Loi d’urgence, énième
Moubarak avait promis de l’abroger au profit d’une loi antiterroriste. Le Parlement l’a reconduite… jusqu’en 2010. Au grand dam de l’opposition, qui craint de nouvelles atteintes aux droits de l’homme.
En Égypte, le provisoire est fait pour durer. Tel est le message que semble avoir adressé le Parlement cairote à la communauté internationale, le 26 mai, en reconduisant la loi d’urgence jusqu’en 2010. Ce régime d’exception, instauré après l’assassinat de Sadate par un commando islamiste en 1981, est invariablement reconduit depuis. Au nom de « la lutte contre le terrorisme ». Mais l’argument ne convainc plus, et ce vote fait craindre de nouvelles atteintes aux droits de l’homme. Surtout, il va à l’encontre des engagements pris par Hosni Moubarak lors de sa campagne présidentielle de 2005 : abroger ce texte au profit d’une loi antiterroriste inscrite dans la Constitution. Aujourd’hui, les États-Unis se disent « déçus ». Mais le gouvernement égyptien rechigne à céder à ce qu’il considère comme de l’« ingérence ». « Aucun parti étranger n’a le droit de faire des remarques sur les activités de l’Assemblée du peuple », a martelé le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Ali Aboul Gheit.
En vingt-sept ans, la loi d’urgence, qui permet perquisitions, arrestations et détentions arbitraires, est devenue le cauchemar de l’opposition. Selon Hafez Abou Saada, responsable de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, plus de 10 000 personnes seraient actuellement détenues sans jugement. Dans la perspective de la succession de Moubarak, cette loi constitue donc un moyen efficace de museler la contestation. À commencer par celle des Frères musulmans, la principale force d’opposition, régulièrement visée par des arrestations massives. Mohamed Saad al-Katatni, chef de file des députés (élus sous l’étiquette « indépendants », la confrérie étant officiellement interdite), ne cache pas son amertume : « Cette loi criminelle est le symbole de la corruption du régime, qui maintient un État policier pour agir en toute impunité. » Plus récemment, elle a été utilisée pour arrêter des ouvriers et des syndicalistes impliqués dans les manifestations et grèves contre la flambée des prix. Ces protestations populaires, interdites sous l’état d’urgence et inédites sous Moubarak, ont réveillé la hantise d’émeutes de plus grande ampleur. Et ravivé ainsi les réticences du gouvernement à se priver de la loi d’urgence, tout en rendant très délicate la promulgation d’une loi antiterroriste aux contours incertains mais déjà très impopulaire.
Les rares éléments connus de ce projet de loi n’augurent rien de bon. Selon le quotidien indépendant Al-Masri al-Youm, qui affirmait en février s’en être procuré une copie, il « élargit dangereusement la notion de terrorisme », en y incluant tous les éléments de la loi d’urgence. Ce qui reviendrait à « constitutionnaliser l’exception ». La préparation de la nouvelle loi a provoqué un débat au sein du pouvoir et poussé Moubarak à opter pour le statu quo. Interrogé par Jeune Afrique, le Dr Mohamed Abdallah, responsable de la commission Affaires étrangères au Parlement, le reconnaît à demi-mot : « Certains aspects de cette loi ont peut-être été exagérés, nous devons encore nous mettre d’accord. » Partisans d’un texte minimaliste contre tenants du tout-sécuritaire. Au Caire, beaucoup redoutent qu’à terme les seconds ne l’emportent.
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