Décès de Habré : les victimes seront-elles un jour indemnisées ?

L’ancien président tchadien, reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, est mort le 24 août sans qu’aucune de ses victimes ou de leurs proches n’ait obtenu réparation. Pour leurs avocats, le combat continue.

Plus de 40 000 victimes ont été attribuées à l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré pendant ses huit années au pouvoir au Tchad. © SEYLLOU / AFP

Plus de 40 000 victimes ont été attribuées à l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré pendant ses huit années au pouvoir au Tchad. © SEYLLOU / AFP

Publié le 1 septembre 2021 Lecture : 4 minutes.

La mort de l’ancien président tchadien remet-elle en question le processus d’indemnisation de ses victimes ? Non, répond Clément Abaïfouta, qui tient les rênes de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré (AVCRHH). « Sa mort n’entame en rien le processus de réparation, insiste-t-il. Elle peut même être le catalyseur d’un mécanisme qui, pour le moment, est à l’arrêt. » 

Le 27 avril 2017, les Chambres africaines extraordinaires ont confirmé en appel le jugement rendu à Dakar en première instance : reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, l’ancien président tchadien a été condamné à la prison à perpétuité, mais aussi à verser 82 milliards de francs CFA (près de 125 millions d’euros) aux 7­ 396 parties civiles.

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Un fonds créé… mais inactif

En 2016, un fonds fiduciaire a été créé, avec pour mission de collecter les fruits de la vente des biens d’Habré pour les redistribuer aux victimes. En 2017, l’Union africaine (UA) a annoncé contribuer à hauteur de 5 millions de dollars. Ce fonds ouvrait aussi aux 3 489 personnes qui se considéraient comme victimes et n’avaient pas réussi à prouver leur éligibilité à ce statut aux Chambres africaines extraordinaires et n’avaient donc pas la possibilité de prétendre à une indemnisation.

Mais si ce fonds existe juridiquement, il n’est toujours pas opérationnel bien que son statut, adopté durant le sommet d’Addis-Abeba qui s’est tenu du 28 au 29 janvier 2018, prévoie que les États et organisations signataires, ainsi que l’UA, lui fourniront tout le soutien nécessaire. 

Un retard à l’allumage qui ne surprend pas Clément Abaïfouta : « Il y a un club des chefs d’État africains qui empêchent que les choses évoluent. Il y a un manque cruel de volonté politique. » Et si deux comptes en banque et une villa à Dakar qui appartenaient à Habré ont bien été confisqués, « il serait inutile de verser les 680 000 euros qu’ils représentent dans un fonds qui n’est toujours pas opérationnel », observe Jacqueline Moudeïna, coordinatrice du collectif des avocats des victimes de Habré.  

L’UA ne fait rien et gâche son propre travail

C’est pourquoi Reed Brody, membre de la Commission internationale de juristes (CIJ), réfléchit tout bonnement à se passer de ce fonds qui n’est, pour l’heure, qu’une coquille vide. « Nous discutons en ce moment de la possibilité d’engager des procédures qui permettent d’indemniser les victimes sans passer par le fonds fiduciaire. Et ce, afin de contourner l’immobilisme de l’Union africaine et des autorités tchadiennes, explique cet ancien porte-parole de Human Rights Watch qui, pendant des années, s’est battu pour que le Tchadien soit jugé. Nous discutons de la possibilité d’initier des actions afin de trouver d’autres fonds – pas seulement au Sénégal, mais aussi à l’étranger. »

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Une démarche entamée parce que « l’UA ne fait rien », tonne le juriste : « Cette organisation est pour beaucoup dans ce procès historique [les Chambres africaines ont été créées en 2013 par un accord entre le Sénégal et l’organisation panafricaine], mais elle est en train de gâcher son propre travail. »

Tergiversations sur le pays d’accueil

Une lueur d’espoir est cependant née en février 2020, lorsque le président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, a promis la mise en place d’une « conférence de mobilisation pour alimenter le fonds ».

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Des mots qui, pour le moment, ne sont toujours pas suivis d’effet.

En matière d’indemnisation, d’autres espoirs ont été déçus

En cause ? « Il y a eu, durant les années suivant la création du fonds, des tergiversations concernant son pays d’accueil. Les associations des victimes d’Habré elles-mêmes ne voulaient pas qu’il siège au Tchad », souligne Jacqueline Moudeïna. Décision fut malgré tout prise de l’installer à N’Djamena. « Fin janvier 2020, une mission de l’UA comprenant les membres du cabinet du président de la Commission est venue pour établir une feuille de route, poursuit notre interlocutrice. Mais nous n’avons pas eu de nouvelles depuis. »

En matière d’indemnisation, d’autres espoirs ont été déçus. Le 25 mars 2015, la Cour criminelle de N’Djamena avait en effet déclaré coupables de torture, séquestration et meurtre vingt anciens membres de l’appareil répressif d’Hissène Habré. Ils ont été condamnés à de lourdes peines de prison et à verser 114 millions d’euros aux victimes et à leurs familles.

Cette sentence prévoit que l’État tchadien verse 50 % de cette somme, l’autre moitié étant à la charge des personnes reconnues coupables (grâce notamment à la vente de leurs biens). Mais cette décision n’a pas non plus été suivie d’effet. 

Les conseils des associations de victimes ont, en 2017, intenté aux côtés de Jacqueline Moudeïna un recours auprès de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) au sujet de la passivité des instances tchadiennes. « Mais le processus est long. Cela peut prendre dix ou vingt ans avant que la CADHP ne saisisse la Cour africaine des droits de l’homme, qui doit juger de l’affaire sur le fond », précise l’avocate. 

« Il ne nous reste qu’à poursuivre notre combat auprès des autorités tchadiennes pour que les victimes soient indemnisées, que ce soit par l’État ou par les coupables. » 

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