À quoi jouent les avocats ?

Béchir Essid, un opposant radical au régime, vient d’être élu bâtonnier. Une fonction qu’il connaît bien, pour l’avoir déjà exercée lors d’un premier mandat.

Publié le 9 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.

Coup de tonnerre dans la classe politique et les milieux judiciaires tunisiens. Le 1er juillet, Béchir Essid, un opposant radical au pouvoir, a été élu à la tête de l’Ordre des avocats, une organisation qui s’est toujours distinguée à Tunis par sa pugnacité à défendre les droits de l’homme et les libertés. Personne ne s’attendait à ce qu’Essid, qui a déjà occupé ce poste entre 2001 et 2004, retrouve ses anciennes fonctions. C’est pourtant bien le cas.

Au second tour du scrutin destiné à élire le prochain bâtonnier, Essid l’a emporté par 108 voix d’avance (sur 2 278 bulletins exprimés) sur Charfeddine Dhrif, un candidat indépendant qui avait reçu le soutien des militants du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, parti au pouvoir). Une victoire qu’il doit, entre autres, au bon report sur sa candidature des voix de la majorité des avocats sensibles aux thèses islamistes et gauchistes, ainsi qu’au soutien que lui ont apporté ses plus jeunes confrères.
Si les vainqueurs savourent encore la surprise sortie des urnes, les partisans de Dhrif ont beaucoup plus de mal à avaler la pilule. Pour eux, il s’agit d’un résultat politique et n’hésitent pas à dénoncer l’irruption d’un « règlement de comptes » entre pro- et antipouvoir au sein de l’Ordre. « Les avocats ont fait un choix, ils ont élu un analphabète politique, ils n’ont plus qu’à en subir les conséquences », lance l’un d’entre eux. Si, pour l’instant, les autorités ne disent rien, un certain malaise est cependant perceptible : au lendemain du retour de Béchir Essid à la tête de l’Ordre des avocats, les médias gouvernementaux n’en ont pas fait état.
Si le scrutin suscite bien des débats, tout le monde s’accorde, en revanche, pour dire que l’élection d’Essid constitue un vote-sanction, tant le sort des avocats est habituellement lié, en Tunisie, à la qualité de leur dialogue avec le pouvoir politique. Habitués jusqu’en 2001 à élire des modérés qui tentaient de concilier l’indépendance nécessaire à l’exercice de leur profession et la recherche du compromis avec les autorités, les avocats ont alors dérogé pour la première fois à la règle en élisant Essid. La profession traverse à l’époque une crise profonde, qui se poursuit aujourd’hui. Mais comme on pouvait s’y attendre, l’élection d’un radical se conclut par une dégradation rapide des rapports de l’Ordre avec le pouvoir, à tel point que les revendications syndicales ne sont même plus prises en compte. Croyant améliorer leur sort en remplaçant Essid lors du scrutin de 2004, les avocats placent à nouveau à leur tête un modéré, en la personne d’Abdessatar Ben Moussa.

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Pendant son mandat, celui-ci ne parvient pourtant pas à apaiser les tensions, raison pour laquelle il ne s’est pas représenté cette année. En effet, la thématique retenue par tous les candidats en 2007 montre que la situation de la profession ne s’est pas améliorée. Tous les discours ont été axés sur le manque d’autonomie du barreau, les conditions de travail difficiles de ses membres et la chute de leur niveau de vie. Les avocats se plaignent, entre autres, de l’absence de système d’assurance-maladie et d’un phénomène de « paupérisation » qui conduit certains d’entre eux à préférer demander leur retraite anticipée pour survivre plutôt que de continuer à travailler. Beaucoup évoquent également des désaccords avec l’État à propos de l’élargissement de leur champ de compétence. Ils souhaitent notamment pouvoir gérer le futur institut de formation dont l’ouverture est prévue prochainement, ainsi qu’avoir un droit de regard sur la limitation du nombre de nouveaux inscrits au barreau.
Les stagiaires enfin, chaque année un peu plus nombreux – ils étaient 1 900 sur 5 000 avocats inscrits l’an dernier -, commencent à en avoir plus qu’assez d’être maintenus dans un statut peu valorisé et peu rémunéré, alors qu’ils abattent, au quotidien, peu ou prou la même somme de travail que leurs aînés. Tous n’ont pas voté aux dernières élections, loin s’en faut. Mais ceux qui l’ont fait n’ont pas manqué de crier haut et fort leur ras-le-bol, en faisant pencher la balance en faveur d’Essid. Leur pari ? En passer par une cure de radicalisme pour les sortir de l’ornière. Un bon calcul ?

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