Côte d’Ivoire : la glaçante « reconstitution » d’un viol à la télévision

La polémique enfle après qu’un violeur « repenti » a détaillé sa manière d’agresser ses victimes sur une chaîne ivoirienne. Internautes et organisations de défense des droits des femmes exigent des sanctions.

Capture d’écran de l’émission de NCI lors de laquelle un « ancien violeur » explique la façon dont il a commis ses crimes. © DR

Capture d’écran de l’émission de NCI lors de laquelle un « ancien violeur » explique la façon dont il a commis ses crimes. © DR

Aïssatou Diallo.

Publié le 31 août 2021 Lecture : 6 minutes.

Yves de Mbella est un animateur habitué des polémiques. En recevant, le lundi 30 août, un homme présenté comme un « ancien violeur » pour parler de ses crimes, il avait réuni tous les ingrédients pour en provoquer une nouvelle. Et, sans surprise, des extraits de l’édition de l’émission La Télé d’ici vacances, diffusée sur la NCI, ont largement été relayés sur la Toile, et n’ont pas manqué de susciter une vague d’indignation. Et il y avait matière.

Tu agis seul ou avec quelqu’un ? Comment les choisis-tu ? a osé demander l’animateur

« Voilà une go, par exemple, signale l’animateur en désignant un mannequin installé sur un podium. Tu attaques par devant ou par derrière ? Montre nous comment tu fais. » L’invité monte sur l’estrade et détaille méticuleusement comment il procède pour étrangler sa victime, lui toucher les parties intimes, la faire tomber, l’immobiliser et la violer. Le tout sous quelques rires à peine étouffés et des relances de Yves de Mbella, glaçantes : « Tu agis seul ou avec quelqu’un ? Comment les choisis-tu ? Minces ou avec des fesses ? »…

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Les « conseils » effarants du violeur

La séquence continue. L’animateur demande à son invité quels conseils il peut donner aux femmes afin d’éviter un viol. « La femme doit éviter d’être saoule. Très souvent, lorsqu’elles sont ivres, elles ne se contrôlent plus. L’homme peut en profiter. Évitez de marcher seules tard dans la nuit. Il est difficile de violer dans la journée. Si vous sortez tard, soyez toujours avec quelqu’un », répond l’homme, le plus calmement du monde.

Tonnerre d’applaudissements du public et des autres invités…

Les violences faites aux femmes sont habituellement banalisées. Mais pas autant et pas à la télévision. On a touché le fond

Mais en dehors du studio, les réactions n’ont pas tardé. Et sur les réseaux sociaux, c’est un torrent de condamnations outrées qui n’a, depuis, cessé de se déverser. « J’ai été choquée et peinée en tant que survivante de viol, confie Désirée Deneo, militante féministe et secrétaire générale de la Ligue ivoirienne des droits des femmes. Les violences faites aux femmes sont habituellement banalisées. Mais pas autant et pas à la télévision. Cela va au-delà de la culture du viol. On a touché le fond. »

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En plus de la démonstration d’un viol à la télévision et de la culpabilisation des victimes, une question de l’animateur a retenu l’attention. « Les femmes prennent-elles quand même du plaisir lorsqu’elles sont violées ? » a-t-il osé demander à son invité. Et ce dernier de répondre… par l’affirmative.

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« Aller au-delà de l’indignation »

Dans la foulée, Désirée Deneo a initié une pétition qui a déjà récolté près de 36 000 signatures. « Au-delà de notre association, nous sommes membres d’un collectif qui lutte pour les droits des femmes. Ensemble nous allons joindre la pétition à des courriers que nous adresserons à la Haute Autorité de la communication et de l’audiovisuel [Haca], au ministère de la Communication et à celui des Droits de la femme. En plus, une plainte sera déposée pour atteinte à la pudeur car l’émission a été diffusée à une heure où des enfants regardent aussi la télé. Exposer un public qui n’est pas sensibilisé aux questions de culture du viol à de telles images est dangereux », détaille la militante. Déposer une plainte et saisir les autorités permet « d’aller au-delà de l’indignation » sur les réseaux sociaux, insiste-t-elle.

Pour Ketella Soroko, militante féministe et présidente de l’association Le réseau, qui accompagne des victimes d’agressions et de viols, cette séquence a fait revivre aux personnes qui ont été violées leurs traumatismes. Selon une étude de l’UNICEF en 2020, 46,3 % des femmes affirment avoir été victimes de violences sexuelles dans leur enfance en Côte d’Ivoire.

