Démons et merveilles

Publié à l’initiative de Tel-Aviv, un album photo vantant la beauté de la « terre sainte » annexe purement et simplement les Territoires occupés à l’État hébreu.

Publié le 10 août 2004 Lecture : 4 minutes.

« La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre », écrivait en 1975 Yves Lacoste, un spécialiste de cette discipline. À quoi deux autres répondirent bientôt : « La guerre, ça sert aussi à faire la géographie. »
Rien ne saurait mieux illustrer cet échange que l’album publié à l’initiative de Tel-Aviv sous le titre Merveilleux Israël. Un fort bel album, d’ailleurs, illustré de splendides photographies. Mais sa première « merveille » est l’opération magico-géographique sur laquelle il s’ouvre : en l’espèce une carte dite d’Israël. On doit se frotter les yeux pour y croire. On n’y trouve, en effet, pas la moindre mention de la Cisjordanie ou de la bande de Gaza. Le Golan, bien sûr, y est intégré à l’État hébreu. Lequel n’hésite pas à englober tout le mont Hermon qualifié, dans le texte, de « point culminant d’Israël ».
Le château de Nemrod, pour sa part, dont on rappelle que cette place forte fut édifiée par les Croisés au nord du plateau du Golan, sur le versant dudit mont Hermon, est décrit comme dominant « de façon insolite » (sic) « les unités de surveillance installées par Israël, la Syrie, le Liban et les Nations unies autour des points frontaliers ». Soit un autre exemple de la façon dont la guerre « sert à faire la géographie » : puisque le drapeau à l’étoile de David ne fut planté sur ce « point culminant d’Israël » par le colonel Pinchas Noi, du 13e bataillon Golani, descendu d’hélicoptère avec son opérateur radio, qu’au lendemain du dernier jour, le sixième, de la guerre de juin 1967. Ainsi les Israéliens font-ils exactement ce qu’ils reprochent à certains manuels palestiniens et arabes où Israël ne figure pas : pour eux aussi, la moindre esquisse de la Palestine est décidément inexistante.
Il ne reste plus, alors, qu’à admirer tour à tour, au fil des pages de cet album : le lac de Tibériade, aux rives débarrassées de toute présence étrangère et considéré par les Israéliens comme « leur seul lac d’eau douce », véritable « fontaine nationale », et la coexistence idyllique, avec le judaïsme, des autres religions du Livre, représentées par : une messe catholique en l’église de la Nativité à Bethléem ; une procession grecque orthodoxe dans la même ville, et des milliers de musulmans en prière sur le mont du Temple, à Jérusalem. Qui oserait encore, dans ce merveilleux Israël, parler de tensions ou de guerre ?
Les auteurs eux-mêmes, à vrai dire, ne peuvent ignorer tout cela, quitte à n’en faire que des accidents venus historiquement perturber le plan divin faisant de cette région la Terre promise au seul peuple juif.
Voulant y voir un « pont entre deux « âges » », Amotz Asa-El note d’emblée que, « prise en étau entre les deux pôles, égyptien et babylonien, du Croissant fertile, la terre biblique de Canaan subit la pression constante de ces deux civilisations monumentales : au Sud, l’opulente Égypte ; au Nord, une grande puissance militaire. Entre les deux, une voie d’accès bien balisée ». Il fallut le déclin des grandes puissances régionales pour que pussent se créer, brièvement, les « divers royaumes israélites » : ceux du roi Saül, aux environs de 1000 av. J.-C., puis du roi David (vers 970 av. J.-C.), enfin de Salomon, fils de David, constructeur du temple de Jérusalem. Mais, avec la mort de ce dernier, « commença le temps des divisions. Dans le dernier tiers du Xe siècle av. J.-C., sous le règne de Jeroboam, les dix tribus du Nord se scindèrent, laissant les deux tribus du Sud constituer le royaume de Juda ». Ce qui mena à la destruction du royaume septentrional d’Israël, à l’offensive victorieuse du roi assyrien Sargon II et, cent trente ans plus tard, à la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor.
Inutile de revenir sur la suite : le fait est que, malgré quelque grandeur éphémère, Israël ne joua jamais qu’un rôle marginal dans l’histoire du Moyen-Orient. « Située aux confins de trois continents, écrit l’auteur, cette terre fut tour à tour ravagée par la guerre et enrichie par le négoce. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la Palestine était une fois encore laissée à l’abandon et il a fallu notre époque pour la voir renaître, inaugurant une nouvelle ère de prospérité et d’influence. »
Reste qu’il est besoin d’une foi tenace pour déceler une réelle continuité entre l’Israël d’hier et celui d’aujourd’hui. L’affligeante vérité est que la naissance de l’actuel État doit davantage à Adolf Hitler qu’au Dieu de la Bible. À l’occasion du centenaire de la mort de Theodor Herzl, auteur de L’État des Juifs et fondateur du sionisme politique, Geoffrey Wheatcroft, par ailleurs titulaire d’un American National Jewish Book Award, vient de le rappeler (dans l’International Herald Tribune, du 3-4 juillet) : l’idée de modeler le peuple juif dans une « nation comme les autres » (selon la future formule de David Ben Gourion) se heurta initialement chez les Juifs à une hostilité quasi générale, depuis les rabbins orthodoxes jusqu’aux socialistes du Bund. Même les flambées d’antisémitisme européen et les pogroms de la Russie tsariste jetèrent davantage de victimes potentielles sur la route des États-Unis que sur les rivages de la Palestine. Alors vint la Shoah…

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