À quoi sert Tony Blair ?

Initialement présentée comme celle d’un « émissaire de paix », sans doute amené à encadrer des négociations, la mission de l’envoyé spécial du Quartette a vite été réduite à celle d’un consultant chargé d’assister les « bons » Palestiniens.

Publié le 9 juin 2008 Lecture : 6 minutes.

Il est sans aucun doute l’homme politique européen le plus brillant de sa génération. En dix ans, Tony Blair a fait revenir une Grande-Bretagne pleine d’archaïsmes dans le peloton de tête des nations, installé la paix de manière durable en Irlande du Nord et, accessoirement, modernisé le travaillisme, devenu un modèle pour la social-démocratie européenne – une gageure. Sans doute à la recherche de nouvelles montagnes à soulever, il annonçait, le jour même de sa démission du poste de Premier ministre, le 27 juin 2007, qu’il s’attaquait à un nouveau défi à sa mesure : la paix au Moyen-Orient, comme envoyé spécial du Quartette (ONU, Union européenne, États-Unis, Russie).
Pourtant, ses dernières années à Downing Street ne faisaient pas de lui le meilleur candidat au poste – moins bon sans doute que Bill Clinton, ou même que Jacques Chirac, qui étaient tous deux sur les rangs. Elles ont été ternies d’abord par son soutien actif à la guerre en Irak, contre l’avis de la plus grande partie des Britanniques, et plus récemment par ses silences embarrassés lors de la guerre du Liban de 2006, à un moment où il était opportun d’appeler à un cessez-le-feu. Des positions partisanes qui sont autant de péchés originels aux yeux de la majorité des Arabes et n’augurent pas du succès du nouvel envoyé, dont la crédibilité dans le processus de paix est à peu près aussi faible que celle d’Ehoud Olmert, de Mahmoud Abbas ou de Condoleezza Rice, ses principaux interlocuteurs. Un chroniqueur arabe a ainsi pu écrire que cette nomination ressemblait à celle d’un pyromane comme chef des pompiersÂ
Qu’allait donc faire Tony Blair dans cette galère, et pourquoi relever le « défi de trop », celui que l’on a évidemment très peu de chances de remporter, après un parcours si éclatant ? La crédibilité du Quartette est proche de zéro tant ses réalisations depuis sa formation, en 2002, sont nulles, et il y a longtemps que la feuille de route est passée par pertes et profits. James Wolfensohn, le prédécesseur de Blair, a démissionné en avril 2006, lassé de voir les États-Unis et Israël entraver son action et vider peu à peu sa mission de toute substance Les soupçons à l’encontre du Quartette se sont encore renforcés lorsqu’on a appris (voir J.A. n° 2437) qu’il était partie prenante, en la personne du général américain Keith Dayton, dans les combats sanglants entre factions palestiniennes qui ont abouti à la prise de Gaza par le Hamas, en juin 2007. C’était au moment même de la nomination de Tony Blair, qui était très certainement informé de l’action du Quartette. Ne faudrait-il pas plutôt écrire, par conséquent : nomination d’un pyromane à la tête des pyromanes ?
Il s’agit d’une institution inutile, si ce n’est pour faire croire qu’il existe toujours un processus de paix entre Palestiniens et Israéliens et organiser de temps à autre une conférence en trompe l’Âil, comme celle d’Annapolis. Le nouvel envoyé, optimiste infatigable auquel l’Histoire avait presque toujours donné raison, pensait peut-être qu’il pouvait, malgré cette mascarade, redonner vie au processus de paix. Il avait assurément quelques cordes à son arc : un charme incroyable, une intelligence hors pair et une maîtrise aiguë de l’art de la ruse politique. S’il était l’ami d’Israël, Blair n’était pas l’ennemi des Palestiniens. Il s’est ainsi toujours déclaré partisan de la création d’un État palestinien, et s’est opposé avec force à la construction du mur de séparation. Mais surtout, il avait fait des merveilles en Irlande du Nord, terre livrée à une guerre civile larvée depuis des décennies, en imposant un compromis entre catholiques et protestants, faisant des paramilitaires d’hier les hommes politiques d’aujourd’hui – ou alors des « has been », quand ils refusaient le processus de paix Au moment du bilan, en juin 2007, tous ou presque se sont accordés à louer son pragmatisme. Sa méthode ? Inviter l’Armée révolutionnaire irlandaise (IRA) à se joindre aux négociations, en ne posant pas comme préalable son désarmement, mais en faisant le pari qu’elle désarmerait en cas de succès de ces négociations Une méthode qui a mené à l’accord de paix du Vendredi saint de 1998.

