Législatives 2021 au Maroc – Saadeddine El Othmani : « La patrie avant le parti »
Après Nizar Baraka (Istiqlal) et Aziz Akhannouch (RNI), JA donne la parole au chef du gouvernement et patron du PJD, à la veille des élections générales du 8 septembre.
À la fin de juillet, le Parti de la justice et du développement (PJD), sous l’égide de Saadeddine El Othmani, a présenté son programme électoral. Avec pour slogan « crédibilité, démocratie, développement ». Il dénonce des « reculs » en matière de « droits humains », sans préciser lesquels.
Le chef du gouvernement marocain a par ailleurs indiqué qu’il souhaitait renforcer et poursuivre les réformes engagées. Une chose est sûre : le parti de la lampe doit à la fois répondre de son bilan aux affaires et contenter sa base. Cette posture d’équilibriste lui sera-t-elle bénéfique lors du scrutin ? Réponse le 8 septembre.
Jeune Afrique : À l’approche des élections communales, régionales et législatives du 8 septembre, dans quel état d’esprit êtes-vous, en tant que secrétaire général du PJD ?
Saadeddine El Othmani : Serein et reconnaissant. Serein, car malgré la formation tardive de ce gouvernement – plus de six mois de retard – et une crise sanitaire mondiale avec des répercussions économiques et sociales profondes, le gouvernement dirigé par le PJD a pu réaliser l’essentiel du programme qu’il avait présenté en 2017. Nous avons si bien avancé entre 2017 et 2019 que nos acquis nous ont permis d’être assez bien préparés pour affronter la crise. Certes, nous n’avons pas tout mis en œuvre, mais le bilan de nos réalisations est tout à fait honorable.
Vous êtes candidat dans la circonscription Rabat-Océan. Il semble que vous ayez longuement hésité, voire refusé de vous présenter. Pourquoi ce revirement ?
Dès ma nomination à la tête du gouvernement, j’ai quitté mes fonctions de parlementaire. Le second de notre liste m’a remplacé.
Je connais bien Rabat, j’apprécie ses habitants, avec lesquels j’entretiens des liens solides. »
Ce type de décision est pris par les instances compétentes du parti, selon une procédure reflétant la démocratie interne et à laquelle tous les militants consentent. Aujourd’hui, j’aurais pu me désister, mais je pense qu’il est du devoir du parti, son secrétaire général compris, d’aller vers les citoyens, en toute confiance et responsabilité.
Mon cabinet de médecin psychiatre, où j’exerçais avant ma dernière élection puis ma nomination, se situe d’ailleurs depuis plus de dix ans dans une circonscription de Rabat, très proche de celle où je vais me présenter. Je connais bien cette ville, et j’apprécie ses habitants avec lesquels j’entretiens des liens solides et forts.
Abdelaziz Aftati, Abdelilah Benkirane, Abdelhak El Arabi… De nombreuses figures du parti ne souhaitent-elles pas se présenter. Pourquoi ?
Chez nous, au PJD, le rajeunissement des élites et le renouvellement des leaders n’est ni un vœu pieux ni un slogan électoral. C’est une valeur tangible et une pratique factuelle, vérifiables à chaque élection.
Ainsi, plus des deux tiers des membres de notre secrétariat général ne se présenteront pas aux législatives cette année. Pour nous, la politique n’est pas une carrière, mais un devoir, pesant, difficile et très éprouvant lorsqu’on le pratique avec honnêteté, dévouement et abnégation. À un moment donné, il faut passer le flambeau à d’autres générations.
Hirak du Rif, manifestations à Jerada, boycott, Covid-19… Votre gouvernement a connu un mandat mouvementé. Estimez-vous avoir tenu le cap ?
Le gouvernement, composé de plusieurs partis, a fait face à de nombreux défis, mais il est resté solidaire et uni. D’ailleurs, aucun projet de motion de censure n’a pu aboutir malgré moult menaces de l’opposition.
Ce gouvernement a également été le plus productif sur le plan législatif, avec plus de deux cents lois votées et quatre grandes lois-cadres, sans parler de l’accord social, conclu à mi-mandat et non en fin de mandat comme c’était le cas pour certains gouvernements.
Sous la houlette du PJD, la pauvreté, la vulnérabilité des personnes et les inégalités ont diminué de manière significative. Selon le Haut-Commissariat au Plan, le taux de pauvreté est passé de 4,8 % en 2013 à 1,7 % en 2019, et le pourcentage des personnes en situation de précarité, de 12,5 % à 7,3 %.
Les poursuites judiciaires à l’encontre de membres du PJD se comptent sur les doigts d’une main. »
Les échéances électorales ne déchaînent pas les passions. Une faible participation est prévue. Pourquoi la classe politique peine-t-elle à mobiliser les Marocains ?
