Rachid Yazami : « Le Maroc est au cœur de la guerre pour les minerais rares »
Pour le physico-chimiste originaire de Fès, inventeur des batteries lithium-ion, le royaume pourrait être amené à jouer un rôle clé dans la transition énergétique et la tectonique des plaques qui secoue le monde de l’industrie. Entretien.
L’histoire du physico-chimiste marocain Rachid Yazami montre à quel point le regard posé par l’adulte ou l’enseignant sur l’enfant est essentiel. C’est le fameux mythe de Pygmalion, remis au goût du jour par les sociologues de l’éducation et qui peut être résumé par cette phrase de Goethe : « Traitez un homme pour ce qu’il peut être et il deviendra ce qu’il peut et devrait être. »
Ou comment les croyances positives de l’entourage ou d’une figure d’autorité influencent la réussite d’un individu. C’est un ressort que l’on retrouve dans le récit de nombreuses grandes destinées, de Thomas Edison à Barack Obama en passant par Romain Gary, Gabriel Garcia Marquez ou Lbachir BenMohamed.
Toi, Rachid, tu seras chimiste !
Dans le cas de Rachid Yazami, l’inventeur aux plus de cent brevets, c’est un professeur qui a joué ce rôle : devant l’intérêt très marqué du jeune garçon, à 11 ans, pour la géologie, les pierres, les roches et la chimie (il remplissait des ballons avec de l’hydrogène qu’il produisait lui-même dans sa chambre d’adolescent) et son aisance, son professeur de physique-chimie au collège aura cette phrase prémonitoire, « toi, Rachid, tu seras chimiste ! », qui continuera de résonner en Rachid Yazami et de l’influencer telle une prophétie auto-réalisatrice des années durant.
Admis à l’issue des classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieurs à l’Institut national Polytechnique de Grenoble (INPG), c’est le souvenir de cette « prophétie » qui le pousse à se spécialiser en chimie, à contre-courant de ses camarades et des conseils des profs qui lui suggéraient de s’orienter vers la filière mathématiques appliquées et informatique, alors très tendance et qui permettait d’accéder à des emplois beaucoup mieux payés.
Grand bien lui en a pris, puisqu’à 68 ans cet ingénieur issu d’une famille modeste de Fès est aujourd’hui l’un des scientifiques mondiaux les plus en vue : il a reçu le très prestigieux prix Draper pour ses travaux de recherche déterminants dans le développement des batteries lithium rechargeables.
Sa découverte de l’anode graphite pour la batterie lithium-ion, qui est au cœur de la grande transition énergétique amorcée par tous les pays, a révolutionné le monde. Comme a pu le faire Edison avec l’ampoule électrique.
Discret et fidèle à ses racines, l’homme – qui vit entre Singapour, Grenoble et le Maroc – a lancé, début juillet, un Centre d’excellence sur les batteries à Fès, et fait don de plusieurs de ses brevets au royaume. Objectif : faire bénéficier le Maroc des retombées de cette nouvelle révolution industrielle.
Entre deux voyages, il s’est entretenu avec JA de ses projets au Maroc, de la tectonique des plaques qui secoue le monde de l’industrie, et de la course aux minerais rares dont le royaume regorge et qui pourrait placer celui-ci au centre de ce nouvel ordre mondial en construction.
Jeune Afrique : Prix Draper [le Nobel de l’ingénierie], médaille Mohammed Bin Rashid… Vous avez été primé à de multiples reprises pour vos travaux sur les batteries rechargeables. Quel est le secret de votre réussite ?
Rachid Yazami : Beaucoup de travail et une bonne dose de persévérance. Il faut inventer des choses utiles qui correspondent à un besoin réel, mais il faut aussi avoir la patience de continuer à faire ce travail, même quand il n’y a pas de reconnaissance immédiate.
Quand j’ai commencé mes recherches, dans le cadre de mon DEA en 1978, puis d’un doctorat en 1979, je voulais combiner lithium et graphite dans une batterie pour parvenir à plus d’efficacité, car cela pouvait permettre de convertir la pile lithium en batterie rechargeable.
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