Bridé par Washington
Le plus étonnant depuis son entrée en fonctions, donc, c’est bien son refus de discuter avec le Hamas. La position de la Maison Blanche en la matière est certes claire : pas de dialogue avec les « terroristes », du moins pas avant qu’ils ne rendent les armes. Blair, lorsqu’on l’interroge sur le sujet, est assez embarrassé et tient un discours à la fois plus modéré et plus vague, même s’il n’est pas en contradiction avec celui de Washington : il ne demande au Hamas, comme préalable au dialogue, « que » la reconnaissance de l’État d’Israël À ceux qui l’interrogent, il répond aussi qu’il « parlera du Hamas en temps voulu », que ce n’est pas le moment, laissant planer un certain mystère sur ses intentions – les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
À ses détracteurs, il apparaît malheureusement que, lorsqu’il s’agit du Moyen-Orient, Blair abandonne son légendaire pragmatisme pour se faire idéologue et reprendre à son compte une version à peine adoucie du « choc des civilisations » des néoconservateurs. Alastair Crooke, ancien membre des services secrets de Sa Gracieuse Majesté, aujourd’hui à la tête d’un Conflicts Forum qui fait profession de discuter notamment avec les mouvements dits « terroristes », se demande ainsi si ce protestant qui a récemment embrassé le catholicisme n’a pas la foi brûlante du nouveau converti que rien n’excite plus que la défense des valeurs de la chrétienté en terre de mission. En ce sens, les musulmans du Hamas ou du Hezbollah sont effectivement très différents des catholiques de l’IRA.
Il est pourtant difficile de penser que ses silences embarrassés à propos d’un possible dialogue avec le Hamas sont ceux d’un légionnaire du Christ, ou du « révérend Blair », comme le surnomme Private Eye, l’équivalent britannique du Canard enchaîné. Si son baptême est récent, sa foi, elle, ne l’est pas, et il ne conçoit probablement pas sa mission au Moyen-Orient comme une « croisade ». On peut faire l’hypothèse raisonnable que son mandat est extrêmement restreint, scruté par ses amis politiques américains, qui s’assurent qu’il ne sorte pas de ses prérogatives. Initialement présentée comme celle d’un « émissaire de paix », sans doute amené à encadrer des négociations, la mission de Blair a vite été restreinte (par Washington) à celle d’un consultant qui allait assister les Palestiniens dans la « mise en place d’institutions viables ». Nouvelle panacée, où il est toujours question de « gouvernance », mais jamais de politique, où l’on évite la question nationale palestinienne pour ne parler que de logistique (les check points, le transport des personnes et des biens) et d’intendance (le financement à court terme des hôpitaux, des écoles) Son mandat consiste donc, peu ou prou, à faire de la Cisjordanie, gérée par les « bons » Palestiniens, une « vitrine » de ce que l’on peut faire si on baisse les armes, par contraste avec la désolation du bantoustan gazaoui Pas à négocier la paix.

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Portes de sortie
Dans ses Mémoires au titre éloquent de Great Hatred, Little Room (que l’on pourrait traduire par : « On se déteste, mais il faut bien vivre ensemble »), le conseiller le plus proche de Blair durant neuf ans, son chef de cabinet Jonathan Powell, recommandait récemment d’entamer une discussion avec Al-Qaïda, le Hamas, les talibans comme on l’avait fait à une époque avec les « terroristes » irlandais. On espère qu’il sera entendu par celui dont il a longtemps été l’éminence grise. Mais peut-être est-il déjà trop tard, puisque l’intéressé, conscient que son passage au Moyen-Orient ne laissera pas un souvenir impérissable, prépare ce que l’on appelle en anglais son exit strategy. En l’occurrence, il multiplie, depuis janvier 2008, les portes de sortie. Après avoir accepté un poste de conseiller auprès de la banque américaine JPMorgan Chase, un autre auprès de l’assureur suisse Zurich, un autre encore auprès du gouvernement rwandais et, enfin, un poste de visiting professor à l’université Yale, aux États-Unis, il lançait, il y a quelques jours à New York, sa Fondation pour la foi, censée rassembler les « modérés » de toutes les religions pour répandre un message de paix et Âuvrer au développement. Amen On lui souhaite bon vent, loin de Jérusalem.

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