[Tribune] Au Sahel, la guerre confisque tout espoir à la population
Le 13 août, 37 personnes, dont 13 enfants, ont été tuées par des hommes armés dans la région du Tillabéri, au Niger, près de la frontière malienne. Une énième illustration des violences sans fin, qui infligent d’immenses souffrances aux populations.
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Patrick Youssef
Directeur régional pour l’Afrique au Comité international de la Croix-Rouge
Publié le 21 août 2021 Lecture : 3 minutes.
Adja avait 13 ans lorsque des hommes armés ont surgi dans son village et ouvert le feu au hasard sur les habitants avant de repartir. Les assaillants la croyant morte, elle a eu « la chance » de survivre.
Elle a dû être opérée en urgence par mes collègues, à l’hôpital de Mopti, au Mali. Au bout de trois mois de convalescence, elle a pu quitter l’hôpital pour être recueillie par une famille de son village qui avait survécu à l’attaque. Mais, désormais, elle est handicapée et déscolarisée parce qu’elle ne peut plus marcher sur de longues distances et rejoindre l’école. Aujourd’hui âgée de 15 ans, Adja ne peut plus puiser de l’eau au puits, porter un seau sur la tête ou piler des céréales. Sa vie s’est en quelque sorte figée.
L’histoire d’Adja n’est malheureusement pas singulière au Sahel. Les populations vivent au rythme d’attaques aveugles et d’intenses opérations militaires sur fond d’impasse politique, de crise économique et de choc climatique. Cette situation provoque la recrudescence des conflits et des activités criminelles, exacerbe les tensions intercommunautaires et aggrave le dysfonctionnement des services publics.
Vies bouleversées
Ces derniers mois, la situation a été particulièrement dramatique dans la région du Liptako Gourma, à cheval sur les frontières du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Le niveau de violence y a franchi un cran, augmentant les souffrances d’une population déjà très vulnérable. Dans ces trois pays, des centaines de morts et de blessés, hommes, femmes et enfants, sont à déplorer depuis le début de l’année.
Même les structures médicales ne sont plus des sanctuaires. »
Sur les axes routiers, de plus en plus de véhicules civils et d’ambulances sautent sur des engins explosifs improvisés. En 2020, rien qu’au Mali, nos équipes du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont enregistré au moins 39 incidents de cette nature, qui ont fait 224 victimes civiles (61 morts et 163 blessés).
Les structures médicales ne sont pas davantage épargnées. Elles ne sont plus des sanctuaires : les attaques contre le personnel médical, les vols d’ambulances et de médicaments privent des milliers de personnes d’accès aux soins vitaux.
Chacun de ces chiffres froids masquent des vies bouleversées. Pour juguler l’insécurité, les États ont renforcé leurs armées, parfois en recrutant des auxiliaires parmi les civils. Parallèlement, des citoyens s’organisent en milices d’autodéfense. Mais à quel prix ? Ces citoyens perdent la protection conférée aux civils dès lors qu’ils participent aux combats.
L’ethnicisation de la violence constitue un réel danger pour la région. »
En outre, le développement de ces milices pourrait se révéler contre-productif, puisqu’il est susceptible de favoriser la prolifération des armes et d’aviver les tensions entre les communautés. L’ »ethnicisation » de la violence constitue un réel danger pour la région.
Quel espoir d’avenir ?
Nous nous efforçons d’engager un dialogue continu et constructif avec les hommes en armes et les cercles d’influence, afin de faire en sorte que, dans la conduite des hostilités, les principes et les normes du droit international humanitaire soient appliqués, en particulier la protection des civils, des blessés, des malades et des personnes capturées, détenues ou disparues.
Ce dialogue avec toutes les parties en présence est un impératif humanitaire s’il l’on veut fournir une aide minimum vitale, car nous estimons que plus de 1,5 million de personnes vivent dans des zones où l’accès à l’aide humanitaire et aux services de base sont en péril.
Plus de 2 millions d’autres ont dû quitter leur foyer en raison des violences. Confrontés à des difficultés d’accès aux services sociaux de base, beaucoup n’ont d’autre choix que se rapprocher des zones urbaines, espérant trouver un peu de sécurité et des chances de survie.
Avec la pression démographique, l’accès aux ressources naturelles et aux services publics – y compris les hôpitaux, les écoles, les sources d’eau et les terres arables – devient de plus en plus compliqué dans un environnement déjà fragilisé par le changement climatique.
Alors quel espoir d’avenir pour Adja et les millions d’autres civils au Sahel ?
La réponse sécuritaire ne peut se suffire à elle-même. L’entreprise la plus difficile consiste à protéger les populations civiles tout en cherchant un consensus politique en vue de renforcer le développement économique et social, c’est-à-dire investir dans l’humain.
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