La faim et les moyens

Beau succès médiatique, la Conférence sur la sécurité alimentaire mondiale (3-5 juin) a surtout mis en évidence… les insurmontables divergences de vues des participants.

Publié le 9 juin 2008 Lecture : 4 minutes.

A défaut d’apporter des réponses originales à la crise alimentaire mondiale, la conférence qui s’est tenue du 3 au 5 juin à Rome a connu un succès médiatique que son promoteur, le Sénégalais Jacques Diouf, n’imaginait sûrement pas. Trois jours durant, la capitale italienne a en effet accueilli 43 chefs d’État et de gouvernement, 1 700 délégués venus de 181 pays, 1 300 journalistes et quelques centaines d’humanitaires et de représentants de l’agro-industrie. Tous ont paru prendre un malin plaisir à étaler leurs divergences de vues.
À l’origine, le directeur général de la FAO souhaitait organiser une rencontre sur les conséquences du changement climatique. Mais la hausse vertigineuse des cours du pétrole et la flambée des prix agricoles, en remettant le problème de la faim au centre des préoccupations planétaires, ont évidemment changé la donne.
« Toutes les trente secondes, un enfant meurt de faim Chaque jour, 25 000 êtres humains sont victimes de malnutrition ou de sous-nutrition. Chaque jour, plus de 850 millions de personnes souffrent de la faim », a rappelé le président français Nicolas Sarkozy. L’Afrique est en première ligne avec plus de 200 millions d’individus concernés – le quart de sa population. Depuis plusieurs mois, les grandes villes sont le théâtre d’émeutes de la faim qui mettent les gouvernements, dont les marges de manÂuvre budgétaire sont réduites, en grande difficulté. Toutes les mesures de détaxation des importations n’empêchent pas les prix des denrées alimentaires de s’envoler : entre 15 % et 50 % d’augmentation, parfois davantage.
C’est dans ce contexte plus que délicat que vingt chefs d’État – Abdoulaye Wade (Sénégal), Denis Sassou Nguesso (Congo), Hosni Moubarak (Égypte), Marc Ravalomanana (Madagascar), Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi (Mauritanie), Robert Mugabe (Zimbabwe) – et de gouvernement – Guillaume Soro (Côte d’Ivoire), Abbas El Fassi (Maroc) – africains ont pris part aux travaux du sommet.
Wade s’est montré le plus virulent en dénonçant la responsabilité de la communauté internationale – et de la FAO en premier lieu – dans la crise en cours. « Ne nous imposez plus vos institutions et vos experts. Donnez-nous l’argent et mettez-nous à l’essai », a-t-il suggéré, déclenchant une salve d’applaudissements. Force est de constater que, douze ans après le premier sommet de l’alimentation, les dirigeants ont échoué à réduire de moitié la faim dans le monde, leur objectif initial. La part de l’agriculture dans l’aide au développement accuse même une chute vertigineuse : de 17 % en 1980 à 3 % en 2006. Moins de 5 % des budgets nationaux sont aujourd’hui consacrés à ce secteur, contre 10 % en Asie.
Comment en est-on arrivé là ? Les dirigeants africains ont mis l’accent sur les cultures d’exportation, en oubliant que la priorité était de nourrir leurs populations. Ils ont indiscutablement manqué de flair, mais la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), en leur imposant des programmes d’ajustement structurel et en les contraignant à ouvrir largement leurs marchés, ne leur a pas facilité la tâche. « Cela s’est traduit par une perte d’intérêt des petits producteurs pour l’agriculture vivrière. Les faibles moyens accordés – sous forme d’intrants, de crédits, de recherche ou de subventions – ont été concentrés sur les cultures de rente, comme le coton », précise Ndiogou Fall, président du Réseau des organisations paysannes de producteurs d’Afrique de l’Ouest (Roppa).

Bonnes intentions
Un constat que personne ne remet en question, mais qui appelle à un changement radical. Or on n’en prend pas le chemin. Arrachée après des heures de discussions, la déclaration finale du sommet ressemble, une fois de plus, à un catalogue de bonnes intentions : adoption de mesures d’urgence pour lutter contre la flambée des prix, augmentation de l’aide aux pays en développement, réponse au défi des biocarburants et du changement climatique, relance de la production d’engrais et de l’agriculture vivrière dans les pays pauvres, etc.
Comme à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les participants se sont vivement opposés sur toute une série de points : spéculation financière, restrictions commerciales, ouverture des marchés, subventions Les États-Unis et le Brésil ont défendu bec et ongles leur politique en matière de biocarburants. Pour eux, pas question de s’engager dans la voie d’une limitation de la part des cultures destinées à la production énergétique.
Le sommet n’a pas davantage réglé le problème de la multiplicité des structures qui régissent les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation (Programme alimentaire mondial, Fonds international de développement agricole, FAO, etc.), alors qu’il est urgent d’harmoniser les politiques d’aide et de lutter contre la gabegie. Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon a proposé la création d’un groupe international d’experts (agences de l’ONU, Banque mondiale, FMI, banques régionales, OMC) afin de mieux coordonner les politiques en matière de sécurité alimentaire.
Les bailleurs de fonds ont pour leur part promis plus de 7 milliards de dollars pour l’aide d’urgence et la relance de l’agriculture. Mais le versement de l’essentiel de cette somme sera étalé sur cinq ans. On est loin des 25 milliards par an demandés, en 2003, par l’Union africaine pour financer le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA). Alors, encore une conférence pour rien ?

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