Pour en finir avec les idées reçues

Qu’elle soit économique, politique ou militaire, la montée en puissance de l’ex-empire du Milieu suscite de nombreuses interrogations, qui véhiculent quelques craintes, fondées. Et beaucoup de préjugés. Revue de détail.

Publié le 9 juillet 2007 Lecture : 8 minutes.

La Chine fascine le monde entier. Et en premier lieu l’Afrique, qui s’est découvert un nouveau partenaire de poids, désireux d’acquérir ses matières premières, généreux et indulgent. Quand Européens ou Américains pointent du doigt mauvaise gouvernance, atteintes aux droits de l’homme ou élections tronquées, les Chinois parlent business, pétrole, bois et minerais. D’environ 3 milliards de dollars en 1995, les échanges commerciaux sino-africains ont bondi à 40 milliards en 2005, et pourraient doubler d’ici à 2010. La Chine assure déjà 10 % du commerce africain et, depuis une décennie, grignote chaque année 1 % de parts de marché à l’Europe, qui demeure néanmoins le premier partenaire économique du continent. L’organisation, les 4 et 5 novembre 2006 à Pékin, du troisième Forum sino-africain (les deux premiers ont eu lieu en 2000 et 2003) a confirmé les ambitions chinoises et la réceptivité des chefs d’État et de gouvernement du continent : 41 hauts dirigeants se sont déplacés pour l’occasion. Un signal fort émis par les autorités chinoises en direction du reste du monde : désormais, il faudra compter avec nous !
La Chine, avec sa démesure, sa force de travail, sa surface financière et sa croissance à deux chiffres, fascine donc. Mais inquiète aussi. Notamment les autres « grands » de ce monde – Américains, Européens, Russes ou Japonais -, qui ne voient pas d’un bon il l’arrivée de ce nouveau rival dont la présence grandissante l’amène à marcher sur leurs plates-bandes. Mais, paradoxalement, l’effondrement de l’ex-empire du Milieu – ou même son léger recul – serait une bien mauvaise nouvelle pour la croissance mondiale, devenue extrêmement dépendante de la bonne santé globale de Pékin.
La montée en puissance de la Chine suscite de nombreuses interrogations, qui véhiculent quelques craintes, fondées, et beaucoup d’idées reçues : l’économie est son talon d’Achille, un second Tiananmen est inévitable, les élites politiques sont instables, le système bancaire est au bord de l’implosion, le sentiment nationaliste est exacerbé, ou encore l’appétit de puissance de Pékin pourrait mener à un conflit militaire. Revue de détails des préjugés les plus répandus.

Le talon d’Achille, c’est l’économie
Aucun pays, évidemment, n’est à l’abri d’une crise économique. Pour la Chine d’aujourd’hui, le principal danger se résume à une hypercroissance mal maîtrisée, dont les effets seraient dévastateurs. Mais Pékin, prenant la mesure du péril, a progressivement mis en place des outils fiscaux et monétaires destinés à réguler l’économie et à prévenir une surchauffe. Avec succès jusqu’à présent.
La véritable menace vient d’abord de l’environnement, ensuite de la santé. La pollution de l’air affecte en effet grandement la qualité de vie dans des villes comme Pékin, Shanghai ou Hong Kong, notamment. Autre motif d’inquiétude : le manque d’eau potable. Par exemple, seul 1 % de l’eau de surface disponible à Shanghai est consommable. En novembre 2005, l’explosion d’une usine chimique dans le nord-est du pays avait provoqué une véritable catastrophe : la pollution au benzène de la rivière Songhua. Des millions de personnes furent privées d’eau pendant une semaine. La probabilité d’autres accidents de ce genre est élevée. Enfin, les émissions de dioxyde de carbone, entre autres, menacent la production agricole. Le gouvernement en est conscient, qui en a informé les populations rurales.
La Chine est également confrontée aux épidémies de maladies chroniques. Les cas avérés de contamination par le virus du sida ont augmenté de 30 % en 2006, pour atteindre 650 000 personnes. Et les Nations unies prévoient que 10 millions de Chinois seront infectés d’ici à 2010. Les différentes formes de l’hépatite touchent 10 % de la population. Et le risque d’une nouvelle crise due à une maladie hautement transmissible, comme la grippe aviaire, demeure élevé. Un risque aggravé par la situation catastrophique du système de santé publique en milieu rural et la répugnance des autorités locales à « communiquer » sur l’apparition de nouveaux cas.

