Une opposition en quête de stratégie

À six mois de l’élection présidentielle, les partisans du régime et leurs adversaires se déchirent sur les règles du jeu.

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 6 minutes.

Le processus électoral n’a pas encore démarré qu’il s’empêtre déjà dans un contentieux. Après avoir réussi à faire débourser 2 milliards de francs guinéens (570 millions de F CFA environ) par son homologue des Finances, le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, Moussa Solano, a lancé, le 2 juin, l’opération de révision des listes électorales en vue de l’élection présidentielle de décembre prochain. Unilatéralement. Le ministre a pris acte de la décision du Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad, regroupement des principaux partis d’opposition), de l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR) de Siradiou Diallo et de l’Union du peuple de Guinée (UPG) de Jean-Marie Doré de ne pas répondre à sa convocation du 18 avril, pour une concertation autour du Conseil national électoral (CNE) et des modalités de révision des listes électorales.
L’opposition reste intransigeante sur ce qu’elle appelle « les cinq préalables à une élection transparente » : création d’une commission électorale indépendante, liberté de faire campagne sur tout le territoire, non-intervention de l’armée et des forces de l’ordre dans le processus électoral, égal accès de tous les candidats aux médias publics et libéralisation des ondes, présence d’observateurs internationaux le jour du scrutin. Va-t-elle, en cas de non-respect de ces conditions, boycotter la présidentielle, comme les législatives de juin 2002 ? Le président du conseil directeur du Frad et président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), Mamadou Bhoye Bâ, ne va pas jusque-là : « Nous nous tenons, pour l’instant, à l’écart du processus électoral tel que veut le conduire Moussa Solano, mais il est encore tôt pour prendre la décision de ne pas prendre part à l’élection. Espérons que le pouvoir de Lansana Conté se ressaisira vite et acceptera une consultation véritablement transparente. »
En vertu de la nouvelle mouture de la Constitution résultant du référendum du 11 novembre 2001, l’État a nommé quelque 8 000 présidents de communautés rurales de développement (CRD), responsables de districts et chefs de quartiers traditionnellement élus. À la tête des paliers de base de l’administration, ceux-ci seront impliqués dans la distribution des cartes électorales, la surveillance des bureaux de vote et la centralisation des résultats. Des rôles déterminants dans une élection que l’opposition ne veut, en aucune manière, voir assurés par des hommes et des femmes choisis en raison de leur proximité avec le parti au pouvoir. De passage à Paris fin mai-début juin, Sidya Touré, président de l’Union des forces républicaines (UFR), et Mamadou Bhoye Bâ ont attiré l’attention du « monsieur Afrique » de l’Élysée, Michel de Bonnecorse, et de la cellule africaine du Quai d’Orsay sur la nécessité de soutenir la mise à l’écart de tous ces responsables locaux nouvellement nommés et la création d’une commission électorale indépendante chargée de gérer l’ensemble du processus électoral, de la révision des listes à la proclamation des résultats. Une façon de rallier Paris à la position des ambassades française et américaine et de la délégation de l’Union européenne à Conakry, convaincues qu’une présidentielle crédible doit passer par la prise en compte des garanties de transparence exigées par l’opposition.
Les États-Unis, longtemps soutien inconditionnel du pouvoir de Lansana Conté, ont très sensiblement évolué dans leur position. Au lendemain des législatives du 30 juin 2002 boycottées par tous les grands partis d’opposition, à l’exception de l’UPR de Siradiou Diallo, l’ambassadeur américain à Conakry Barrie Walker a remis au gouvernement guinéen un véhément document du secrétariat d’État, très critique sur l’organisation et le déroulement de la consultation. C’était le début de la fin d’une longue « lune de miel » qui a vu les États-Unis dispenser une formation de rangers à un corps d’élite de l’armée guinéenne (les 800 éléments du bataillon spécial de Kindia) et équiper le pouvoir de Lansana Conté pour arriver à bout des incursions rebelles libériennes qui ont secoué la frontière sud du pays, entre septembre 2000 et août 2001. De source proche de la représentation américaine, les rapports entre Conakry et Washington ont été davantage oblitérés par l’hostilité affichée par la Guinée à l’encontre de l’intervention américaine en Irak, tout au long du mois de mars où elle a présidé le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies.
