Crise de leadership

Publié le 9 juin 2008 Lecture : 5 minutes.

Je crois qu’il faut vraiment nous alarmer car il y a péril en la demeure.
On nous le répète jour après jour, et, d’ailleurs, chacun de nous le constate : l’ère de la mondialisation que nous vivons a fait de notre planète un village où toute nouvelle se propage instantanément et où les décisions prises dans un pays, une région ou sur un continent se répercutent sur les autres et les affectent.
Or ce village n’est pas gouverné, ou très mal. À l’échelle du monde, l’absence de leadership et la mauvaise gouvernance n’ont jamais été aussi flagrantes, aussi préoccupantes qu’en ce moment.

Nous subissons tous, en ce mois de juin 2008, de plein fouet et simultanément, deux chocs terribles : celui de la flambée des prix de l’énergie et celui des produits alimentaires.
Ils déclenchent des émeutes et ravivent le fléau de l’inflation. On parle de crise économique sans être en mesure pour l’heure de se prononcer sur sa gravité et sa durée.
Notez-le : ils n’ont été, ces deux chocs, ni prévus ni annoncés par ceux dont c’était la mission. Quant à ceux qui détiennent le pouvoir de décision politique ou économique au niveau national ou supranational, ils palabrent, s’agitent et gesticulent, se réunissent, font semblant d’organiser ce qui visiblement les dépasse.

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Ils se sont réunis à Rome (siège de la FAO : Food and Agriculture Organization) en « sommet de crise » du 3 au 5 juin. Ils ont d’abord fait bombance, puis ont livré leurs analyses et les solutions que chacun d’eux propose pour résoudre la crise et « lutter contre la faim dans le monde ».
Je n’ai entendu, pour ma part, que des voix discordantes :
– Celle de l’ONU, de son secrétaire général et des agences qui en dépendent au moins nominalement, dont la FAO, aujourd’hui sous les feux de la rampe et dont nous verrons qu’elle a vraiment démérité.
– Celles de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et du G8, composé de pays dont les dirigeants se sont arrogé un pouvoir de décision sur le destin du reste du monde qu’ils se sont révélés incapables d’exercer.
Ces responsables des affaires du monde, et par conséquent de la crise qui nous frappe, nous venons donc de les voir rassemblés à Rome et ils nous ont donné l’impression d’être en plein désarroi.

Un mot de cette FAO dont on avait oublié jusqu’à l’existence avant que le président du Sénégal, Abdoulaye Wade, ne réclame, il y a un mois, qu’on la supprime, faisant mine d’oublier qu’en 2006, il y a deux ans, il avait avec l’Union africaine parrainé la réélection à sa tête de son compatriote Jacques Diouf.
Si la FAO est ce mort-vivant qui n’a ni les moyens humains ni les budgets qui lui permettraient de remplir sa fonction, c’est que la communauté internationale, qui s’est totalement désintéressée – à tort – de l’agriculture, a voulu cette hibernation et l’a même sciemment organisée.
En baisse constante depuis plus de deux décennies, les budgets de cette agence de l’ONU servent, pour l’essentiel – tout le monde le sait ! – à payer ses 3 600 fonctionnaires, dont la plupart vivent confortablement au siège de l’Organisation.
Qui se souvient de l’acte constitutif de la FAO où il est écrit qu’elle a pour mission « d’atteindre la sécurité alimentaire pour tous, de veiller à ce que les êtres humains aient un accès régulier à une nourriture de bonne qualité qui leur permette de mener une vie saine et active, d’améliorer les niveaux de nutrition, la productivité agricole et la qualité de vie des populations rurales et contribuer à l’essor de l’économie mondiale » ?
Parlant de cette FAO, un cynique a dit la vérité sous forme d’une interrogation :
– Croyez-vous que si les Américains, les Européens et les Japonais, principaux bailleurs de fonds du système des Nations unies et qui en ont la maîtrise, avaient accordé la moindre importance à la FAO, ils l’auraient laissée trente-six ans d’affilée entre les mains d’un directeur général libanais, puis sénégalais, à raison de dix-huit ans chacun (double record) ?

Cela dit, la crise de leadership dont nous souffrons ira en s’aggravant, car plusieurs dirigeants de pays importants sont sur le départ et ne disposent plus de l’autorité nécessaire pour prendre des décisions importantes ; ils ne font plus qu’expédier les affaires courantes.
Le plus important d’entre eux par le pouvoir dont il dispose est évidemment George W. Bush. Son successeur, qui ne peut plus être désormais que John McCain ou Barack Obama, sera élu dans moins de cinq mois.
Selon la plupart des observateurs, son ami Ehoud Olmert, le Premier ministre d’Israël, qui vient de lui faire ses adieux à Washington, perdra le pouvoir pour « délit de corruption » dans les prochaines semaines.
L’espoir illusoire d’un accord israélo-palestinien et le simulacre de négociations avec la Syrie auront du mal à survivre au retrait des deux personnages qui leur donnaient un semblant de consistance.
Sur la scène palestinienne ne restera plus alors que le malheureux Mahmoud Abbas dont le mandat de président de l’Autorité palestinienne expire en janvier 2009, en même temps que celui de G.W. Bush.
Et l’inénarrable Tony Blair, dont la mission n’a pas de vrais contours mais un terme certain (lire pp. 50-51).
Peu de gens y pensent, mais je recommande de ne pas oublier que le premier mandat du président iranien Mahmoud Ahmadinejad arrive lui aussi à échéance au début de 2009.
Et de ne pas exclure la possibilité qu’il soit écarté d’un second mandat.

À cette liste, il y a lieu d’ajouter un autre grand pays où le pouvoir en place n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été : l’Afrique du Sud.
Son président actuel, Thabo Mbeki, est, lui aussi, dans les derniers mois de son dernier mandat ; son parti, l’ANC, qui l’a désigné et fait élire, est passé sous le contrôle de son rival Jacob Zuma, qui piaffe d’impatience en attendant l’heure de succéder au « camarade Mbeki » et ne se prive pas de faire connaître ses désaccords avec lui.
Mbeki est encore en place pour neuf longs mois, mais il n’est plus en mesure de gouverner.
On le sent « absent » même lorsque le devoir lui commande d’intervenir : il s’est rendu récemment au Zimbabwe, mais n’a pas vu que ce pays voisin du sien était en crise ; lorsqu’en Afrique du Sud même on a pourchassé et tué des étrangers, il ne s’est pas ému et n’a pas réagi.
Un grand quotidien sud-africain en est arrivé alors à l’apostropher en ces termes :
– Monsieur le Président, il est clair que vous ne trouvez plus aucun intérêt à gouverner notre république Si c’est le cas, de grâce, quittez le pouvoir pour mieux servir les intérêts de votre pays.

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Prions pour que cette expérience sans précédent d’une « cohabitation à la sud-africaine », dans un pays où la démocratie n’a pas encore de cicatrice, aille à son terme sans incident grave.
Mais tenons-le pour acquis : dans les prochains mois, l’Afrique du Sud ne sera plus en état de jouer un rôle actif dans les affaires africaines ou mondiales.

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