Coke en transit

Depuis les saisies records de cocaïne, les spécialistes de la lutte contre les stupéfiants s’interrogent sur la place du pays dans le trafic international.

Publié le 9 juillet 2007 Lecture : 4 minutes.

Depuis l’annonce, à la fin de juin, par les médias de deux saisies records successives de cocaïne au sud de Dakar, les rumeurs vont bon train. Non sans quelque raison. En seulement quatre jours, ce sont 2,4 tonnes de cocaïne, d’une valeur totale de 141 milliards de F CFA (215 millions d’euros), qui ont été découvertes sur un voilier à la dérive au large de la ville de Mbour (à 100 km de Dakar) et dans une villa de la station balnéaire de Nianing. Il s’agit des plus importantes saisies jamais réalisées dans le pays.

« Dakar n’est pas une plaque tournante de la drogue », martèle pourtant le commandant Moussa Fall, de la brigade de recherche de la gendarmerie, à l’origine des opérations. Pour lui, comme pour le lieutenant-colonel Alioune Ndiaye, porte-parole de la police nationale, et le commissaire Abdoulaye Niang, chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (Octris), « le Sénégal n’est qu’un lieu de transit. Il n’abrite aucun réseau structuré de trafiquants de cocaïne, ni aucun laboratoire pour sa transformation. Les gens font des amalgames. Rien aujourd’hui ne permet d’affirmer que les propriétaires de belles demeures ou de voitures dernier cri sont des trafiquants ou qu’ils blanchissent de l’argent. » N’empêche, d’aucuns s’interrogent sur la place réelle du Sénégal, et plus généralement de l’Afrique de l’Ouest, dans ce trafic.
Depuis près de cinq ans, passeurs et revendeurs se font plus présents dans la sous-région. Rien qu’au cours des derniers mois plusieurs stocks de 500 kg chacun ont été découverts au Cap-Vert, en Guinée-Bissau (voir encadré) et plus récemment en Mauritanie. Selon un rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et les stupéfiants (ONUDC), en 2005 déjà, 52 % des saisies de cocaïne sur le continent concernaient les pays de la sous-région. Soit quelque 2,8 tonnes de poudre blanche. Et depuis les opérations de juin, tout porte à croire que 2007 dépassera largement ce chiffre.
« La situation en Afrique de l’Ouest est particulièrement alarmante. Les gouvernements doivent redoubler d’efforts et de vigilance pour mettre un frein à ce fléau », affirme Antonio Mazzitelli, le représentant régional de l’ONUDC, tout en concédant que le cas du Sénégal n’a rien d’extraordinaire. Car la plupart des États côtiers de cette partie du continent se trouvent confrontés au même problème. Le renforcement de la surveillance des eaux espagnoles, françaises et anglaises, où les navires en provenance d’Amérique latine font l’objet d’une attention particulière, a contraint les réseaux sud-américains à se rabattre vers l’Afrique, transformée de plus en plus en lieu de transit vers les marchés européens qui comptent – avec l’Amérique du Nord alimentée par d’autres circuits – le plus grand nombre de consommateurs.
Le Sénégal n’en est pas encore là. Mais la porosité des frontières, la qualité des moyens de communication et la facilité de déplacement, notamment par voie aérienne, font du pays un endroit privilégié pour la naissance et le développement de réseaux. D’après Antonio Mazzitelli, même si sa situation géographique est favorable à l’expansion du trafic de « came », l’efficacité croissante des forces de sécurité devrait empêcher l’implantation de véritables organisations.
La mise en place, en 1997, d’un Comité interministériel de lutte contre les drogues, de l’Octris ainsi que d’un code des drogues ont d’ailleurs permis d’empêcher l’installation de gros trafiquants et d’opérer régulièrement des saisies importantes. En 2006, la brigade mixte composée de gendarmes, de policiers (dont des agents de l’Octris) et de douaniers a découvert 8 tonnes de haschich dissimulées dans un conteneur au port de Dakar. Et, depuis janvier 2007, plus de trente passeurs, pour la plupart des Nigérians, sont tombés dans les filets de police des frontières à l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor de Dakar.

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« Ces arrestations ainsi que les dernières saisies envoient un signal fort aux passeurs et autres revendeurs. Le Sénégal, en dépit de moyens matériels encore limités, a la capacité de démanteler des réseaux naissants », se félicite le patron de l’Octris. Le commandant Moussa Fall également, qui affirme que la lutte contre les stupéfiants nécessite investissement personnel et patience. « Les individus qui viennent d’être interpellés, trois Sud-Américains, une Française et deux complices sénégalais, étaient dans le collimateur des gendarmes depuis 2005, soutient-il. Ils ont été suivis dans différents pays de la sous-région. » Cependant qu’une cellule d’investigation financière contre le blanchiment d’argent a vu le jour.
Actuellement, la police est en train de former des agents pour accroître la surveillance en mer. Et les autorités judiciaires planchent sur l’installation d’une section spécialisée dans les crimes liés à la drogue. De son côté, la gendarmerie entretient d’étroites relations avec Interpol (organisation de coopération policière internationale), le FBI (police fédérale américaine) et l’ONUDC. La lutte s’organise et un tout un arsenal se met place. Mais sera-ce suffisant pour dissuader les trafiquants ?

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