Les Marocains veulent des partis crédibles et efficaces, qui assument pleinement leurs responsabilités, avec des majorités fortes. Ils voient d’un mauvais œil la transhumance à outrance, la prédominance de l’argent en politique et une balkanisation de la vie politique qui compliquerait l’exercice du pouvoir et risquerait de décourager les citoyens.
C’est pour cela, entre autres, que notre parti a tenté de faire face au nouveau quotient électoral et à l’élimination du seuil, une trouvaille destinée à contrer notre seul parti [la répartition des sièges est désormais fondée sur le nombre d’inscrits et non plus sur le nombre de bulletins valides, NDLR]. Nous avons donc préparé une offre politique sérieuse, et nous ferons de notre mieux pour convaincre un maximum de citoyens que leurs voix sont utiles.
L’un des grands facteurs de succès du PJD a été sa promesse de combattre la corruption. Le parti a-t-il été à la hauteur ? Il a lui aussi été éclaboussé par des affaires…
Les accusations et poursuites à notre encontre se comptent sur les doigts d’une main. Pour un parti et ses leaders qui dirigent deux régions, la quasi-totalité des grandes villes et la majorité des villes moyennes, avec des milliers d’élus à travers le royaume, ce constat est en soi une preuve d’honnêteté. Et puis, tant qu’une condamnation n’est pas prononcée, le principe de la présomption d’innocence prévaut.
Pour gagner la guerre contre la corruption, il faut remporter plusieurs batailles. C’est la logique dans laquelle nous nous sommes inscrits dès le premier jour et qui a permis la progression du Maroc dans l’indice de perception de la corruption.
Nous nous sommes lancés sur plusieurs fronts, non seulement contre la corruption mais contre la prévarication de manière générale. En plus des actions directes, telles que le numéro vert qui sert à dénoncer des faits de corruption, nous avons donné une grande priorité à la digitalisation des services publics, ainsi qu’à la simplification des procédures administratives et à leur publication en ligne.
La reprise des relations avec Israël est une décision d’État. »
Revenons à la normalisation des relations entre le Maroc et Israël. Certains estiment que vous auriez dû démissionner pour marquer votre opposition. Pourquoi ne pas l’avoir fait ?
Nous ne sommes pas des opportunistes, nous assumons nos responsabilités. La patrie passe avant le parti. La reprise de ces relations est une décision d’État, dans l’intérêt de la cause nationale, et il est de mon devoir en tant que chef du gouvernement de ne pas jouer les perturbateurs, surtout sur un sujet de politique extérieure qui relève pleinement des prérogatives du chef de l’État. Cela n’empêche pas que nous ayons, au PJD, nos propres opinions, que nous avons exprimées.
Vous contestez la réforme électorale, notamment le quotient électoral. Avez-vous le sentiment qu’elle est destinée à empêcher le PJD de rester la première force politique du pays ?
Ce n’est pas un sentiment, c’est un fait, reconnu par plusieurs dirigeants de partis. Pratiquement aucun pays au monde n’utilise ce genre de mécanismes, qui traduisent la volonté de plusieurs formations politiques de faire obstruction, par des moyens inacceptables, à la progression du PJD.
Le rapport de la Commission du nouveau modèle de développement laisse peu de place aux partis, quasiment présentés comme de simples exécutants. Quel regard portez-vous sur cette approche ?
La Commission a dressé un état des lieux clair et sincère. Elle a exposé une vision et proposé de grandes orientations pour le Maroc à l’horizon 2035, tout en laissant une grande flexibilité au gouvernement et aux autres institutions pour leur mise en œuvre.
Il est malheureux de voir un parti présenter de nombreux “notables” venus d’autres formations. »
Nul ne peut proposer une marginalisation des partis politiques. Il ne peut y avoir de démocratie sans eux, c’est un gage de stabilité. D’autant que la Constitution de 2011 accorde de nouvelles et importantes prérogatives au chef du gouvernement.
Le pouvoir n’a-t-il pas usé votre parti ?
Le pouvoir use certainement. C’est un phénomène bien connu. Mais, pour nous, l’usure ne s’entend pas dans ce sens. En me demandant pourquoi de nombreuses figures du parti ne souhaitaient pas se présenter, vous avez vous-même affirmé que les ténors du PJD ne se représentaient pas !
Nous sommes jusqu’à présent épargnés par le phénomène auquel vous faites allusion. Nous l’observons en revanche dans d’autres formations politiques, qui parient sur des notables connus, lesquels peuvent migrer d’un parti à l’autre sans aucun complexe ni aucune éthique.
Il est malheureux, à ce titre, de voir un parti, bien connu et qui aspire à gagner la première place, présenter un grand nombre de « notables » venus d’autres formations politiques, toutes couleurs confondues.
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