Pourquoi la Palestine n’existe pas
Éditorialiste au quotidien de gauche Haaretz, le journaliste israélien Bradley Burston est connu pour ses prises de position très engagées contre l’extrême droite juive et ceux qu’il appelle « les cinglés de Hébron » (les colons extrémistes). Il livre ici
Cela fait plus d’un siècle que les dirigeants arabes parlent de la création d’une Palestine indépendante. Quatre des cinq derniers Premiers ministres israéliens en ont admis le principe et l’ont approuvé. La communauté mondiale reconnaît qu’un tel État devrait exister. Il en va de même du président George W. Bush. Et 1 milliard de musulmans en sont convaincus.
Pourquoi n’y a-t-il pas de Palestine ?
1. Parce que les Israéliens n’arrivent pas à se décider.
Les sondages d’opinion ont montré qu’une nette majorité d’Israéliens souhaite la fin de l’occupation. Mais l’histoire – et les cratères laissés par les Katioucha et les Qassam – montre qu’une nette majorité d’Israéliens et la quasi-totalité de leurs dirigeants ne veulent pas prendre le risque potentiellement catastrophique de mettre fin unilatéralement à l’occupation.
Se méfiant des véritables intentions des Palestiniens et craignant les conséquences sociales de l’évacuation des colons de Cisjordanie, l’opinion est peu enthousiasmée par la recherche d’une solution diplomatique.
Nous ne voulons plus payer le prix de l’occupation, mais nous sommes convaincus que le prix de l’évacuation est beaucoup trop élevé.
2. Parce que les Palestiniens n’arrivent pas à se décider.
Pendant des décennies, les Palestiniens n’ont pas été en situation de décider ce qu’ils voulaient. Israël refusait tout contact avec leurs représentants, ne voulait pas entendre parler de leurs aspirations, colonisait leurs territoires, jetait en prison et pourchassait leurs dirigeants.
L’occupation n’était pas simplement le prétexte de toutes les plaintes, l’explication de toutes les décisions, le diagnostic de toutes les souffrances. C’était aussi l’excuse d’un débat indéfiniment repoussé sur la nature du futur État palestinien indépendant.
Pour pouvoir avancer dans le bon sens, les Palestiniens doivent définir leurs positions sur les problèmes clés du conflit. Fondamentalement, ils doivent décider s’ils veulent faire définitivement la paix avec Israël ou bien lutter pour une Palestine qui prenne la place de l’État hébreu.
3. Parce qu’aucune des deux parties ne veut respecter les accords de paix.
Des deux côtés, des équipes d’enquêteurs s’échinent à réunir les éléments prouvant que l’autre camp n’arrête pas de violer les termes explicites des accords de paix signés. Pour les deux camps, les preuves sont sans appel.
4. Parce que nous sommes tous plus portés vers la vengeance que vers le pardon.
Pour les deux parties, la règle numéro un est celle-ci : la paix est politiquement dangereuse, sinon fatale ; la guerre – ou du moins les menaces de guerre – est la meilleure solution par défaut.
5. Parce que nous aimons trop nos extrémistes.
Les deux camps éprouvent une profonde affection pour leurs extrémistes et autres tenants d’une ligne dure. Nous les considérons comme les gardiens de la flamme. Nous les tolérons, nous subvenons à leurs besoins, nous les admirons, nous les armons, nous leur pardonnons leurs écarts, nous les autorisons à vivre hors la loi. En retour, ils ruinent nos vies.
6. Parce que la politique de chaque partie fait directement le jeu des extrémistes de l’autre.
Le Hamas est le Hamas à cause d’Israël. Et personne en Terre sainte n’a autant fait pour renforcer l’extrême droite israélienne que le Hamas.
7. Parce que le monde musulman veut que les Palestiniens souffrent.
Les dirigeants des pays musulmans inondent les Palestiniens de belles paroles, mais ne font rien pour leur venir en aide. Les Palestiniens leur sont beaucoup plus précieux dans le rôle de victimes. Les Palestiniens sont au monde musulman ce que furent les réfugiés de Gaza à la direction de l’OLP. Pour les dirigeants musulmans, la victimisation des Palestiniens est un aiguillon émotionnel auquel ils recourent régulièrement pour transformer la contestation politique intérieure en haine à l’égard d’Israël.
8. Parce que l’Occident considère aujourd’hui les Palestiniens comme des terroristes.
Grâce en grande partie à al-Qaïda, qui les a frappés directement chez eux, les Occidentaux ont changé de regard sur la résistance palestinienne. Pour eux, elle ne défend plus des innocents, elle les prend pour cibles.
9. Parce qu’Arafat a menti à son peuple.
Tout en signant des accords avec Israël, Yasser Arafat a laissé entendre à son peuple, par ses allusions et ses exhortations, qu’il obtiendrait tout ce qu’il voulait. Les réfugiés rentreraient chez eux, en Israël même. La vieille ville de Jérusalem se retrouverait sous la souveraineté musulmane. La lutte armée finirait par faire pencher la balance.
Il y a aussi les mensonges inhérents à la corruption qu’Arafat a entretenue, gaspillant des ressources essentielles, ruinant la confiance publique, sapant les efforts de gouvernance responsable.
10. Parce que les Palestiniens ne peuvent pas s’arrêter.
Il n’y a personne pour mettre fin à la guerre civile. Il n’y a pas d’autorité spirituelle. Pas d’autorité gouvernementale. Pas d’autorité militaire.
11. Parce que certains, parmi les meilleurs des Palestiniens, s’exilent.
Et parce que certains de ceux qui ne peuvent s’exiler ne pensent qu’à ça.
12. Parce que chacun des deux camps tient pour acquis qu’il est manifestement, moralement, objectivement, dans son bon droit, et que l’autre camp a tort.
Mieux vaut un paradis artificiel que pas de paradis du tout.
13. Et parce qu’il n’y a pas d’autre endroit au monde où l’on prenne autant ses désirs pour des réalités.
Au fond d’elles-mêmes, les deux parties croient secrètement qu’elles obtiendront ce dont elles ont toujours rêvé, que ce soit le Grand Israël ou la Grande Palestine, la pleine souveraineté sur Jérusalem ou le droit au retour.
Après un siècle de lutte, les Palestiniens méritent mieux. Les Palestiniens méritent d’avoir un État. Mais après un siècle de lutte, ils n’ont jamais connu pire situation depuis 1948.
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