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Vers un Tiananmen bis
Les événements de la place Tiananmen, à Pékin, en 1989, sont dans toutes les mémoires. La révolte populaire, qui avait touché bien d’autres villes, avait été contenue par le recours à la force brutale. Même si la réédition d’une telle crise n’est pas totalement inconcevable, elle semble peu probable.
La Chine est confrontée a de nombreux problèmes qui suscitent le mécontentement des populations : menaces environnementales, on l’a vu, mais aussi criantes inégalités sociales, réforme de l’assurance-maladie et des retraites, corruption endémique des officiels, etc. Émeutes, soulèvements et manifestations, d’ampleur et de degré de violence variables, se sont ainsi multipliés au cours des dernières années. Le gouvernement lui-même estime à 80 000 le nombre d’incidents de ce type en 2005. Le plus tristement « célèbre » d’entre eux : la mort de vingt paysans, dans un village de la province de Guangdong, tombés sous les balles de la police antiémeute à la fin de 2005.
Mais les leaders chinois adoptent désormais des politiques censées s’attaquer aux causes de ces frondes populaires : augmentation des fonds alloués aux projets ruraux, suppression d’importantes taxes agricoles, sanctions des officiels indélicats ou véreux Et lorsque des manifestations ou des émeutes éclatent, les autorités, si elles manient toujours le bâton en arrêtant systématiquement les meneurs, ont bien compris qu’il leur fallait soigner le mal à sa racine. Ainsi, six mois après le drame qui s’est produit dans la province de Guangdong, un soulèvement similaire a rapidement pris fin grâce à la promesse des autorités de réétudier la confiscation des terres qui l’avait provoqué.
Enfin, en contrôlant les médias et en interdisant les organisations politiques indépendantes, Pékin s’assure que ces mouvements de protestation demeurent localisés. Mais des problèmes d’une plus grande ampleur pourraient saper ces efforts. Un dérapage économique, par exemple (inflation galopante ou hausse brutale du chômage), ou la responsabilité du gouvernement dans une crise nationale ou internationale (catastrophe environnementale, incidents à l’occasion des jeux Olympiques de 2008, etc.). De tels événements pourraient plonger le pays tout entier dans une crise durable que le contrôle des médias ou ?d’Internet par le Parti communiste ne suffirait pas à résorber.

Une classe politique instable
La politique chinoise est de plus en plus institutionnalisée, les élites sont plus pragmatiques et les dirigeants ont compris qu’ils devaient éviter d’exhiber leurs querelles intestines. Le président Hu Jintao, s’il a réussi à obtenir la révocation de plusieurs responsables nationaux et centraux coupables de corruption, n’est pas toujours parvenu à les remplacer par des hommes de confiance. Son premier mandat expire en mars 2008. Il devrait, lors du 17e congrès du PCC, prévu à l’automne prochain, briguer sa propre succession et désigner ses héritiers probables, appelés à lui succéder en 2013. La succession du chef de l’État, même lointaine, constitue un véritable problème. Car le choix de ses héritiers et les orientations politiques qu’il implique devront emporter l’adhésion des instances du parti. Et si les objectifs de Hu sont partagés – s’attaquer aux problèmes intérieurs les plus aigus, faire davantage profiter la population de la croissance économique, etc. -, c’est peut-être la méthode qui sera contestée. Enfin, Hu souligne l’importance d’un développement durable, quand d’autres ont érigé le maintien coûte que coûte d’une croissance économique rapide au rang de priorité numéro un. De quoi alimenter les luttes de clans et les affrontements idéologiques.

