J. Mawuli Ababio

Directeur général de l’Association africaine des professionnels du capital investissement (AVCA) depuis 2007, ce banquier d’affaires ghanéen est bien décidé à assurer la promotion et le développement de ce mode de financement sur le continent.

Publié le 9 juin 2008 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Combien de fonds de capital investissement (private equity) opèrent actuellement en Afrique ?
J. Mawuli Abadio : Pour la seule Afrique du Sud, ils sont environ soixante-dix. Sur l’ensemble du continent, l’AVCA (African Venture Capital Association) compte 130 membres. Et encore, je n’englobe pas les fonds très actifs en Égypte.

Mais dans ce domaine, le continent représente seulement 7 % des marchés émergentsÂ
Les opérateurs financiers ont toujours guetté l’Afrique. Ces dernières années, les fondamentaux de l’économie africaine, qui ont été corrects, ont fini de les convaincre. Citons, notamment, la croissance, les annulations de dettes et les progrès en matière de bonne gouvernance. Il y a eu également des facteurs exogènes, comme l’augmentation du prix des matières premières. De ce fait, l’Afrique est devenue « sexy ». Parallèlement, l’intérêt de l’Afrique du Sud pour le reste du continent a donné l’exemple et attiré les gestionnaires de fonds des places occidentales. Rappelons que c’est le capital investissement qui a permis à l’Afrique du Sud post-apartheid de décoller. Certains ont créé des fonds spécialisés sur les pays émergents comme Emerging Capital Partners (ECP) ou Zephyr, et plusieurs institutions internationales ont participé à la création de fonds de capital-risque pour appuyer les PME. À cela s’ajoute l’arrivée des Chinois et des fonds libyens. En fait, nous assistons à un phénomène d’entraînement.

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Qui sont les actionnaires de ces fonds et d’où viennent les apports financiers ?
Il faut distinguer les limited partners, qui sont des investisseurs. En général, ce sont des caisses de retraite et des sociétés d’assurances américaines qui mobilisent leurs capacités financières dans le non-coté. À noter aussi le rôle déterminant des institutions financières de développement, comme la Société financière internationale (SFI, filiale de la Banque mondiale), la Commonwealth Development Corporation britannique (CDC Group), et la Société de financement du développement (FMO, Pays-Bas)Â Chose intéressante, nous constatons également que des limited partners africains commencent à émerger. Outre la Banque africaine de développement (BAD), c’est le cas notamment au Nigeria avec la Banque centrale (African Finance Corp.) et au Ghana (SSNIT). Et puis, il y a les general partners africains, comme Helios ou Phoenix, qui sont des individus qui constituent des équipes pour gérer ces fonds.

Et les banques ?
En Afrique, ce n’est pas vraiment leur métier. Leurs dépôts sont à court terme alors que nous cherchons des financements à long terme.

Les turbulences sur les marchés financiers internationaux ont-elles des conséquences sur le private equity en Afrique ?
Nous ne constatons pas de baisse d’activité. Autour de 2,3 milliards de dollars avaient été mobilisés en 2006. C’est resté stable en 2007, et en ce début d’année certains de nos membres lèvent des fonds sur les marchés. Et, apparemment, cela se passe bien. Aureos Capital est en train de mobiliser 400 millions de dollars, idem pour Kingdom Zephyr, tandis que ECP vise 1 milliard de dollars. En fait, en ces temps de crise, l’Afrique est rafraîchissante pour les financiers. Ils se disent que le continent est sans doute la dernière frontière. Par ailleurs, les volumes sont petits : aux États-Unis, les mobilisations atteignent parfois 100 milliards de dollars ! Pour ma part, je prépare une tournée au Nigeria, au Ghana, en Afrique du Sud, au Kenya et au Maghreb. Cela prouve que l’engouement pour l’Afrique est durable.

L’arrivée des fonds souverains ne risque-t-elle pas de parasiter le jeu ?
Non, car les besoins en investissements sont tels qu’il y a de la place pour tout le monde.