On a très rarement des sanctions à la suite de viols et d’agressions sexuelles

« Lorsque nous sommes contactées, nous effectuons un suivi psychologique avant de porter plainte. Parfois, les policiers minimisent l’acte et on nous impose un certificat médical qui coûte 50 000 F CFA alors que le salaire minimum est de 60 000 F CFA.  Il faut ensuite attendre dix mois à une année pour qu’il y ait une enquête. On a très rarement des sanctions à la suite de viols et d’agressions sexuelles. C’est pour cela qu’on utilise les réseaux sociaux pour attirer l’attention », explique Ketella Soroko.

La militante tire tout de même une leçon positive de cette polémique : « Ce genre de buzz paraît anodin. Mais il démontre que les choses évoluent. J’aimerais saluer la réaction de tous les Ivoiriens qui ont été indignés. En 2018, nous avions eu le même cas et seules les féministes avaient réagi. Désormais, les gens sont plus affectés. Cela prouve à quel point l’éducation de la société est primordiale. C’est une façon de pousser chacun à prendre conscience des violences subies par les femmes. »

Un habitué des provocations et insultes sexistes

Si ce n’est pas la première fois que Yves de Mbella est au cœur d’une polémique, c’est la première fois qu’il va aussi loin. Il avait déjà été averti par la Haca en juillet dernier, lorsqu’il avait mis en scène sa propre arrestation au cours de l’émission. De nombreux internautes avaient crié à la censure et à une atteinte à la liberté d’expression, avant que l’animateur ne dévoile le lendemain qu’il s’agissait en réalité d’une promotion pour un film qui allait bientôt être diffusé.

NCI a présenté officiellement ses excuses

Certaines invitées ont également déjà été la cible de propos sexistes émanant de l’animateur de l’émission Rien à cacher, diffusée sur la radio Nostalgie. En mars dernier, c’est Cynthia Sankara, miss Burkina 2018, qui en avait fait les frais.

Dans un communiqué publié sur sa page Facebook dans la nuit de lundi à mardi, la chaîne de télévision NCI a présenté officiellement ses excuses. « L’animateur du programme, Yves de Mbella, va d’ailleurs présenter des excuses publiques sur son compte Facebook », était-il écrit.

Mais face à l’ampleur de la polémique, la chaîne a diffusé mardi un communiqué de presse. « La Télé d’ici vacances est une émission de divertissement qui se veut fun, avec un traitement de sujets sur un ton léger et humoristique. En aucun cas elle n’aurait dû traiter d’une thématique aussi grave et sensible que le viol avec la même dynamique », écrit la chaîne.

Elle a également annoncé la suspension de l’animateur qui remplaçait, le temps des vacances, le présentateur de cette émission.

Plus d’un millier de signalements

Une annonce qui est loin de calmer la polémique. Contacté par Jeune Afrique, le président de la Haca, René Bourgoin, a confié que l’organisation avait reçu plus d’un millier de signalements. « Un régulateur ne peut pas laisser passer cela. Les procédures peuvent prendre des jours habituellement, mais la Haca organise une visioconférence ce jour même, et une sanction sera prise », insiste-t-il.

Nous avons décidé d’une suspension à titre conservatoire de l’animateur

« En cas de manquement déontologique, une panoplie de sanctions sont prévues par la loi : l’avertissement, le blâme, la suspension de un à trente jours et la radiation. Le régulateur peut moduler en fonction de la gravité des faits », ajoute le responsable.

« Ce qui était prévu dans l’émission d’hier, c’était une émission de sensibilisation contre les viols. On devait en aborder les conséquences pour les victimes. C’est un sujet que nous avons l’habitude de traiter sur nos antennes et cette émission avait été programmée en ce sens, explique à Jeune Afrique Ange Guei, le directeur général de la NCI. Malheureusement nous avons vu le résultat. Nous avons décidé d’une suspension à titre conservatoire de l’animateur, le temps que l’on comprenne ce qu’il s’est passé. Nous n’avons pas voulu prendre de décision hâtive. Nous allons situer les responsabilités au niveau de la production avant de prendre des sanctions. »

Le patron de la NCI a par ailleurs précisé qu’une « édition spéciale pour présenter des excuses » est diffusée ce mardi soir. « Ce bad buzz met la lumière sur les viols en Côte d’Ivoire. Au cours de cette édition spéciale, nous allons donner la parole aux victimes et aux associations de défense des victimes de viols. »

Les associations espèrent que le comité d’organisation de Miss Côte d’Ivoire décidera de ne pas associer son image à celle de l’animateur

En attendant la décision de la Haute Autorité, les organisations féministes espèrent que l’animateur et la chaîne de télévision seront sanctionnés. Alors que Yves de Mbella avait été désigné pour animer la finale du concours de Miss Côte d’Ivoire dans les jours à venir, les associations espèrent que le comité d’organisation décidera de ne pas associer son image à celle de l’animateur.

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