Mamane

Ou comment un Nigérien sans histoire devient, après bien des galères et par le plus grand des hasards, un humoriste à succès au pays de Coluche et de Jamel Debbouze.

Publié le 9 juin 2008 Lecture : 5 minutes.

Il ne sera jamais assez reconnaissant à l’animateur de télévision Laurent Ruquier de lui avoir donné sa chance, un jour de janvier 2006. Comme quoi le paysage audiovisuel français – le fameux « PAF » -, dont on dit qu’il a le pouvoir de rendre invisible les minorités visibles, peut parfois surprendre. Mais la couleur de la peau est ici secondaire. Ne dites surtout pas à Mamane, 42 ans, qu’il est un humoriste africain. Dites humoriste, tout court.
Ce que veut ce Nigérien natif d’Agadez, c’est être jugé sur pièces. C’est-à-dire sur ses textes. Et sur ce critère-là, aucun directeur de programmation un tant soit peu professionnel n’aurait pu passer à côté d’une telle plume, qu’elle fût chinoise, guatémaltèque ou chypriote. En témoigne son nouveau one-man show, Mamane malmène les mots, qui se joue à guichet fermé depuis le mois de mars à la Bellevilloise, magnifique salle au cÂur d’un quartier populaire de Paris. Pendant une heure et demie, tout y passe : la vie de ses compatriotes en France, l’immigration, la situation des sans-papiers, l’état de l’Afrique et les dérives de ses élites. Sans forcer le trait, Mamane raille, dénonce, appuie là où ça fait mal. Il y a chez cet humoriste paradoxalement très introverti une audace d’autant plus étonnante qu’elle est longtemps restée enfouie.
Qui aurait pu croire il y a seulement quelques années que ce fils d’ambassadeur – il préfère taire son nom « pour ne pas être perçu comme un fils de » – deviendrait l’une des étoiles montantes de la scène comique française ? « Jamais je n’avais rêvé de monter sur les planches », avoue-t-il.

La physiologie végétale mène à tout !
Dès sa naissance, en 1966, le petit Mustapha voyage avec sa famille au gré des affectations de son père. Au Nigeria, puis au Cameroun, où il vit une partie de son enfance, avant de s’installer en Côte d’Ivoire, où il fréquente le lycée Jean-Mermoz. L’enfant lit beaucoup, la littérature africaine notamment (Hampâté Bâ, Cheikh Anta Diop, etc.) et voue un culte aux caricaturistes. Le bac en poche, il rentre au Niger.
Nous sommes à la fin des années 1980. Le pays est dirigé d’une main de fer par Seyni Kountché, qui oriente les élèves « en fonction des besoins programmés de la nation ». Pour lui, ce sera la physiologie végétale, une matière contre laquelle il n’a aucun a priori négatif. Il obtient même une bourse du gouvernement nigérien pour parfaire ses études supérieures à Montpellier, dans le sud de la France, où il prépare une thèse sur « L’influence du stress hydrique sur la nutrition azotée des légumineuses ». Véridique.
Mais Mamane ne se plaint pas. Une gentille carrière l’attend dans quelque laboratoire, entre tubes à essai, semis végétaux et becs Bunsen. « Ma première année de thèse a eu raison de ma motivation, ce fut un cauchemar », se souvient-il. L’ennui est tel qu’il laisse tout tomber et monte à Paris dans l’espoir de passer un autre diplôme. Problème : l’administration refuse de lui renouveler sa carte de séjour. Mamane décide cependant de rester en France. « J’avais une dette envers le Niger, je voulais travailler pour m’en acquitter. » Au prix fort. Le futur artiste au physique frêle et au regard espiègle « entre en galère ». Ce purgatoire va durer six longues années.
D’étudiant, il devient un « sans-papiers ni-ni », comme il dit. Ni expulsable ni régularisable, il multiplie, comme tant d’autres, les petits boulots sans lendemain. « Les Français n’ont aucune idée de ce qui se passe dans leur pays. Des milliers de clandestins, africains ou autres, paient des impôts. J’ai vu un tas d’entre eux se ruiner la santé pour construire le Stade de France. » Heureusement, la haine n’est pas dans sa natureÂ
Sans le savoir, il est à un tournant de sa vie. La révélation ? Elle vient d’une association d’aide au logement qu’il fréquente (Saint-Vincent-de-Paul), laquelle anime parallèlement un atelier théâtre. « Comme on avait besoin de quelqu’un pour compléter la distribution d’une pièce, je me suis proposé. À la condition de n’avoir rien à dire et de tourner le dos au public. » Soit. Frédéric Leclerc, le metteur en scène – et futur ami -, lui dégote un rôle de chef d’orchestre.
En 1999, pour les besoins d’un spectacle de fin d’année, il écrit un sketch sur l’équipe de France de football. « Je ne faisais pas cela sérieusement », dit-il. À sa grande surprise, le public applaudit à tout rompre. On lui demande d’en écrire un deuxième, puis un troisième, puis un quatrième Il se prête au jeu. Très vite, les locaux de l’association deviennent trop exigus pour accueillir le nombreux public venu l’écouter. Leclerc le persuade d’aller voir ailleurs.
Il atterrit au théâtre Trévise, là où débutèrent Dieudonné et Jamel Debbouze. Tous les dimanches, des artistes encore méconnus y présentent leurs textes devant un aréopage de professionnels. Ils ont, pour cela, cinq minutes. Alors Mamane se jette à l’eau et lance des phrases qui font mouche. Du genre : « À force de prendre de nouveaux virages, l’Afrique tourne en rond. » Ou encore : « Les experts du FMI viennent en Afrique pour évaluer le terrain de golf notamment. »

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Voltaire dans le métro
Dès 2001, l’ancien scientifique est repéré par la maison de production Blue Line. Son spectacle One Mamane Show raconte l’histoire d’un balayeur africain du métro parisien s’exprimant dans un français châtié. Et citant Voltaire, à l’occasion. Sur le front administratif, sa situation s’améliore. Il obtient une carte de séjour de dix ans et la possibilité de demander la nationalité française. « Je vais le faire, mais simplement pour me protéger », explique-t-il. Bien sûr, il pense avant tout à sa femme et à sa fille. Le fait qu’il soit sous la menace permanente d’une expulsion est pour elles particulièrement pénible.
Les nombreux articles de presse qui lui sont consacrés attirent l’attention de Laurent Ruquier, qui, fin 2005, lui propose de participer à son émission On va se gêner, sur Europe 1. L’essai est concluant. Dès janvier 2006, il devient chroniqueur attitré. Neuf mois plus tard, il rejoint la vingtaine de joyeux drilles qui sévissent dans la version télévisée de l’émission radiophonique. Parallèlement, il livre une chronique quotidienne sur les ondes d’Africa n° 1. Le grand public, sous le charme, découvre un phénomène : un Nigérien plein d’humour et qui ne meurt pas de faim.
La carrière de Mamane est aujourd’hui lancée. Son nouveau spectacle, qu’il présente depuis le début de l’année, narre les mésaventures de l’un de ses cousins africains établi en France. Un personnage fictif dont le quotidien est rythmé par les contrôles policiers (« À force d’être arrêté, Mamadou a écrit un guide des commissariats de police »), les questions migratoires (« Le Cahier du retour au pays natal, d’Aimé Césaire ? Le livre préféré de Brice Hortefeux ») ou le sport (« Quand vous avez traversé la Méditerranée à la nage, ce n’est pas une piscine olympique qui va vous faire peur »). Quant au troisième spectacle, il est déjà en train de l’écrireÂ

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