Sénégal : Jamra, le « Cirque noir » et le cirque médiatique

L’ONG islamique Jamra a déposé plainte contre la fiction audiovisuelle « Cirque noir ». Énième épisode d’un bras de fer entre conservatisme religieux et création artistique à bas coût.

 © GLEZ

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Publié le 20 août 2021 Lecture : 2 minutes.

Dans la société sénégalaise, il y a des séries dans les séries, sortes de mises en abîme du réel et de la fiction, avec climax et coups de théâtre médiatisés. Les productions audiovisuelles à rallonge suscitent en effet, les unes après les autres, des rebondissements épisodiques ancrés dans la réalité d’un autre feuilleton : celui de la polémique liée au contenu des scénarios. La liberté de ton croissante, singulièrement dans la représentation des mœurs, suscite des réactions épidermiques qui proviennent d’internautes lambda ou de collectifs, comme l’ONG islamique Jamra.

S’il est sain de voir une société débattre de ses mentalités, us et coutumes, les controverses à répétition semblent prendre des proportions toujours plus spectaculaires, allant de la simple chicane à la mise à l’index, puis à la régulation et à des interpellations judiciaires…

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Bande-annonce

En 2019, à la saison 1 de cette confrontation sociétale, la série « Maîtresse d’un homme marié » cristallisait déjà l’incompréhension entre une jeune génération avant-gardiste et une « vieille garde » opposée à l’évocation de l’érotisme, de l’adultère ou encore de l’homosexualité. Le vice-président de la très réactive ONG Jamra, Mame Mactar Guèye, saisissait le Conseil national de régulation audiovisuelle (CNRA), qui dénoncerait des clichés « indécents, obscènes ou injurieux ». En novembre dernier, la saison 2 de la querelle mettait en scène la série télévisée « Karma ». Jamra s’insurgea contre le caractère « érotique » du vingt-neuvième épisode, au cours duquel deux personnages s’embrassaient. Et obtint la suppression de la scène incriminée.

C’est maintenant la série « Cirque noir » qui fait sortir Jamra de ses gonds. Ce lundi 16 août, après la diffusion de la bande-annonce, la structure islamique obtient l’arrestation des producteurs, scénariste et acteurs de la série. Six d’entre eux sont déférés au parquet, le lendemain, pour attentat à la pudeur, outrage public et diffusion d’images contraires aux bonnes mœurs. Le trailer du feuilleton annonce notamment une scène où une femme censément dénudée se blottit contre un homme dans un lit.

Si la saison 3 du bras de fer entre créatifs et tenants d’une certaine morale va dans le sens de l’envenimement, c’est que la plainte a été déposée, cette fois, à la division de lutte contre la cybercriminalité de la police, la série sulfureuse étant diffusée uniquement sur les réseaux sociaux et non sur les chaînes traditionnelles relevant de la régulation apaisante des médias.

Qualité low cost

Chaque observateur y va de son analyse, les uns dénonçant une création devenue perversion, les autres rappelant que les séries sont des miroirs qui permettent de ne pas mettre sous le tapis les accès d’adolescence d’une société sénégalaise 2.0. Chacun décrypte aussi les points marqués par les uns et les autres : la répression vaut-elle plutôt un buzz favorable à l’audience de la série ou sert-elle le prosélytisme de Jamra ?

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En attendant la saison 4 de cette querelle entre prudes et présumés dépravés, il ne faudrait pas oublier de critiquer, de façon constructive, la qualité artistique de feuilletons low cost qui, s’ils obtiennent des audimats enviables au-delà des frontières, n’ont pas toujours à voir avec le génie audiovisuel avant-gardiste d’un Sembène Ousmane ou d’un Djibril Diop Mambéty.

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