Chérif Ousmane
Réinsertion des soldats ayant combattu pour les Forces nouvelles, élection présidentielle du 30 novembre, rôle joué par la France, ambitions personnelles : l’ex-chef rebelle se confie, avec son habituel franc-parler.
Fort en gueule, mais économe de ses propos : le jeune commandant Chérif Ousmane, ex-chef rebelle charismatique, patron des bérets verts de la redoutable compagnie Guépard devenu commandant de zone de la IIIe région militaire de Bouaké, n’a jamais beaucoup soigné sa « communication ». Celui qui faisait encore figure, il y a peu, de « jusqu’au-boutiste » au sein des troupes des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion) a cependant effectué un virage à 180 degrés en consacrant désormais toute son énergie à trouver un emploi aux milliers d’hommes dont il a la charge. Son ardeur au combat s’est métamorphosée en une activité de tous les instants au service des programmes de démobilisation et de réinsertion des « éléments ». De la guerre au processus de paix, sans état d’âme ? Itinéraire d’un soldat.
Jeune Afrique : Vous, le chef de guerre, vous êtes désormais totalement absorbé par des activités qui n’ont plus rien à voir avec le métier des armes : gestion administrative, agriculture, élevage, réhabilitation des bâtiments, organisation de compétitions sportives. Que s’est-il passé ?
Chérif Ousmane : C’est vrai qu’en cette période de regroupement et de réinsertion des ex-combattants, je passe toutes mes journées à conseiller, aider, orienter les éléments et à faire en sorte qu’ils prennent les bonnes décisions concernant leur vie sociale. Nous avons tous leurs dossiers et nous essayons maintenant non pas tant de les faire revenir en arrière que de les orienter vers des activités d’avenir : cinq années ont passé, nous sommes dans la sixième ! On ne se contente donc pas d’aligner nos anciens soldats, de leur donner les 90 000 F CFA d’allocation (137 euros) et de leur demander de repartir à la maison ! Nous leur procurons un emploi dûment profilé et nous les suivons jusqu’à ce qu’ils l’exercent effectivement. Nous voulons savoir ce qu’ils vont devenir.
Ne les sentez-vous pas, parfois, réticents à déposer les armes ?
Pour moi, plus je compte de réinsertions réussies, plus je suis heureux. Les Forces nouvelles ne sont pas un parti politique, et nous ne sommes pas sa milice. Ma préoccupation, c’est que mes hommes puissent subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Notre chance commune, c’est que nos soldats écoutent vraiment leurs chefs. Rares sont les rébellions dans lesquelles les troupes manifestent un tel degré de discipline et de confiance.
Cela ne signifie-t-il pas qu’ils attendent de vous voir jouer un rôle politique après votre commandement militaire ?
Non, non, non ! Je n’ai aucun rôle politique à jouer. Je suis un militaire. Je me suis battu. Au sortir de la crise, je ne veux pas que les chefs des futures forces de l’ordre risquent de se trouver confrontés à nos anciens compagnons d’armes qui n’auraient que le vol ou le braquage pour se nourrir. Notre avenir à tous en dépend. Par ailleurs, il est clair que si Chérif Ousmane doit vivre en Côte d’Ivoire après la crise, il faudra qu’un certain nombre de conditions soient remplies. Et que si Chérif Ousmane doit aller dans la nouvelle armée, c’est encore à d’autres conditions. Mais je me préoccupe moins de trouver une porte de sortie pour moi que pour mes hommes.
Vous rappelez souvent cette phrase selon laquelle les révolutions finissent toujours par manger leurs enfants. Qu’est-ce que cela signifie vous concernant ?
Vous voyez bien qu’en Côte d’Ivoire les fils de cette révolution sont toujours vivants ! Et moi je dirais que le risque existe pour eux seulement s’ils ne savent pas s’y prendre ! C’est-à-dire s’ils ne savent pas ce qu’ils veulent, où ils vont et, surtout, d’où ils viennent. Si on suit ses intérêts personnels, on perd son idéal.
Le système politique ivoirien, tel qu’il est aujourd’hui, vous paraît-il convenir à la Côte d’Ivoire et au développement de ce pays ?
Bien sûr qu’un changement est nécessaire ! Mais nous ne sommes pas encore à l’heure du bilan d’après les élections. Le plus important, c’est le pas qu’il nous faut franchir aujourd’hui. La reconstruction de la Côte d’Ivoire passe d’abord par la démobilisation et la réinsertion de ces jeunes qui ont fait de nous ce que nous sommes. Ce sont eux qui vont rebâtir notre pays et réparer le tissu social, s’ils sont en mesure d’agir. On fait comme si c’était la guerre qui était à l’origine de toutes les difficultés que traverse actuellement la Côte d’Ivoire. On se trompe, ou bien on veut nous tromper : ce sont ces difficultés qui ont provoqué la guerre ! Elles sont une cause, pas une conséquence. Tous les Ivoiriens déclarent vouloir la paix : pourquoi faudrait-il des élections avant d’introduire les transformations nécessaires dans notre pays ? Le changement se fait chaque jour. Hier, j’étais avec des combattants. En 2008, on m’informe que la démobilisation commence par ma zone et que je suis en première ligne sur le chemin de la paix : voilà un vrai changement qui n’aura pas attendu les élections !
Vous pensez donc que le Premier ministre Guillaume Soro a, dès avant les élections, la possibilité d’agir conformément à vos objectifs ?
Oui. Si la situation des soldats n’évolue pas très vite, concrètement, ils n’écouteront plus. On dit ici qu’« un sac vide ne peut pas tenir debout ». Si la crise économique se poursuit, c’est elle qui va gagner les élections, quel que soit le président qui sortira des urnes. Si nos soldats sont sans emploi et s’il en est de même pour les miliciens armés du Sud, l’insécurité sera telle qu’elle fera forcément obstacle au redémarrage économique. Sans la confiance, on n’arrivera à rien. Nos soldats sont des laboureurs. À l’heure où le monde a tant de difficultés pour se procurer les denrées de base, eux ne demandent qu’à déposer leurs armes et à partir travailler sur leurs champs de riz ou de blé. Moi-même, je dis souvent que je ne suis plus un soldat, mais que je suis devenu un planteur !
La France a-t-elle un rôle à jouer dans ce contexte ?
Je ne souhaite pas en parler. Si la France avait adopté une position différente au début de la crise, on ne serait pas, encore aujourd’hui, en train de tourner autour du pot ! Mais nous avons besoin de l’aide de tous les pays qui seront disposés à nous l’accorder, à condition que ce soit dans le respect de la liberté de chacun. Il n’y aura pas d’exclusion.
De vous à moi, les élections vont-elles avoir lieu ?
Cela ne va pas être facile, quand même. Laurent Gbagbo traîne trop de casseroles. Il a l’affaire André Kieffer sur les bras, la mort de Jean Hélène, le bombardement du lycée français, le charnier de Yopougon, etc. C’est Charles Taylor ! Il n’est certainement pas prêt à lâcher le pouvoir et à prendre le risque de redevenir un citoyen comme un autre. Or je suis convaincu que, même s’il l’emporte au premier tour, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié uniront leurs voix pour que ce soit l’un d’eux qui gagne le second tour. Et si les appareils des partis n’en décident pas ainsi, les militants le feront pour eux. Moi, jusqu’ici, je n’ai jamais voté : cette fois, j’irai. J’irai voter pour le changement. Et d’ici là, je marche pas à pas vers la paix.
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