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Le capital-risque ne représente que 14 % des opérations sur le continent, comme si les fonds se montraient réticents à financer les PMEÂ
Le capital-risque est moins visible car les volumes sont moins importants, mais des initiatives sont prises dans plusieurs pays, comme au Rwanda et au Liberia. De toute façon, il faut développer le capital-risque. L’Histoire en Europe et aux États-Unis prouve que ce chaînon est déterminant dans le développement des économies. Cela dit, il nous manque un élément clé qui touche aux capacités des managers à gérer ces fonds. C’est un métier risqué et il faut être multidisciplinaire.

Les entreprises africaines offrent-elles une rentabilité suffisante ?
Des amis au Ghana ont une société qui distribue du crédit sous 24 heures avec un taux d’intérêt de 5 % à 6 % par mois. C’est très cher, et pourtant des entrepreneurs, surtout dans le secteur informel, font des affaires grâce à ce mécanisme. Il suffirait de convertir ces créances en capital pour assister les entreprises. Le fait qu’elles peuvent rembourser de tels prêts prouve qu’elles dégagent de la marge. Des exemples comme celui-ci sont très nombreux.

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Oui, mais ces petits patrons ont-ils les outils pour accepter cette intrusion de nouveaux actionnaires ?
Les mentalités ont vraiment évolué dans nos pays. Les patrons ont suffisamment souffert pour trouver des financements qu’ils sont, à présent, prêts à jouer le jeu. Avoir une institution dans son capital, c’est l’assurance d’être conseillé au quotidien. Lorsqu’une société est en difficulté, l’arrivée d’un fonds constitue une bouffée d’oxygène, car il est plus facile d’aller voir une banque. En contrepartie, outre l’apport en capital, les fonds doivent apporter un plus. Cela concerne le rôle d’assistance technique au quotidien gestion, marketing, juridique, finance – pour renforcer la gouvernance d’entreprise. Finalement, on peut parler d’une feuille de route. On l’a vu avec les banques nigérianes qui ont accueilli des fonds dans leur capital. Cela a apporté beaucoup de rigueur. Plus généralement, un patron intelligent saura profiter de la présence d’un fonds pour organiser le management de sa société et, à terme, sa succession. En Afrique, énormément d’entreprises périclitent après la disparition de leur fondateur.

Comment se fait-il que l’Afrique francophone soit en retard par rapport à la partie anglophone ?
Je ne crois pas à une différence des mentalités, qui seraient plus patrimoniales en Afrique francophone alors que l’esprit d’entreprise serait plus développé dans les pays anglophones. Les Bamilékés au Cameroun, les mourides au Sénégal ou les commerçantes au Bénin sont des entrepreneurs, mais, dans ces pays, les structures économiques formelles ont été trop rigides et ont empêché l’émergence des fonds. C’est sans doute un héritage de la France !

Le private equity ne risque-t-il pas de concurrencer la Bourse, encore embryonnaire sur le continent ?
À mon avis, non. Prenez l’exemple de l’Afrique du Sud, ou le private equity n’a pas empêché la Bourse de Johannesburg de se développer. Ce ne sont pas les mêmes opérateurs financiers. Les banques sont actives en Bourse et les fonds sont surtout financés par les assurances et les caisses de retraite. Et puis des sociétés qui ont été soutenues par des fonds peuvent ensuite aller en Bourse. Sans compter que le capital investissement participe à la structuration des marchés financiers. C’est du gagnant-gagnant.

Quels sont les secteurs d’activités ciblés par le private equity ?
La téléphonie, la banque, les assurances et les industries extractives ont été les secteurs prioritaires jusqu’à présent. À noter également l’arrivée de hedge funds qui cherchent des opportunités, achètent par exemple des sociétés au Zimbabwe et misent sur un redressement prochain de la situation. Sinon, pour le capital investissement, l’avenir concerne sans nul doute les infrastructures, l’énergie, l’immobilier, la santé et l’agro-industrie. Mais pour cela, vu les montants et la rentabilité à long terme, il faut développer des partenariats public-privé en organisant une collaboration entre les puissances publiques, les financiers et les constructeurs. Cela implique une forte volonté politique.

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