Les banques au bord de l’implosion
Jusqu’à une période récente, le système bancaire chinois traversait une importante zone de turbulences. Principale source de financement des investissements du pays, les banques ont subi une pression considérable pour qu’elles prêtent des fonds à de grandes entreprises publiques en difficulté. Avec, pour conséquence, un niveau record d’emprunts à risques ou non remboursés. Mais ces banques ont survécu, en grande partie parce que les déposants chinois, clientèle captive s’il en est, n’ont pas d’autre solution que de recourir à leurs services
Recapitalisations, arrivée de partenaires étrangers, reprise en main globale : la santé du secteur financier s’est considérablement améliorée au cours des dernières années. Même si les établissements de taille modeste semblent plus fragiles que les « majors », une crise durable semble exclue.

Un nationalisme exacerbé
Le nationalisme populaire est une partie intégrante de l’histoire chinoise depuis le milieu du XIXe siècle. Il est apparu en réaction à l’invasion de la Chine par des pays technologiquement plus avancés – d’abord européens, puis le Japon. Plus récemment, le PCC a flatté la fibre nationaliste pour consolider sa légitimité.
Mais le nationalisme est une arme à double tranchant. S’il peut être une source de légitimité interne, il peut aussi susciter appréhension et méfiance. C’est ce qui ressort de plusieurs mouvements de protestation contre « l’étranger », notamment contre les États-Unis après le bombardement accidentel de l’ambassade de Chine à Belgrade en 1999 et la collision entre un avion de reconnaissance américain et un chasseur chinois en 2001. Bien que ces incidents n’aient pas causé de préjudice durable aux relations sino-américaines, Pékin s’est inquiété de l’ampleur des protestations et du temps qu’il a fallu pour y mettre fin. Les dirigeants chinois sont conscients que le nationalisme peut aussi bien être à l’origine de critiques publiques adressées aux dirigeants qui « capitulent » devant des gouvernements étrangers que de mouvements de sympathie à l’égard de ceux qui servent les intérêts chinois.
En conséquence, la promotion du nationalisme a été remplacée, dans une certaine mesure, par l’objectif d’une « société socialiste harmonieuse ». Les médias répètent jour après jour que la montée en puissance de la Chine doit être pacifique, et les dirigeants s’efforcent de brider le sentiment nationaliste.
Le problème est que le nationalisme peut s’autoalimenter indépendamment de la volonté des dirigeants du Parti. Mais sans un surplus de démocratisation, l’opinion publique nationaliste n’est pas assez puissante pour infléchir la politique étrangère chinoise. Elle pourrait cependant être une source d’instabilité politique si le gouvernement était accusé de trahir l’intérêt du pays en cas de crise internationale.

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Le risque de conflit militaire
L’influence grandissante de la Chine peut-elle engendrer des conflits militaires ? Peu probable, affirment les experts. Naturellement, comme toute puissance importante, la Chine utilisera la force si elle estime que ses intérêts vitaux sont menacés. Si Taiwan, par exemple, décidait de proclamer son indépendance
S’il est vrai qu’il modernise son armée et consacre une large part de son budget aux dépenses militaires, Pékin mise d’abord et avant tout sur le renforcement de son poids économique, diplomatique et culturel. La vraie bataille menée par les autorités est économique et le restera. L’interdépendance des économies mondiales limite d’ailleurs le risque de conflit : aucun pays n’a intérêt à une déstabilisation régionale ou internationale.
Si Pékin veut jouer un plus grand rôle dans le concert des nations, fixer les règles et non plus les subir, il ne le fera pas par la force. On dit souvent que la Chine marche sur la corde raide et que son « grand retour » – faut-il rappeler qu’elle a dominé une partie de la planète en son temps – menace le monde. Les véritables périls, on l’a vu, sont plus insidieux qu’il y paraît. Et concernent d’abord des enjeux intérieurs.

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