Mais nombre d’observateurs expliquent le revirement américain par un argument plus pragmatique : les États-Unis sont convaincus qu’ils ne peuvent plus s’appuyer sur Conté, malade et affaibli, pour déboulonner Charles Taylor des commandes du Liberia.
Conscients de la nécessité de soutenir un processus électoral calme pour éviter le basculement du pays (davantage fragilisé par la maladie de Conté), l’Union européenne, la France et les États-Unis ont besoin, pour faire pression plus efficacement sur le gouvernement guinéen, d’une union de l’opposition autour de ses revendications de transparence du scrutin présidentiel. Ce qui est, jusqu’ici, chose faite : bien que n’étant pas membres du Frad, Siradiou Diallo et Jean-Marie Doré ont rallié ses positions sur la future élection.
Mais cette proximité de vues risque d’être ébranlée à mesure qu’approchera l’échéance électorale. L’opposition guinéenne est traversée par des querelles de leadership et de sérieux germes de division : la sourde inimitié entre Siradiou Diallo et Alpha Condé (chef de file du Rassemblement du peuple de Guinée) ; la cassure entre Diallo et Mamadou Bhoye Bâ depuis l’éclatement, au lendemain des législatives de juin 2002, de l’UPR au sein de laquelle ils avaient fusionné leurs deux formations en 1998 ; la rivalité suscitée au niveau des « leaders historiques » par Sidya Touré, l’ancien Premier ministre tombé dans l’opposition en 2000…
Le camp présidentiel n’est guère plus homogène, en proie à des conflits de tendances et à des luttes de positionnement dans la perspective de l’après-Conté. Les proches du président de l’Assemblée nationale, Aboubacar Somparé, critiquent de plus en plus ouvertement la position de premier plan « usurpée » par le parrain du Parti de l’unité et du progrès (PUP), le vice-gouverneur de la Banque centrale Fodé Soumah, qui mène, depuis le début de l’année, une interminable tournée nationale pour appeler à voter Conté en décembre prochain.
Pour mettre toutes les chances du côté de celui-ci, le gouvernement a reçu l’ordre ferme de rétablir, dans les meilleurs délais, un approvisionnement régulier du pays en électricité et en eau courante. C’est ainsi qu’une importante délégation comprenant cinq ministres et conduite par celui des Finances Cheick Ahmadou Camara a mis à profit les Journées économiques de la Guinée, tenues du 24 au 31 mai à Montréal (au Canada), pour reprendre langue avec Hydro-Québec. Objectif : faire revenir le groupe canadien en Guinée, mettre à contribution son expertise, son apport financier et les 8,5 millions d’euros prêtés à l’État par l’homme d’affaires El Hadji Mamadou Sylla pour mettre fin, le plus tôt possible, à la pénurie de courant, source de graves difficultés de pompage de l’eau courante.
Si le camp présidentiel s’active pour paraître plus présentable aux électeurs, l’opposition brille par son manque d’actions sur le terrain, hormis les meetings de l’UFR du mois d’avril qui ont valu trois interrogatoires de police à son leader Sidya Touré (voir J.A.I. n° 2209). La rencontre interafricaine prévue les 9 et 10 juin à Conakry, autour du thème « Alternative et alternance démocratiques en Afrique : le rôle des partis politiques », est donc bienvenue pour amener le débat dans un pays qui en manque cruellement en cette année électorale. Organisée conjointement par le RPG d’Alpha Condé, la Fondation Jean-Jaurès et le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), la manifestation attire à Conakry de nombreux leaders de partis africains membres de l’Internationale socialiste. Et donne, à coup sûr, plus de présence sur le terrain à leur camarade Alpha Condé, candidat déclaré à la prochaine présidentielle.

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