unanime, la presse algérienne a salué le geste royal, et les agences de voyages s’attendaient à une sensible augmentation des réservations sur la destination Maroc. Las ! Alger ne semble pas pressée de rendre la pareille. D’ailleurs, Boualem Bessaieh, ambassadeur d’Algérie à Rabat, est absent de la capitale marocaine. A-t-il été discrètement rappelé pour consultation ? Ou est-il tout simplement en congé ?
Aussi légitime soit-elle, la position algérienne n’est pas tenable. La levée des visas ne saurait rester trop longtemps unilatérale. La réciprocité devrait donc intervenir dans quelques semaines, « le temps que les autorités marocaines retiennent la leçon », laisse entendre un diplomate algérien. Quant à la réouverture des frontières terrestres, elle constituera, dans les jours à venir, l’ordre du jour de la commission créée à l’occasion du séjour algérois de Mostafa Sahel. Comme quoi il n’aura pas été d’une totale inutilité. L’annonce de la réouverture du poste de Zoudj Beghal, séparant Maghnia l’algérienne d’Oujda la marocaine, devrait intervenir avant la fin de l’année, sans doute à l’occasion du voyage du Premier ministre marocain, Driss Jettou, en Algérie. Mais que de temps perdu pour des considérations plus psychologiques que pragmatiques ! Il n’y a qu’au Maghreb qu’une décision visant à réchauffer les relations avec un voisin jette autant de froid.
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