Jean-Pierre Lacroix : « Il faut un engagement plus fort des autorités maliennes »

Transition délicate au Mali, fin de l’opération Barkhane, liens avec les mercenaires russes en Centrafrique… Le secrétaire général adjoint aux opérations de paix de l’ONU livre son analyse sur ces crises.

Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint et chef des opérations de maintien de la paix aux Nations unies, le 30 août 2021, à Paris. © Bruno Levy pour JA

Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint et chef des opérations de maintien de la paix aux Nations unies, le 30 août 2021, à Paris. © Bruno Levy pour JA

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Publié le 4 septembre 2021 Lecture : 6 minutes.

Alors que les casques bleus onusiens sont engagés tant au Mali qu’en Centrafrique, Jean-Pierre Lacroix, le secrétaire général adjoint aux opérations de paix de l’ONU, a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique sur les crises que traversent ces pays. Recrudescence de la violence au Sahel, prise du pouvoir par les militaires à Bamako, défiance des populations envers les forces de sécurité, ou encore concurrence des mercenaires russes sur le continent… nous l’avons rencontré lors de son passage à Paris.

Jeune Afrique : Dans une note, la Minusma souligne que l’insécurité a fortement augmenté dans le nord et le centre du Mali. Étant donné l’importance du dispositif sécuritaire déployé, comment expliquez-vous cette recrudescence de la violence ? 

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Jean-Pierre Lacroix : Outre les attaques jihadistes, nous faisons face à des affrontements entre les milices peuls, la katiba Macina ou encore les dogons dans le centre du Mali. L’affaiblissement de la présence de l’État, le dérèglement climatique et le manque de ressources expliquent en partie ces violences. Pour y faire face, la solution la plus efficace n’est pas militaire mais politique. Bien sûr, il faut relancer le volet sécuritaire de l’accord de paix de 2015 en favorisant le déploiement de l’armée reconstituée mais il faut aussi favoriser le retour de l’administration dans toutes les régions du pays.

Les casques bleus de la Minusma restent engagés sur le terrain pour sécuriser les zones qu’ils peuvent. Mais nous avons besoin d’un engagement plus fort de la part des autorités maliennes de transition.

La force française se réorganise au Sahel, mais elle ne part pas

Est-ce vraiment le bon moment pour retirer des troupes, comme va le faire la France, notamment à Tessalit, à Tombouctou ou encore à Mopti ?

Le « Barkhane autrement » aura forcément un impact pour nous, surtout dans les zones où nous opérons ensemble. Actuellement, nous travaillons de concert avec les autorités françaises pour que les conditions de cette nouvelle articulation soient clarifiées. Cela dit, la force française se réorganise, mais elle ne part pas. Et Paris n’est pas le seul partenaire dans la région, nous travaillons également avec la force européenne Takuba et les pays du G5 Sahel.

Après la prise de Kaboul par les Talibans, conséquence du retrait des soldats américains, la France ne devrait-elle pas revenir sur sa décision? 

Je n’ai pas de conseils à donner aux autorités françaises. Ce qu’il faut désormais c’est que le G5 Sahel monte en puissance, avec de plus importantes ressources financières. La réponse sécuritaire viendra avant tout des pays de la région.

La Minusma va-t-elle se renforcer ?

Cela est nécessaire. Le secrétaire général de l’ONU a donc proposé un accroissement de ses effectifs aux membres du conseil de sécurité. Les discussions sont en cours…

Il est indispensable que la transition malienne aboutisse rapidement à des élections

Depuis votre dernière visite à Bamako en janvier dernier, lors de laquelle vous aviez rencontré Bah N’Daw et Moctar Ouane, les militaires ont renversé les autorités. C’était le deuxième coup d’État en moins d’un an. Êtes-vous inquiet? 

Des élections présidentielle et législatives doivent se tenir dans cinq mois, ce qui devrait ramener de la stabilité. Le gouvernement doit respecter cet engagement.

Mais croyez-vous que ce calendrier sera tenu ?

C’est possible, mais il faut que le processus avance. La Cédéao et l’Union africaine y travaillent. L’insécurité est galopante, il y a urgence. Il est indispensable que cette transition aboutisse rapidement à ces élections.

Lors de sa visite à Alger, Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères, n’a pas fermé la porté à un dialogue avec les « groupes radicaux » . Êtes-vous favorable à un dialogue avec les jihadistes ?

