Côte d’Ivoire : l’affaire de Mbella ou le bling-bling des petits

Médiocrité assumée, buzz à tout prix, dictature des réseaux sociaux… Derrière la polémique qui enfle autour d’Yves de Mbella, ce que cette affaire dit de l’état de nos sociétés n’a rien de réjouissant.

Yves de Mbella dans l’émission « La Télé d’Ici », qui a fait scandale en mettant en scène le modus operandi d’un violeur. © Capture d’écran Youtube/TV5Monde

Yves de Mbella dans l’émission « La Télé d’Ici », qui a fait scandale en mettant en scène le modus operandi d’un violeur. © Capture d’écran Youtube/TV5Monde

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  • Francis Akindès

    Sociologue, professeur à l’Université Alassane-Ouattara, à Bouaké (Côte d’Ivoire)

Publié le 4 septembre 2021 Lecture : 4 minutes.

L’affaire « Yves de Mbella », du nom d’un présentateur de télévision ivoirien qui a cru bon de faire reconstituer, le 30 août, une scène de viol en direct, a pour une fois choqué l’opinion publique.

Sur le plateau de l’émission télé d’Ici Vacances sur la Nouvelle chaîne ivoirienne (NCI), un violeur présenté comme « repenti » raconte sans vergogne ses exploits. Il se sent honoré ou du moins, il est à l’honneur. Ça rit sur le plateau. Il espérait lui aussi être célèbre, le temps d’une émission et rejoindre les autres stars de la vulgarité, dont les frasques et extravagances inondent les réseaux sociaux et nourrissent les imaginaires.

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Il bombe le torse, explique. Il est plus démonstratif que jamais. Il se souvient, comme si c’était hier, de ses prouesses, de son acte de viol – un délit et non un crime en Côte d’Ivoire, qui reste largement impuni. Il montre la technicité du viol. Ses hauts faits. Il est applaudi. Il ne se doutait de rien, quant aux effets que ses gestes et ses mots pouvaient avoir sur l’opinion. Ce violeur a cru trouver le chemin de la célébrité. Il devait se réveiller le lendemain, la gloire chevillée au cerveau.

Jamais les jeunes créateurs de petites unités de production, ces jeunes entrepreneurs qui peinent à exister et travaillent dur pour émerger, n’ont été ainsi montrés, valorisés comme ce « violeur repenti ». Manifestement, travailler ne vous rend pas forcément vite riche et encore moins connu et reconnu dans l’espace public en Côte d’Ivoire. Trop long ! Dans la civilisation de l’éphémère en construction, il faut aller vite. Très vite.

Égéries de l’éphémère

La fin justifie les moyens, et les réseaux sociaux en sont un puissant véhicule. La méthode : faire le buzz par le choc. Exceller dans l’escalade de la légèreté, de la désinvolture et de la vulgarité dans sa façon d’être, de voir et de se donner à voir, sa posture, ses propos. Le tout au mépris de la décence. Ce sont les réseaux sociaux qui disent désormais aux femmes ce qu’elles doivent penser et être aujourd’hui.

En clair, exister par le buzz est une nouvelle manière de réussir en Côte d’Ivoire

Les nouvelles égéries pullulent, toutes en concurrence médiatique dans l’extravagance et l’outrecuidance. En Côte d’Ivoire, fini le temps de l’éducation des  filles à l’ancienne, à la mode des lycées Sainte-Marie ou Notre-Dame des Apôtres. Fini le temps de l’éducation à la prise de responsabilité vis-vis de soi et des autres. Ce qui existe encore chez ceux qui nous dominent et risquent de nous dominer encore pour longtemps pendant que nous usons nos cerveaux à rechercher les circuits courts d’enrichissement rapide et sans cause.

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En clair, exister par le buzz est une nouvelle manière de réussir en Côte d’Ivoire. Mais cela fait sauter toutes les limites et tous les verrous de la morale publique. La culture du no limit nous mène tout droit dans le mur. Un peu de pudeur ne tue pas la liberté d’expression. Mais tant que je continue de voir ce que je vois à l’école et dans les universités publiques, j’ai peur pour nous. J’ai peur pour la société que nous fabriquons. Il va falloir mettre le holà à ces dérives.

Médiocrité, argent facile et bling-bling

Et puis, on ne crève plus l’écran parce qu’on a des émissions bien préparées, bien rendues et des invités aux idées bien articulées sur le plateau. La médiocrité assumée et mise en scène de manière obscène entretient la descente aux enfers. Demain qu’apprendrons-nous à nos enfants sur ce qu’on ne dit pas, qu’on ne fait pas ? Puisque tout est permis pour avoir de l’argent. L’argent, l’argent, l’argent et toujours l’argent. Mais qu’achetons-nous réellement avec l’argent ainsi gagné par les circuits courts ? De l’éphémère.

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La joie de l’effort n’a encore de sens que pour des privilégiés. Je vais de temps en temps tendre mes oreilles et ouvrir grand les yeux dans les quartiers populaires pour observer ce qui fait encore sens dans ces mondes. Mais je me rends compte que ce qui est en bas est la réplique de ce qu’on trouve en haut. Sauf que là-bas, c’est le bling-bling des « petits », une reproduction frelatée du bling-bling des « grands » avec les moyens de « petit ». Bling quand même. Les valeurs cardinales ? Elles sont compromises, dans un monde où tout est permis.

L’émission de la NCI révèle au grand jour combien le corps de la femme est moqué, gravement banalisé en Côte d’Ivoire. Pouvait-il en être autrement ? L’absurde et l’immoralité sont eux aussi de plus en plus banalisés dans notre société, profondément malade.

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