C’est aux autorités maliennes d’en décider. Mais il y a des éléments d’appréciation à prendre en compte : les jihadistes sont-ils prêts au dialogue ? Quel en serait l’objectif ? Si on n’a pas un minimum de réponses à ces questions, il est difficile d’engager ce type d’initiative.

En visite au Mali fin août, Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères, a annoncé vouloir peser davantage sur le cours des évènements dans la sous-région. L’Algérie peut-elle endosser ce rôle ?

L’Algérie a un rôle important à jouer dans la région et le ministre Lamrama a une connaissance intime du dossier. Il veut redonner une impulsion à l’accord de paix de 2015. Cela va dans le bon sens.

Cet accord de paix divise profondément la population malienne et sa mise en œuvre est lente. Faut-il le « relire », comme le demande certains ?

Ce n’est pas aux Nations unies d’en juger. Cet accord a été signé par les Maliens et d’autres partenaires de la sous-région. Si relecture il y a, elle doit être faite avec l’ensemble des acteurs signataires et dans un esprit de dialogue. De plus, il faut que tous les partenaires conservent leur engagement et le renforcent. Ils ont un rôle important à jouer dans le processus de paix dans la région. Les Nations unies et la Minusma serons toujours prêts à aider.

Nous avons une politique de tolérance zéro en matière de violation des droits humains

La Minusma fait face à la défiance d’une partie de la population, comme on l’a observé fin mai à Aghelhok. Est-ce dû aux agissements de certains de ses hommes ? Un de vos propres rapports pointe la responsabilité des forces internationales dans 31 bavures… 

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Nous faisons un rapport sur toutes les allégations de violations de droits humains de la manière la plus impartiale et complète, même quand nos hommes sont impliqués. Nous avons une politique de tolérance zéro en la matière. À Aguelhok, où des personnes ont réclamé la délocalisation des casques bleus, nous avons fait preuve de compréhension. Mais est-ce que ces manifestants représentent toute la population ? Je ne le crois pas. Je me suis rendu dans cette ville et j’ai passé beaucoup de temps avec ses représentants. Ils ont été nombreux à nous dire : « Si vous partez, nous partons avec vous ». Depuis ce sit-in, la Minusma a engagé un dialogue avec la population. Les tensions et la pression se sont atténuées.

En Centrafrique, l’armée semble travailler avec des mercenaires russes liés à la société Wagner. La Minusca a-t-elle collaborée avec ces hommes sur le terrain ?

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Non, il n’y a pas eu de coopération entre la Minusca et les mercenaires. Nous avons établi une coordination entre les forces armées centrafricaines (Faca) et les éléments bilatéraux, à savoir les Rwandais et les Russes, qui comportent des individus parfois non-identifiés. L’objectif était d’aider à l’identification des personnes : savoir qui fait quoi, à quel moment et de quelle manière, pour que nos casques bleus et nos personnels civils ne se fassent pas tirer dessus par inadvertance. Quand vous avez sur un même terrain d’affrontements plusieurs éléments, il est impératif voire indispensable, que chacun puisse savoir où est l’autre.

Est-ce que cette coordination s’est toujours faite dans la transparence ? Non. Nous l’avons fait savoir à plusieurs reprises aux autorités centrafricaines, puisqu’elles sont responsables de la bonne tenue de ce type de coordination sur leur territoire. La Minusca a l’obligation de faire valoir le respect du droit international humanitaire et des droits humains. Le problème se pose quand ceux-ci sont bafoués.

La Minusca fait partie des garants des accords de paix signés en février 2019, qui ont été violés à plusieurs reprises. Son mandat devrait-il être modifié, pour la rendre plus offensive ?

Nous savons tous que l’accord a été violé. Néanmoins, nous avons un rôle dans cet accord, nous le soutenons et pensons qu’il reste d’actualité. Il faut le revitaliser en créant un véritable engagement avec ceux qui sont prêts au dialogue. Il y a des groupes armées signataires de l’accord qui n’ont pas recouru aux armes pendant et après les élections. Il n’y a pas de raison d’arrêter de discuter avec ceux-là. Sur le plan politique, il est important que les autorités établissent un dialogue inclusif et d’ouverture avec les forces d’opposition.

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